Comment - Revue des sciences sociales
Comment - Revue des sciences sociales
Comment - Revue des sciences sociales
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
proscrire « les signes ostentatoires, qui<br />
constituent en eux-mêmes <strong>des</strong> éléments<br />
de prosélytisme ou de discrimination »,<br />
ce qui est contraire à l’avis du Conseil<br />
d’État. À la suite de cette publication,<br />
plusieurs dizaines d’exclusions sont<br />
prononcées. La majorité <strong>des</strong> élèves<br />
concernées sont d’origine marocaine<br />
et turque (Gaspard et Khosrokhavar,<br />
1995 : 204). En 1994, au moment où la<br />
circulaire Bayrou provoque un regain<br />
de contentieux, Simone Weil, ministre<br />
<strong>des</strong> Affaires <strong>sociales</strong>, confie à Hanifa<br />
Cherifi, militante associative auprès de<br />
femmes immigrées, une mission de<br />
médiation auprès de l’Éducation nationale<br />
pour résoudre les conflits liés au<br />
port du foulard et tenter d’éviter les<br />
exclusions. Le dispositif se développe à<br />
deux niveaux, national et départemental.<br />
Il s’agit de convaincre les adolescentes<br />
que le voile leur est préjudiciable, et les<br />
empêchera ensuite de trouver un travail.<br />
On tente aussi d’éviter les décisions<br />
d’exclusion expéditives, basées sur le<br />
seul port de foulard et risquant d’être<br />
ensuite invalidées.<br />
Au cours de l’année 1995, cinq nouveaux<br />
arrêts pris par le Conseil d’État<br />
vont permettre de préciser la jurisprudence.<br />
Dans un cas, les adolescentes<br />
ont refusé d’enlever leur foulard pendant<br />
les activités d’éducation physique<br />
et une manifestation bruyante a été<br />
organisée devant les grilles du collège<br />
pendant la réunion qui statuait sur<br />
leur situation et à laquelle participait<br />
le père de l’une <strong>des</strong> élèves. Le Conseil<br />
confirme alors le jugement du tribunal<br />
administratif 7 . Selon la médiatrice, de<br />
1994 à 1996, le nombre de cas de voiles<br />
passe de 2400 à 1 000 dont environ 100<br />
gardés en classe. Parmi les 49 affaires<br />
contentieuses soumises au Conseil<br />
d’État entre 1992 et 1999, 41 débouchent<br />
sur l’annulation de la décision<br />
prise par l’administration à l’encontre<br />
de la jeune fille (HCI, 2001 : 50).<br />
Cependant, le Conseil confirme <strong>des</strong><br />
sanctions pour absences répétées en<br />
cours de sport, pour tenues incompatibles<br />
avec le bon déroulement <strong>des</strong> cours<br />
ou pour prosélytisme.<br />
En 1999, deux affaires relancent le<br />
débat sur le voile à l’école. Il n’y a pas<br />
de recru<strong>des</strong>cence du port du voile, au<br />
contraire, elles sont environ 400 selon<br />
la médiatrice du ministère, qui estime<br />
cependant qu’il y a un durcissement <strong>des</strong><br />
positions, <strong>des</strong> deux côtés. En effet, pour<br />
les acteurs du monde de l’enseignement,<br />
le fait que les jeunes filles soient<br />
informées de la jurisprudence, et considèrent<br />
qu’elles ont de ce fait le droit<br />
de le porter, est interprété comme un<br />
durcissement de leur position. De plus,<br />
certaines obtiennent le soutien d’organisations<br />
musulmanes « orthodoxes » 8 .<br />
À Flers, en Normandie, les enseignants<br />
se mettent en grève et deux collégiennes<br />
turques sont définitivement exclues du<br />
collège, pour port du foulard en cours<br />
de sport. Dans les Ardennes, une surveillante<br />
de collège est suspendue pour<br />
port de voile. En région parisienne, une<br />
fillette de 9 ans est exclue d’une école<br />
pour port de voile et refus de natation,<br />
puis réintégrée à la demande du ministère.<br />
Pendant les années 2000 à 2002,<br />
la situation est plus calme. D’ailleurs,<br />
en 2001, le Haut Conseil à l’Intégration,<br />
dans un rapport sur l’islam en<br />
France, souligne un certain nombre<br />
de difficultés auxquelles font face les<br />
musulmans de France dans l’exercice<br />
de leur religion et prend <strong>des</strong> positions<br />
