melodie-avant-mots - Lacheret

(plats) et les contours en U alors que ces deux contours sont fréquents dans le
répertoire vocal des mères et que le contour unitonal est fréquent dans leur propre
répertoire vocal. Nous pensons que les bébés n’imitent pas les unitonaux parce qu’ils
sont moins expressifs et parce qu’ils sont faciles à produire, alors qu’ils n’imitent pas
les contours en U parce qu’ils sont difficiles à produire. Les mères de notre étude
imitent les contours en cloche, en U et unitonaux. On peut supposer qu’elles imitent
les 2 contours prédominants du répertoire du bébé (cloche et unitonal) et le contour le
moins fréquent dans son répertoire (U) pour le pousser à élargir sont répertoire. Ainsi
elles stimuleraient l’échange tout en étayant le développement vocal du nourrisson.
Cette étude suggère que le nourrisson de 2-3 mois contrôle suffisamment bien son
appareil vocal pour produire et reproduire des unités de sens identifiables qui soustendent
une communication qui est peut-être déjà signifiante.
5. Conclusion : La mélodie comme sémiôsis préverbale
Dans son ouvrage Acts of Meaning 1 , Jerome Bruner se lamente du fait qu’à
l’issue de la « révolution cognitive » des années 50, les psychologues ont mis l’accent
sur l’information au lieu de la signification et sur le traitement de l’information au lieu
de la construction de la signification. Il prône une nouvelle psychologie fondée sur
l’étude de l’intentionnalité, de la signification et de l’intersubjectivité. Vingt ans plus
tard nous commençons peut-être à voir se profiler cette nouvelle psychologie et
l’étude des interactions précoces nous oblige à poser la question de l’intentionnalité et
du sens des comportements. Il faut souligner que d’autre domaines d’étude, comme la
psychologie de la musique ne s’accommodent eux aussi que difficilement des
postulats cognitivistes. En effet, comment définir la représentation musicale ?
Comment étudier la musique en dehors du corps qui la produit et qui l’appréhende ?
De ce point de vue, la psychologie du nourrisson et la psychologie de la musique ont
bien des points communs.
Et si le contour mélodique constituait un code commun préverbal, traduisant
des intentions, à l’instar de la mélodie ou du motif musical ? Daniel Stern a théorisé de
manière très fine l’expressivité des formes dynamiques qui organisent les échanges
mère-bébé et il les apparente justement aux formes mélodiques dynamiques qui, par le
jeu de la répétition et de la variation, rendent la musique signifiante. Michel Imberty
est arrivé à la même hypothèse que Daniel Stern à partir de ses travaux sur les
schèmes dynamiques expressifs dans les œuvres musicales 2 . Stern décrit les émotions
partagées comme des contours de vitalité qui prennent sens dans leur manière de se
dérouler dans le temps créant des temporalités communes tissées d’anticipations, de
répétitions et de surprises 3 . L’influence des écrits de la philosophe Suzanne Langer est
évidente dans son travail de recherche. Pour Langer les éléments qui composent la
musique, qui prennent et qui font sens, sont des formes sonores en mouvement
(Moving forms of sound). Ce sont des mouvements dans le domaine temporel, des
mouvements virtuels et corporés, à l’intérieur d’une durée intime. Ces durées liées aux
formes de ressentis-en-mouvement perçues dans la musique ne sont mesurables qu’en
1 J. S. BRUNER, Acts of meaning, Cambridge, Harvard University Press, 1990.
2 M. IMBERTY, La musique creuse le temps. De Wagner à Boulez : Musique,
psychologie, psychanalyse, Paris, L’Harmattan, 2005.
3 D. N. STERN, Forms of vitality. Exploring dynamic experience in psychology and the
arts, Oxford, Oxford University Press, 2010.
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