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Comment - Revue des sciences sociales

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TONY FORTIN<br />

Rédacteur en chef de Planetjeux.net<br />

<br />

Cyberwar<br />

Figures et paradoxes de la rhétorique<br />

<strong>des</strong> jeux vidéo de guerre<br />

En 1957, en pleine guerre froide,<br />

la mise sur orbite du satellite<br />

russe Spoutnik lance la course<br />

à l’espace. Les Américains répliquent<br />

aussitôt en fondant en 1958<br />

l’ARPA (Advanced Research Projects<br />

Agency) puis son organe civil,<br />

la NASA (National Aeronautics and<br />

Space Administration), qui vont unir<br />

leurs efforts avec les universités<br />

du pays pour mettre au point une<br />

intelligence artificielle à partir <strong>des</strong><br />

ordinateurs. Les premiers contrats<br />

privés de défense apparaissent avec<br />

les sociétés développant l’équipement<br />

informatique (IBM, General<br />

Electric, Sperry Rand, Digital Equipment<br />

Corporation et Raytheon).<br />

C’est dans ce cadre d’effort de guerre<br />

national, d’intense mobilisation<br />

autour de la recherche nucléaire et<br />

de l’exploration spatiale, que sont<br />

inventés les jeux vidéo. En 1962,<br />

dans les laboratoires du MIT, Steve<br />

Russell crée Spacewar qui fait jouer<br />

le concept d’interactivité : au moyen<br />

d’une interface de contrôle, il s’agit<br />

de combattre <strong>des</strong> soucoupes volantes<br />

représentées sur un écran au milieu<br />

d’une nuée d’astéroï<strong>des</strong>. Cette réalisation<br />

a servi avant tout à mesurer la<br />

puissance de calcul <strong>des</strong> ordinateurs.<br />

Elle n’en demeure pas moins le symbole<br />

ambivalent de la technoculture<br />

<strong>des</strong> « hackers » américains et plus<br />

globalement celui d’« une culture<br />

américaine rivée sur la contemplation<br />

quotidienne de la puissance nucléomortuaire.<br />

» (Kline, Dyer-Whiteford<br />

et de Peuter, 2003). Parallèlement, le<br />

MIT teste <strong>des</strong> simulations produites<br />

par <strong>des</strong> ordinateurs recréant tantôt<br />

<strong>des</strong> systèmes sociaux (Simsoc), <strong>des</strong><br />

programmes spatiaux (Lunar Landing)<br />

ou le modèle d’administration<br />

d’un ancien royaume (Hammurabi).<br />

Ces systèmes complexes préfigurent<br />

les jeux de stratégie d’aujourd’hui.<br />

Simsoc est considéré comme l’ancêtre<br />

de SimCity tandis qu’Hammurabi<br />

annonce les visées conquérantes de<br />

Civilization.<br />

Le complexe<br />

militaro-industriel<br />

du divertissement<br />

La guerre froide est terminée mais<br />

le complexe militaro-industriel s’est<br />

maintenu. Il s’est même considérablement<br />

consolidé dans les pério<strong>des</strong><br />

■<br />

de paix. L’administration Clinton a<br />

dûment encouragé les fusions/acquisitions<br />

entre le secteur militaire et<br />

celui de l’industrie, faisant grimper<br />

à 30 milliards de dollars par an les<br />

montants <strong>des</strong> contrats signés avec les<br />

trois plus grands fabricants d’armes<br />

américains : Lockheed Martin, Boeing<br />

et Raytheon. Toutefois, le complexe a<br />

réorienté ses dépenses de recherches qui<br />

bénéficient moins à l’heure actuelle à<br />

l’industrie de l’armement qu’au secteur<br />

commercial. L’apparition d’un complexe<br />

militaro-industriel du divertissement qui<br />

se traduit par un transfert constant <strong>des</strong><br />

technologies développées à l’intérieur<br />

du marché <strong>des</strong> jeux vidéo vers le Pentagone<br />

constitue une conséquence directe<br />

de cette évolution. Cette réorganisation<br />

a abouti en effet à déléguer une part de<br />

l’entraînement <strong>des</strong> soldats à <strong>des</strong> sociétés<br />

privées concevant les simulateurs virtuels.<br />

Ce partenariat profitait jusqu’alors<br />

surtout à l’armée : celle-ci bénéficiait <strong>des</strong><br />

dernières innovations technologiques<br />

produites dans le commerce sans avoir<br />

à en payer le développement. Au cours<br />

<strong>des</strong> années 80, BattleZone, la simulation<br />

de tank d’Ed Rotberg fut récupérée par<br />

l’armée américaine qui s’en servit pour<br />

la formation <strong>des</strong> soldats. La DARPA<br />

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