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Comment - Revue des sciences sociales

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(gastroentérites, parasitoses intestinales),<br />

mais n’ont pas eu d’effets significatifs.<br />

Le bioterrorisme virtuel ■<br />

Les événements liés aux attentats au<br />

bacille du charbon ont déclenché <strong>des</strong><br />

mouvements de peur dans le monde entier.<br />

En effet, le cœur de cible de ces attentats<br />

ayant été <strong>des</strong> politiques (avec une poudre<br />

contaminée retrouvée au Capitole)<br />

et <strong>des</strong> journalistes, la couverture médiatique<br />

a été exceptionnelle. La résonance<br />

a été telle qu’elle a inspiré de nouveaux<br />

acteurs et très rapidement de faux attentats<br />

ont été commis dans le monde entier.<br />

En France, par exemple, plus de 2 000<br />

poudres ont été analysées par les services<br />

de l’armée et par notre laboratoire en<br />

2002. Chacune de ces poudres a eu un<br />

coût socialement important. Dans un cas,<br />

une gare où l’on a trouvé <strong>des</strong> poudres a<br />

été fermée, dans un autre, les personnels<br />

d’un bureau de poste ont dû évacuer les<br />

locaux, dans d’autres encore, un établissement<br />

de la CNAM, ou bien <strong>des</strong> lycées<br />

ont été fermés.<br />

En France ont été créés (sans la moindre<br />

identification de bactéries pathogènes,<br />

et sans le moindre outil de production<br />

d’armes de bioterrorisme) plus de 2 000<br />

événements sociaux liés à la présence<br />

de poudres suspectes. Ces événements<br />

n’ont pas été le fait <strong>des</strong> « terroristes »<br />

mais de farceurs, de personnels désirant<br />

un jour de congés, ou d’individus avi<strong>des</strong><br />

d’accomplir un acte médiatisé (souffrant<br />

du complexe d’Erostrate, qui détruisit le<br />

temple de Diane à Éphèse pour devenir<br />

célèbre) et ont eu un effet économique,<br />

pour l’instant non chiffré, mais tout à fait<br />

considérable.<br />

La réponse de l’État<br />

français en 2002<br />

En réponse à ce problème, du fait<br />

d’une adhésion étroite au principe de précaution<br />

(Kourilsky Ph., 2000), toutes les<br />

poudres ont été analysées. Il a été choisi<br />

d’avoir une sensibilité absolue dans<br />

l’analyse (de 100%). Pour être capable<br />

de détecter une seule spore de bacille de<br />

charbon dans une poudre, il faut réaliser<br />

une culture. Ceci entraîne un délai minimal<br />

de réponse de 48 heures et empêche<br />

■<br />

de donner <strong>des</strong> renseignements intermédiaires<br />

avant le résultat final. Le choix de<br />

cette politique maximaliste a entraîné un<br />

surcoût, en terme de prescription d’antibiotiques<br />

(prescrits dès l’exposition aux<br />

poudres) et a entraîné un encombrement<br />

<strong>des</strong> différents services hospitaliers. En<br />

effet, certains laboratoires participants<br />

ont transmis <strong>des</strong> résultats plus d’un mois<br />

après la réception <strong>des</strong> poudres, laissant<br />

dans l’incertitude public et médecins.<br />

Il existe pourtant <strong>des</strong> techniques (coloration<br />

de spore, détection moléculaire)<br />

qui permettent de détecter entre 100 et<br />

10 000 bactéries, qui suffisent à éliminer<br />

un risque de pneumonie grave. En effet,<br />

quand le nombre de bactéries n’atteint<br />

pas ce chiffre, les risques d’infection<br />

sont plus faibles, et le délai permettant la<br />

prescription de traitement est plus long<br />

(et permet d’attendre 48 heures). Il est<br />

ainsi possible d’avoir une réponse en<br />

deux temps. Dans un premier temps, les<br />

techniques de coloration ou de biologie<br />

moléculaire, en montrant qu’il n’y<br />

a pas une quantité massive de bactéries,<br />

permettent de surseoir au traitement en<br />

urgence. Une réponse dans un deuxième<br />

temps à 48 heures ou 72 heures (après<br />

culture), beaucoup plus exhaustive permet,<br />

éventuellement, de prescrire un traitement<br />

a posteriori pour les risques les<br />

plus faibles.<br />

Par ailleurs, l’absence de tri <strong>des</strong> poudres,<br />

telle que pratiquée par exemple en<br />

Angleterre, a encombré inutilement les<br />

services. En effet, dès l’examen, certaines<br />

de ces poudres relevaient à l’évidence<br />

de farces. Nous avons été amenés à analyser<br />

<strong>des</strong> poudres qui avaient été transmises<br />

dans <strong>des</strong> enveloppes sur lesquelles<br />

étaient marqué « vive Ben Laden », ou<br />

<strong>des</strong> enveloppes sur lesquelles étaient <strong>des</strong>sinées<br />

