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Comment - Revue des sciences sociales

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internationale, le droit et le devoir d’ingérence<br />

démocratique.<br />

La question qui se pose alors à tous<br />

les citoyens, c’est de savoir quelles sont<br />

les formes d’intervention qui sont les<br />

plus pertinentes pour agir avec efficacité.<br />

L’hypothèse de travail qui devrait être<br />

acceptée par tous sans trop de difficulté<br />

est la suivante : si la non-violence est<br />

possible, elle est préférable. Et si la nonviolence<br />

est préférable, il faut alors en<br />

étudier les possibilités. C’est pourquoi<br />

la question est de savoir s’il n’existerait<br />

pas <strong>des</strong> formes d’intervention civile<br />

non-violente qui permettraient de faire<br />

face aux crises et aux conflits locaux qui<br />

surviennent sur tel ou tel territoire, et<br />

cela sans préjuger de la légitimité et de<br />

la possibilité <strong>des</strong> formes d’intervention<br />

armée.<br />

Il est essentiel de bien distinguer<br />

la notion de force et celle de violence,<br />

alors qu’elles se trouvent trop souvent<br />

confondues. Les moyens de l’action<br />

militaire constituent un recours à la violence,<br />

tandis que les moyens de l’action<br />

non-violente constituent un recours à la<br />

force. Et la violence est toujours une<br />

contradiction par rapport aux valeurs de<br />

la civilisation que nous voulons défendre.<br />

Dans un texte publié en France par<br />

l’État-major de l’armée de terre 1 , il est<br />

écrit : « L’usage de la force – mais il<br />

aurait fallu écrire l’usage de la violence –,<br />

opposé à une violence qui peut être sans<br />

limite, obéit à un principe d’efficacité<br />

au nom duquel tous les moyens mis en<br />

œuvre, tous les savoir-faire, toutes les<br />

énergies doivent concourir au succès. La<br />

« mission », dans son esprit, est toujours<br />

à exécuter « coûte que coûte ». Mais, dès<br />

lors que cet usage se traduit de fait par la<br />

<strong>des</strong>truction et la mort, il s’oppose à une<br />

exigence véritablement fondatrice qui est<br />

celle de nos sociétés dont le soldat n’est<br />

que le délégataire : le respect absolu de la<br />

personne humaine, notamment de sa vie.<br />

Cette contradiction, véritable paradoxe de<br />

l’état militaire, qui fait écho à sa spécificité,<br />

ne peut être esquivée ». Ce texte est<br />

important, car il reconnaît explicitement<br />

la «contradiction» qui existe entre l’usage<br />

<strong>des</strong> armes et l’exigence de non-violence<br />

envers la personne humaine.<br />

La guerre a souvent été honorée<br />

comme une épopée héroïque au cours<br />

de laquelle les hommes faisaient montre<br />

<strong>des</strong> plus hautes vertus, celles-là mêmes<br />

dont ils étaient incapables de témoigner<br />

en temps de paix. On a alors exalté le<br />

courage et le désintéressement de ceux<br />

qui quittaient leur maison et acceptaient<br />

de sacrifier leurs intérêts particuliers pour<br />

s’en aller risquer leur vie pour la défense<br />

de leur patrie. La guerre, a-t-on prétendu,<br />

substitue l’héroïsme <strong>des</strong> soldats à l’égoïsme<br />

<strong>des</strong> individus qui prévaut en temps<br />

de paix. La guerre serait ainsi un événement<br />

spirituel à travers lequel les grands<br />

peuples accomplissent leur <strong>des</strong>tin.<br />

En réalité, l’état de guerre implique<br />

une inversion radicale du code social de<br />

bonne conduite : l’obligation universelle,<br />

inconditionnelle, éternelle, de la conscience<br />

raisonnable : « Tu ne tueras pas»,<br />

cette exigence primordiale de la philosophie,<br />

est non seulement suspendue et<br />

contredite, mais récusée, niée, annulée,<br />

ridiculisée. Dès la déclaration de guerre,<br />

les hommes sont sommés d’obéir au commandement<br />

impératif : « Tu tueras ». Et<br />

malheur à celui qui refuse d’obéir. La<br />

guerre est toujours précédée et accompagnée<br />

d’une propagande qui incite au<br />

meurtre de l’ennemi, le plus souvent à sa<br />

haine. Cette propagande est porteuse de<br />

