10.06.2014 Views

Comment - Revue des sciences sociales

Comment - Revue des sciences sociales

Comment - Revue des sciences sociales

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

tôt, avait précipité l’Amérique dans la<br />

Seconde guerre mondiale.<br />

Le 7 décembre 1941, Pearl Harbour a<br />

certes créé la surprise et fait de nombreuses<br />

victimes américaines. Pour le reste, la<br />

situation était totalement différente. La<br />

guerre faisait rage en Europe et en Asie.<br />

Le président Roosevelt venait de prendre<br />

<strong>des</strong> sanctions économiques contre<br />

le Japon qui a répliqué par l’attaque de<br />

cette base militaire américaine. Dans un<br />

contexte de guerre, un agresseur parfaitement<br />

identifié, un pays belligérant, s’est<br />

attaqué à une armée. Tous ces éléments<br />

font défaut dans les attentats de septembre<br />

2001. La saturation en symboles et<br />

le nombre de victimes masquent tant<br />

bien que mal le caractère ponctuel de ces<br />

attaques qu’aucun État n’était en mesure<br />

de revendiquer. Même les talibans se<br />

sont hâtés de démentir toute implication<br />

de leur pays et <strong>des</strong> « hôtes » arabes<br />

qu’il hébergeait, notamment le plus célèbre<br />

d’entre eux, dont ils disaient avoir<br />

perdu la trace. Cela n’a pas empêché les<br />

États-Unis d’intervenir militairement en<br />

Afghanistan et d’y provoquer un changement<br />

de régime. Mais cela n’a pas suffi à<br />

éradiquer la menace. La « guerre contre<br />

le terrorisme » révèle ses différences avec<br />

la guerre traditionnelle et ses difficultés<br />

spécifiques. La suprématie militaire<br />

ne parvient pas à éliminer un ennemi<br />

constitué par un réseau de micro-groupes<br />

autonomes, susceptibles de se fondre<br />

dans une population, de se replier dans<br />

<strong>des</strong> sanctuaires ou de se réfugier sur <strong>des</strong><br />