<strong>des</strong> têtes de mort. Bien sûr celles<br />

comportant l’adresse et le nom du farceur<br />

permettaient de résoudre le problème par<br />

un coup de téléphone. Les Anglais qui<br />

ont trié en amont les poudres suspectes<br />

ont ainsi éliminé 90% <strong>des</strong> prélèvements.<br />

En n’analysant que 10% d’entre elles, ils<br />

ont eu un coût bien inférieur.<br />

Un élément inattendu a été la criminalisation<br />

de la farce. En France, les envois<br />

de poudres anodines ont été condamnables<br />

sur le fondement de l’article 222-13<br />

du Code Pénal. Cet article vise les violences<br />

volontaires n’ayant pas provoqué<br />

d’incapacité temporaire de travail mais<br />

aggravées par la préméditation. Il prévoit<br />

une peine de trois ans d’emprisonnement<br />

et une amende de 45 000 euros. Le dispositif<br />

sanctionnant ce type d’infraction<br />

est normalement utilisé pour poursuivre<br />

les auteurs de coups et blessures. Par<br />

extension, la jurisprudence a déjà utilisé<br />

ce texte pour condamner d’autres<br />

comportements, dont le résultat n’avait<br />

pas été d’avoir blessé physiquement la<br />

victime mais de lui avoir causé une forte<br />

émotion (depuis une jurisprudence de<br />

1892). Ainsi, les appels téléphoniques<br />

malveillants, avant de faire l’objet d’une<br />

infraction autonome, ont été punis au<br />

vu de cet article. Le dispositif visant<br />

cette infraction « fourre-tout » a donc été<br />

utilisé tout naturellement pour punir les<br />

farceurs.<br />

Voici quelques exemples de son application<br />

:<br />

– Le 17 octobre 2001, un homme de<br />

trente-trois ans, habitant un village près<br />

de Béziers est jugé après avoir passé la<br />

nuit en détention pour les faits suivants.<br />

Décidé à arrêter de fumer, il achète une<br />

paquet de cigarettes, en parle avec son<br />

ami au téléphone, qui lui demande de ne<br />

pas fumer et de déposer le paquet dans<br />

sa boîte au lettre. Sur l’enveloppe du<br />

paquet de notre farceur, il écrit en anglais<br />

«ce n’est pas de l’anthrax, c’est juste de<br />

la drogue» et <strong>des</strong>sine une tête de mort.<br />

Un villageois tombe sur l’enveloppe par<br />

inadvertance et prévient les autorités<br />

judiciaires.<br />

– À Besançon, un père de famille est<br />

condamné à deux semaines de prison<br />

ferme pour les faits suivants. Il écrit avec<br />

son fils de 10 ans un lettre à sa mère.<br />

Dans cette lettre, il glisse de la farine et<br />

signe «Oussama ben bidou», (bidou étant<br />

le surnom du petit-fils). La vieille dame<br />

est apeurée et appelle les pompiers.<br />

– Un élu de Charente-Maritime,<br />

adjoint au maire de Saint-Georges d’Oléron<br />

est condamné à trois mois de prison<br />

dont deux mois et demi avec sursis pour<br />

avoir posté <strong>des</strong> lettres contenant de la<br />

farine, <strong>des</strong>tinées à cinq de ses collègues.<br />

Finalement, en octobre 2001, six condamnations<br />

sont prononcées avec <strong>des</strong><br />

peines atteignant deux mois de prison<br />

fermes et 20.000 euros d’amende.<br />

Une telle technique juridique de<br />

répression pose un problème de prévisibilité<br />

du droit pénal. Nul n’est censé<br />

ignorer la loi, et les farceurs ne peuvent<br />

56 <strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”

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