Comment - Revue des sciences sociales
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Freddy Raphaël "Encore Auschwitz !"<br />
servi à l’élimination de prisonniers de<br />
guerre soviétiques.<br />
Dans la rupture de la chape de silence,<br />
dans le rétablissement exigeant <strong>des</strong> faits,<br />
interviennent <strong>des</strong> paramètres de nature<br />
très différente. Parmi eux, le déni de<br />
mémoire, pouvant aller chez les négationnistes<br />
jusqu’à la contestation de l’existence<br />
de camps, n’a pas été sans importance.<br />
Avec les déclarations dans L’Express<br />
en 1978, de l’ancien commissaire aux<br />
Questions Juives de Vichy, Darquier de<br />
Pellepoix, affirmant qu’à Auschwitz on<br />
« n’avait gazé que <strong>des</strong> poux », et celles<br />
de Robert Faurisson dans Le Monde, la<br />
même année, prétendant que les chambres<br />
à gaz n’avaient jamais existé, le<br />
négationnisme s’affirmait au grand jour.<br />
Le dépassement par les historiens<br />
d’affrontements dus à une interprétation<br />
par trop idéologique, au profit d’étu<strong>des</strong><br />
rigoureuses, proches d’un certain positivisme,<br />
a eu une influence décisive. À<br />
cela s’ajoute l’incidence de certains événements<br />
majeurs, tel le procès Eichmann<br />
en 1961.<br />
Annette Wieviorka, dont les travaux<br />
font autorité 1 , a montré comment ce dernier<br />
a précipité la mémoire d’Auschwitz<br />
dans le champ social, faisant accéder<br />
le témoignage individuel à une prise de<br />
conscience collective. Il marque un véritable<br />
tournant non seulement en Israël<br />
mais aussi en France, en Allemagne et<br />
aux États-Unis. « Toutes les ‘premières<br />
fois’ s’y rassemblent. Pour la première<br />
fois, un procès se fixe comme objectif<br />
explicite de donner une leçon d’histoire.<br />
Pour la première fois, apparaît le thème<br />
de la pédagogie et de la transmission aux<br />
jeunes générations. Le procès Eichmann<br />
marque l’avènement du témoin » 2 . Ce<br />
procès, construit sur les dépositions de<br />
111 survivants, fait du génocide, dans la<br />
réalité de son vécu quotidien, l’un <strong>des</strong><br />
éléments essentiels de l’entreprise exterminatrice<br />
du nazisme. Par la suite, les<br />
procès de Francfort (1963-1965) à l’encontre<br />
de nazis ayant commis un « crime<br />
contre l’humanité » à Auschwitz, et ceux<br />
de Barbie, Touvier et Papon en France,<br />
inscriront la Shoa au cœur <strong>des</strong> débats qui<br />
agitent l’espace public.<br />
Par ailleurs, les témoignages sobres<br />
et rigoureux, mais transformés par un<br />
travail et une vision d’artistes, de certains<br />
écrivains tels David Rousset (Les<br />
jours de notre mort), Primo Levi (Si c’est<br />
un homme), Jean Cayrol (Lazare parmi<br />
nous), Robert Antelme (L’espèce humaine),<br />
et de cinéastes comme Alain Resnais<br />
(Nuit et Brouillard) ne demeurèrent pas<br />
sans résonance dans l’opinion publique.<br />
Mais c’est le feuilleton Holocauste de la<br />
télévision américaine, projeté en 1977,<br />
puis deux ans plus tard en France, qui<br />
suscita un débat d’une envergure exceptionnelle.<br />
Il y eut plus de 120 millions de<br />
téléspectateurs aux États-Unis.<br />
Daniel Depoutot : Squelette, dernier quart du XX e siècle.<br />
L’ère du témoin<br />
Le témoin fonde la certitude de ce<br />
qu’il relate sur le fait incontestable qu’il<br />
a participé à l’événement, qu’il peut dire :<br />
« J’y étais ». Mais, à travers le temps, il<br />
construit son témoignage, et élabore un<br />
récit. Celui-ci s’est enrichi d’autres narrations<br />
et de différentes lectures. Il s’est<br />
réorganisé afin de mieux convaincre : les<br />
faits qui sont transmis sont nécessairement<br />
interprétés.<br />
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