territoires incontrôlés. Un État peut agir<br />

sur un autre État mais, s’il entreprend de<br />

se substituer à lui pour mener <strong>des</strong> opérations<br />

de police, il suscite <strong>des</strong> résistances<br />

dont il est mal placé pour venir à bout. Et<br />

partout, le caractère intermittent, dispersé<br />

et impromptu <strong>des</strong> activités terroristes les<br />

rend quasiment insaisissables. <strong>Comment</strong><br />

détecter <strong>des</strong> cellules dormantes qui se<br />

caractérisent précisément par leur immersion<br />

prolongée dans la société ambiante ?<br />

<strong>Comment</strong> empêcher que l’émotion consécutive<br />

à la couverture médiatique de<br />

conflits lointains ne suscite, comme en<br />

juillet 2005 à Londres, <strong>des</strong> initiatives de<br />

passage à l’acte terroriste ? L’absence<br />

de relations organisationnelles entre les<br />

prophètes de la violence, les prédicateurs<br />

et les médias relayant leurs messages et<br />

les initiateurs d’attentats est la meilleure<br />

garantie de sauvegarde de chacun de ces<br />

maillons de la chaîne terroriste.<br />

Les activistes terroristes et les États<br />

qu’ils combattent sont actuellement au<br />

moins d’accord sur un point : présenter<br />

leur combat comme une véritable guerre.<br />

Toute une mise en scène tend à accréditer<br />

cette interprétation. Des groupes sans<br />

relation adoptent non seulement <strong>des</strong> procédés<br />

techniques similaires, mais aussi<br />

<strong>des</strong> styles de performance semblables. On<br />

assiste d’ailleurs à une surenchère spectaculaire<br />

ces dernières années. La griffe<br />

Al Qaïda se reconnaît au nombre élevé<br />

de victimes provoquées par <strong>des</strong> attentats<br />

suici<strong>des</strong> coordonnés et de préférence<br />

synchronisés. L’unité de temps, de lieu et<br />

d’action, la maîtrise technique, la montée<br />

aux extrêmes de la <strong>des</strong>truction et du sacrifice,<br />

la diffusion d’images sanguinaires,<br />

la radicalité de revendications entrecoupées<br />

de silences prolongés induisent une<br />

condensation symbolique <strong>des</strong>tinée à produire<br />

l’impression d’une offensive tous<br />

azimuts et imparable. Mais, quelle que<br />

soit la maestria déployée dans la conception<br />

et la mise en œuvre de scénarios<br />

catastrophes et la propension <strong>des</strong> États<br />

touchés à relever le défi par une riposte<br />

militaire, on peut se demander si l’assimilation<br />

à la guerre est la façon la plus<br />

appropriée d’appréhender une confrontation<br />

spécifique qui met à mal la paix<br />

sociale sans pour autant lui substituer<br />

la guerre proprement dite. Les menaces<br />

actuelles devraient plutôt conduire à <strong>des</strong><br />

réflexions relativisant et dépassant les<br />

oppositions classiques de la guerre et de<br />

la paix.<br />

En tant que technique d’extension et de<br />

radicalisation <strong>des</strong> conflits, le terrorisme se<br />

veut prophétie, anticipation et catalyseur<br />

de la guerre. Il en simule les impératifs,<br />

les opérations et la rhétorique. Mais, en<br />

dépit de coups d’éclat d’une envergure<br />

sans précédent, d’une exaltation accumulant<br />

les signes d’une détermination<br />

à toute épreuve, d’une communication<br />

focalisée sur les séries et les records, ses<br />

performances restent ponctuelles, épisodiques<br />

et dispersées. Si le terrorisme ne<br />

parvient qu’à renouveler <strong>des</strong> initiatives<br />

isolées, il signe son échec stratégique et<br />

son incapacité à déclencher le conflit de<br />

plus grande ampleur sur lequel il voulait<br />

déboucher. Ses chances de précipiter<br />

une course à la guerre dépendent de la<br />

réaction <strong>des</strong> États concernés. Pour ceux<br />

qui sont la cible d’attentats, proclamer<br />

la « guerre au terrorisme » présente <strong>des</strong><br />

avantages à court terme. Cela montre leur<br />

réactivité, soude la population autour de<br />

ses dirigeants et permet éventuellement<br />

à ces derniers de justifier <strong>des</strong> ingérences<br />

extérieures. Mais les offensives militaires<br />

peinant à écraser le terrorisme et risquant<br />

au contraire de lui apporter de nouveaux<br />

adeptes, lui faire face suppose aussi et<br />

surtout lui offrir moins de prises. Résister<br />

au terrorisme dans la durée requiert, dans<br />

la situation d’interdépendance accrue <strong>des</strong><br />

sociétés contemporaines, de limiter les<br />

vulnérabilités qui en découlent. Assurer<br />

la défense de sociétés ouvertes et<br />

complexes présente de multiples difficultés.<br />

Le problème consiste notamment<br />

à maîtriser la peur, à ne pas céder à la<br />

paranoïa collective qui est l’effet recherché<br />

par les entreprises terroristes 19 . La<br />

lutte contre le terrorisme peut entraver le<br />

dynamisme <strong>des</strong> sociétés touchées, mais<br />

elle peut aussi le stimuler. Cette dernière<br />

possibilité suppose un renforcement du<br />

consensus démocratique, <strong>des</strong> valeurs sur<br />

lesquelles il repose et <strong>des</strong> procédures qui<br />

le mettent en œuvre. Les options stratégiques<br />

envisageables sont aussi liées à la<br />

façon de présenter la menace. Pour <strong>des</strong><br />

terroristes, capables seulement d’anticiper<br />

ponctuellement la guerre, ce serait<br />

une réussite que de voir leurs ennemis<br />

s’y précipiter et s’engouffrer dans un<br />

choc <strong>des</strong> civilisations. Pour éviter une<br />

telle évolution, il convient de désamorcer<br />

l’escalade, de circonscrire le conflit,<br />

d’isoler les responsables d’attentats. Cela<br />

suppose sans doute de résister plus fermement<br />

aux séductions de l’imaginaire<br />

du wargame. Seule une riposte sélective,<br />

maîtrisée et mesurée peut <strong>des</strong>serrer le<br />

piège terroriste.<br />

52 <strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!