assez modérées sur la question du foulard,<br />
en soulignant qu’il ne fallait pas<br />
exclure les jeunes filles mais engager<br />
un travail de fond sur les questions<br />
d’intégration 9 . Lorsqu’en février 2002<br />
une lycéenne de 18 ans est de nouveau<br />
exclue pour port de voile, le rectorat<br />
demande sa réintégration sur la base<br />
d’un compromis sur un voile « discret<br />
et dégagé autour <strong>des</strong> oreilles ».<br />
En 2003, le débat sur la laïcité et sur<br />
le voile reprend en intensité. En janvier,<br />
le Premier ministre Raffarin réaffirme<br />
le principe de laïcité et le refus<br />
<strong>des</strong> communautarismes ainsi que son<br />
souci face à la persistance de propos et<br />
d’actes antisémites, au dîner annuel du<br />
Conseil Représentatif <strong>des</strong> Institutions<br />
Juives de France. Les organisateurs y<br />
offrent à chaque convive un livre relatant<br />
<strong>des</strong> témoignages de difficultés auxquelles<br />
font face certains enseignants<br />
de banlieue pour enseigner l’histoire de<br />
la Shoah à <strong>des</strong> élèves d’origine maghrébine<br />
10 . En mars, une nouvelle affaire de<br />
foulard défraye la chronique. Il s’agit<br />
plus précisément d’un bandana, ne couvrant<br />
ni le front, ni les oreilles et noué<br />
dans la nuque. Au lycée de la Duchère,<br />
un quartier populaire de Lyon, comportant<br />
une forte population d’origine<br />
immigrée, une élève de seize ans porte<br />
ce bandana depuis le mois de ramadan<br />
et la plupart <strong>des</strong> professeurs ne l’acceptent<br />
plus en cours. Son cas est unique<br />
parmi les 2500 élèves. Suite au refus<br />
de l’autorité académique de mettre en<br />
route une procédure d’exclusion, 80 %<br />
<strong>des</strong> enseignants du lycée observent une<br />
journée de grève et manifestent devant<br />
le rectorat contre « la laïcité à géométrie<br />
variable » et demandent « une loi<br />
pour la République » 11 .<br />
C’est pourtant un autre événement<br />
qui va mettre le feu aux poudres. Le<br />
19 avril 2003, le jour où Jean-Marie Le<br />
Pen risquait d’attirer les médias par son<br />
meeting annuel, le Ministre de l’intérieur,<br />
Nicolas Sarkozy décide de prendre<br />
la parole à la rencontre annuelle de<br />
l’Union <strong>des</strong> Organisations Islamiques<br />
de France, au Bourget. Sa présence<br />
consacre aussi une période d’intenses<br />
négociations avec les représentants<br />
<strong>des</strong> diverses courants musulmans, en<br />
vue d’établir le Conseil Français du<br />
Culte Musulman, pour lesquelles il a<br />
déployé une grande énergie. Il a choisi<br />
de travailler avec l’ensemble <strong>des</strong> composantes<br />
de l’islam, au risque de se<br />
voir accusé de donner la part belle à<br />
ceux qu’on qualifie de « fondamentalistes<br />
», dont l’UOIF fait partie 12 . Il<br />
s’agit du plus grand rassemblement<br />
musulman national, qui attire <strong>des</strong> participants<br />
bien au-delà du rayonnement<br />
de l’UOIF, par un très grand nombre<br />
de stands et de conférences. Le ministre<br />
s’exprime devant quelque 10 000<br />
personnes, affirme qu’il est venu « en<br />
ami », insiste sur l’égalité <strong>des</strong> musulmans<br />
avec les autres Français, reconnaît<br />
les peurs et les amalgames dont ils<br />
sont victimes et les invite à vivre une<br />
religion qui « respecte […] les valeurs<br />
de la République » 13 . Il est ovationné<br />
plusieurs fois. Puis au moment, où il<br />
mentionne que la loi impose que les<br />
photos <strong>des</strong> cartes nationales d’identités<br />
soient prises tête nue, pour les femmes<br />
musulmanes comme pour les religieuses<br />
catholiques, une partie <strong>des</strong> jeunes<br />
se mettent à le siffler. Il poursuit son<br />
discours et une fois son prêche républicain<br />
terminé, l’assistance lui offre une<br />
ovation debout. Pour les musulmans<br />
présents, l’essentiel est bien dans la<br />
reconnaissance manifestée par la pré-<br />
156 <strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”