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Sacha Raoult & Didier Raoult Le bioterrorisme Daniel Depoutot : Tête de monstre, dernier quart du XX e siècle. peste et la variole. Toutefois, après 1989, les chercheurs transfuges russes, en particulier Alibek (qui dirigeait le programme de recherche en URSS), ont montré que pendant toutes ces années l’effort russe était resté inchangé (Alibek K., 1999). Enfin, la première guerre du Golfe a permis de découvrir des stocks extrêmement importants de spores de charbon et de toxines botuliques en Irak. On sait que Sadam Hussein a utilisé des gaz toxiques (dont le gaz sarin) dans sa guerre civile contre les Kurdes. L’absence de respect de ce traité de non-prolifération a été une des bases de la défiance dans les rapports actuels entre États. Les États-Unis refusent de signer un nouvel accord, du fait de l’absence de moyen de vérification du respect de celui-ci. Les États les plus développés n’ont pas considéré les armes biologiques comme susceptibles de représenter un potentiel actuellement comparable à celui des armes conventionnelles ou atomiques (Meyer C. et Leglu D., 2003). Quoi qu’il en soit, les armes biologiques sont susceptibles de devenir des outils du bioterrorisme. Il y a eu deux épisodes identifiés de bioterrorisme ayant causé des morts. Aux États-Unis, des spores de charbon (dont l’origine n’est toujours pas connue), ont été utilisées en 2001 et 2002. Ces spores, envoyées dans des enveloppes ou disposées dans des tuyaux de ventilation, ont causé plusieurs morts. Cet acte terroriste a entraîné une panique mondiale dont les conséquences financières ont été considérables. En dépit du fait que qu’il n’a provoqué que 18 infections et 5 morts, le coût économique a été énorme. Depuis, le nombre de publications scientifiques annuelles sur le bioterrorisme a dépassé le millier. L’autre épisode important est celui de la secte japonaise Aum qui, après avoir tenté plusieurs autres agents biologiques (dont la fièvre Q), a réussi à répandre dans le métro de Tokyo du gaz sarin, tuant ainsi plusieurs passagers. Par ailleurs, des attentats mineurs commis par des individus isolés ont eu lieu aux États-Unis 55
(gastroentérites, parasitoses intestinales), mais n’ont pas eu d’effets significatifs. Le bioterrorisme virtuel ■ Les événements liés aux attentats au bacille du charbon ont déclenché des mouvements de peur dans le monde entier. En effet, le cœur de cible de ces attentats ayant été des politiques (avec une poudre contaminée retrouvée au Capitole) et des journalistes, la couverture médiatique a été exceptionnelle. La résonance a été telle qu’elle a inspiré de nouveaux acteurs et très rapidement de faux attentats ont été commis dans le monde entier. En France, par exemple, plus de 2 000 poudres ont été analysées par les services de l’armée et par notre laboratoire en 2002. Chacune de ces poudres a eu un coût socialement important. Dans un cas, une gare où l’on a trouvé des poudres a été fermée, dans un autre, les personnels d’un bureau de poste ont dû évacuer les locaux, dans d’autres encore, un établissement de la CNAM, ou bien des lycées ont été fermés. En France ont été créés (sans la moindre identification de bactéries pathogènes, et sans le moindre outil de production d’armes de bioterrorisme) plus de 2 000 événements sociaux liés à la présence de poudres suspectes. Ces événements n’ont pas été le fait des « terroristes » mais de farceurs, de personnels désirant un jour de congés, ou d’individus avides d’accomplir un acte médiatisé (souffrant du complexe d’Erostrate, qui détruisit le temple de Diane à Éphèse pour devenir célèbre) et ont eu un effet économique, pour l’instant non chiffré, mais tout à fait considérable. La réponse de l’État français en 2002 En réponse à ce problème, du fait d’une adhésion étroite au principe de précaution (Kourilsky Ph., 2000), toutes les poudres ont été analysées. Il a été choisi d’avoir une sensibilité absolue dans l’analyse (de 100%). Pour être capable de détecter une seule spore de bacille de charbon dans une poudre, il faut réaliser une culture. Ceci entraîne un délai minimal de réponse de 48 heures et empêche ■ de donner des renseignements intermédiaires avant le résultat final. Le choix de cette politique maximaliste a entraîné un surcoût, en terme de prescription d’antibiotiques (prescrits dès l’exposition aux poudres) et a entraîné un encombrement des différents services