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que ses résultats, apparemment plus efficaces que ceux de l’approximation<br />
crycothyroïdienne, semblent risqués : on a signalé notamment l’obtention de voix peu<br />
« naturelles », soit parce qu’elles paraissent presque trop aigües (315 Hz) soit parce<br />
qu’elles ressemblent à des voix de personnages de dessins animés. Quoi qu’il en soit,<br />
il ne s’agit plus ici de contrôler le mouvement du larynx d’origine, comme avec la<br />
première intervention, mais bien de le retailler pour qu’il devienne un « larynx<br />
féminin ». Cette transformation irréversible se donne comme une procédure de<br />
déqualification-requalification. En même temps qu’il acquiert les caractéristiques<br />
féminines souhaitées, le larynx perd définitivement ses qualités masculines d’origine :<br />
cette intervention dé-masculinise et féminise simultanément. On trouve avec cet<br />
exemple particulier une logique d’intervention habituelle aux traitements proposés par<br />
le programme de transsexuation : <strong>avant</strong> de sexuer autrement un corps et une personne,<br />
il semble nécessaire de l’exclure de sa classe sexuée d’origine. Ce processus est<br />
notamment visible pour les opérations concernant les organes génitaux : la<br />
vaginoplastie par inversion pénienne déqualifie et requalifie aussi dans un même<br />
mouvement tandis que l’hystérectomie et l’ovariectomie, souvent imposées aux<br />
hommes trans pour obtenir un changement d’état civil 1 , signent leur exclusion de la<br />
classe des femmes. On comprend alors que si la transsexuation permet bien le passage<br />
d’un sexe à l’autre, elle n’autorise pas les configurations sexuées mixtes : il convient<br />
de choisir l’une ou l’autre des catégories sexuées disponibles et de ce point de vue, le<br />
scalpel se montre assez souvent utile.<br />
Contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, le programme de<br />
transsexuation proposé est une entreprise de sexuation très conformiste : il s’agit pour<br />
les personnes candidates à sa réalisation de présenter une configuration sexuée<br />
cohérente et harmonieuse, c’est-à-dire de choisir l’une ou l’autre des catégories<br />
sexuées disponibles et de s’y tenir. C’est ce qu’on aperçoit au travers des interventions<br />
sur la voix : il s’agit moins ici de trouver sa voix que de la sexuer correctement. Pour<br />
que le processus de transsexuation soit jugé réussi, il faut que la voix soit, elle aussi,<br />
déqualifiée et requalifiée, faute de quoi elle est ce qui peut « trahir ». Autrement dit, le<br />
programme de transsexuation n’a pas pour objectif de produire des constructions<br />
corporelles composites ou personnalisées mais de faire <strong>avant</strong> tout des corps féminins<br />
ou masculins normalisés. Pour s’assurer de cet objectif, les personnes qui s’engagent<br />
dans le programme sont soigneusement sélectionnées et encadrées afin qu’elles n’aient<br />
guère la possibilité de faire de leur corps un lieu de réalisation plus personnel.<br />
L’élaboration corporelle n’est pas ici libre de se définir, elle doit plutôt s’envisager<br />
dans l’ordre de la correction : correction du hiatus entre corps et psychisme, mais aussi<br />
correction du corps engendré du point de vue de son inscription sexuée. Et si parfois<br />
des corps semblent échapper à cette double correction, c’est plus par détournement et<br />
bricolage d’un programme de transsexuation qui n’est ni adapté à leur projet 2 ni<br />
surtout prêt à y souscrire. Face à ces expériences transgenres contemporaines, on peut<br />
1 La phalloplastie n’est pas exigée dans la mesure où elle est reconnue comme risquée<br />
et c’est souvent la stérilisation qui fait office « d’opération de déqualification » dans beaucoup<br />
de pays. A titre d’exemple, les tribunaux français ont pris l’habitude d’exiger la stérilisation<br />
<strong>avant</strong> le changement d’état civil (même si une circulaire du ministère de la justice de 2010 les<br />
invite à prendre en considération les effets irréversibles de l’hormonothérapie), tandis qu’en<br />
Belgique, la stérilisation est légalement exigée pour le changement d’état civil.<br />
2 Si certaines personnes trans souhaitent réaliser/réalisent les opérations chirurgicales<br />
proposées, d’autres préfèrent s’en passer dans la mesure où elles se sentent (plus) à l’aise dans<br />
un corps ayant conservé certaines de ses caractéristiques originelles.<br />
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