l’idéologie de la violence qui légitime et<br />

honore le meurtre. La guerre est terrible<br />

non seulement en ce qu’elle inflige l’humiliation<br />

aux vaincus, mais aussi en ce<br />

qu’elle apporte la gloire aux vainqueurs.<br />

Cette gloire acquise par le meurtre signifie<br />

la plus grande défaite de l’humain.<br />

Tout commence par l’exaltation de la<br />

noblesse d’une cause et tout se termine<br />

par l’acceptation <strong>des</strong> violences les plus<br />

ignobles. On vante la grandeur du sacrifice<br />

de ceux qui acceptent de mourir,<br />

mais en réalité ces derniers n’ont reçu<br />

d’autre mission que celle de tuer. Toute<br />

la « logique » de la guerre consiste précisément<br />

à tuer pour ne pas mourir. Et<br />

parce que les hommes ont la fureur de<br />

vivre, ils tuent furieusement. Au bout de<br />

la chaîne <strong>des</strong> ordres et <strong>des</strong> obéissances,<br />

les soldats du rang exécutent les basses<br />

œuvres de la guerre qui sont la négation<br />

même <strong>des</strong> « valeurs de la civilisation » au<br />

nom <strong>des</strong>quelles ils sont supposés agir. À<br />

cette extrémité de la chaîne, l’exécutant<br />

n’est plus qu’un instrument au service<br />

de la violence, un rouage mécanique.<br />

Dans l’ivresse de la violence, il n’a que<br />

mépris pour toutes les valeurs exaltées<br />

par l’homme « raisonnable » pour justifier<br />

la guerre. Tout concourt alors à priver<br />

l’homme de son humanité. La guerre<br />

instrumentalise l’homme qui se trouve<br />

prisonnier de son engrenage. Cette instrumentalisation<br />

est une déshumanisation.<br />

La guerre comme<br />

échec de la politique<br />

Carl von Clausewitz 2 nous propose<br />

une « philosophie de la guerre ». Il présente<br />

sa réflexion comme une « élaboration<br />

philosophique de l’art de la guerre ».<br />

Selon lui, l’essence de la guerre est d’être<br />

un « duel » et « son <strong>des</strong>sein immédiat est<br />

d’abattre l’adversaire, afin de le rendre<br />

incapable de toute résistance ». La guerre<br />

est donc l’affrontement de deux volontés<br />

par les moyens de la violence, chacun <strong>des</strong><br />

deux adversaires ayant l’intention délibérée<br />

d’imposer sa volonté à l’autre.<br />

Mais la guerre résultant d’un conflit<br />

politique entre deux gouvernements, son<br />

objectif est donc politique. « La guerre,<br />

affirme Clausewitz, est une simple<br />

continuation de la politique par d’autres<br />

moyens ». En affirmant cela, le général<br />

prussien ne voulait pas signifier, comme<br />

on le laissa parfois entendre, que la politique<br />

était déjà la guerre, mais, tout au contraire,<br />

que la guerre devait être encore une<br />

action politique. « Si l’on songe, écrit-il,<br />

que la guerre résulte d’un <strong>des</strong>sein politique,<br />

il est naturel que ce motif central<br />

dont elle est issue demeure la considération<br />

première qui dictera sa conduite ».<br />

« La guerre, précise-t-il encore, n’est pas<br />

seulement un acte politique, mais un véritable<br />

instrument politique, une poursuite<br />

<strong>des</strong> relations politiques, une réalisation<br />

de celles-ci par d’autres moyens. (...)<br />

L’intention politique est la fin, tandis que<br />

la guerre est le moyen, et l’on ne peut<br />

concevoir le moyen indépendamment<br />

de la fin». Plus précisément, la guerre<br />

est une continuation de la politique par<br />

d’autres moyens que ceux de la diplomatie<br />

: le gouvernement « livre bataille au<br />

lieu d’écrire <strong>des</strong> notes ». « La conduite<br />

de la guerre, écrit encore Clausewitz, est<br />

donc dans ses gran<strong>des</strong> lignes la politique<br />

elle-même, qui saisit l’épée au lieu de la<br />

plume sans cesser pour cela de penser<br />

d’après ses propres lois». Les nouveaux<br />

moyens de la guerre ne doivent être qu’un<br />

« appoint », car « la guerre elle-même<br />

ne fait pas cesser les relations politiques».<br />

Dans cette perspective, Clausewitz<br />

■<br />

38 <strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”

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