hospitaliers. En effet, certains laboratoires participants ont transmis des résultats plus d’un mois après la réception des poudres, laissant dans l’incertitude public et médecins. Il existe pourtant des techniques (coloration de spore, détection moléculaire) qui permettent de détecter entre 100 et 10 000 bactéries, qui suffisent à éliminer un risque de pneumonie grave. En effet, quand le nombre de bactéries n’atteint pas ce chiffre, les risques d’infection sont plus faibles, et le délai permettant la prescription de traitement est plus long (et permet d’attendre 48 heures). Il est ainsi possible d’avoir une réponse en deux temps. Dans un premier temps, les techniques de coloration ou de biologie moléculaire, en montrant qu’il n’y a pas une quantité massive de bactéries, permettent de surseoir au traitement en urgence. Une réponse dans un deuxième temps à 48 heures ou 72 heures (après culture), beaucoup plus exhaustive permet, éventuellement, de prescrire un traitement a posteriori pour les risques les plus faibles. Par ailleurs, l’absence de tri des poudres, telle que pratiquée par exemple en Angleterre, a encombré inutilement les services. En effet, dès l’examen, certaines de ces poudres relevaient à l’évidence de farces. Nous avons été amenés à analyser des poudres qui avaient été transmises dans des enveloppes sur lesquelles étaient marqué « vive Ben Laden », ou des enveloppes sur lesquelles étaient dessinées des têtes de mort. Bien sûr celles comportant l’adresse et le nom du farceur permettaient de résoudre le problème par un coup de téléphone. Les Anglais qui ont trié en amont les poudres suspectes ont ainsi éliminé 90% des prélèvements. En n’analysant que 10% d’entre elles, ils ont eu un coût bien inférieur. Un élément inattendu a été la criminalisation de la farce. En France, les envois de poudres anodines ont été condamnables sur le fondement de l’article 222-13 du Code Pénal. Cet article vise les violences volontaires n’ayant pas provoqué d’incapacité temporaire de travail mais aggravées par la préméditation. Il prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement et une amende de 45 000 euros. Le dispositif sanctionnant ce type d’infraction est normalement utilisé pour poursuivre les auteurs de coups et blessures. Par extension, la jurisprudence a déjà utilisé ce texte pour condamner d’autres comportements, dont le résultat n’avait pas été d’avoir blessé physiquement la victime mais de lui avoir causé une forte émotion (depuis une jurisprudence de 1892). Ainsi, les appels téléphoniques malveillants, avant de faire l’objet d’une infraction autonome, ont été punis au vu de cet article. Le dispositif visant cette infraction « fourre-tout » a donc été utilisé tout naturellement pour punir les farceurs. Voici quelques exemples de son application : – Le 17 octobre 2001, un homme de trente-trois ans, habitant un village près de Béziers est jugé après avoir passé la nuit en détention pour les faits suivants. Décidé à arrêter de fumer, il achète une paquet de cigarettes, en parle avec son ami au téléphone, qui lui demande de ne pas fumer et de déposer le paquet dans sa boîte au lettre. Sur l’enveloppe du paquet de notre farceur, il écrit en anglais «ce n’est pas de l’anthrax, c’est juste de la drogue» et dessine une tête de mort. Un villageois tombe sur l’enveloppe par inadvertance et prévient les autorités judiciaires. – À Besançon, un père de famille est condamné à deux semaines de prison ferme pour les faits suivants. Il écrit avec son fils de 10 ans un lettre à sa mère. Dans cette lettre, il glisse de la farine et signe «Oussama ben bidou», (bidou étant le surnom du petit-fils). La vieille dame est apeurée et appelle les pompiers. – Un élu de Charente-Maritime, adjoint au maire de Saint-Georges d’Oléron est condamné à trois mois de prison dont deux mois et demi avec sursis pour avoir posté des lettres contenant de la farine, destinées à cinq de ses collègues. Finalement, en octobre 2001, six condamnations sont prononcées avec des peines atteignant deux mois de prison fermes et 20.000 euros d’amende. Une telle technique juridique de répression pose un problème de prévisibilité du droit pénal. Nul n’est censé ignorer la loi, et les farceurs ne peuvent 56 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
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N°35 2006 Daniel DEPOUTOT http://w
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