melodie-avant-mots - Lacheret

neurones miroirs pourraient donc renvoyer, selon Rizzolati, à deux choses différentes :
la compréhension de l’action et la compréhension du sens de l’action. Par exemple,
prendre une pomme (comprendre ce geste moteur dans ses aspects « techniques »);
prendre la pomme pour la manger ou au contraire la mettre dans le réfrigérateur,
correspondent à deux « intentionnalités » de la même action. Or la possibilité que les
neurones miroirs servent à la fois à la compréhension des deux aspects de l’action de
l’agent, signifierait que ceux-ci permettraient de former dans le cerveau de
l’observateur des représentations anticipées du but de l’action comme elle se présente
dans la tête de l’agent.
Rizzolati et Sinigaglia concluent leur ouvrage d’une manière très significative pour
notre propos : « Quelles que soient les aires corticales intéressées (centres moteurs ou
viscéro-moteurs) et le type de résonance induite, le mécanisme des neurones miroirs
incarne, sur le plan neural, cette modalité de la compréhension qui, avant toute
médiation conceptuelle et linguistique, donne forme à notre expérience des autres. […]
La mise en lumière de la nature et de la portée du mécanisme des neurones miroirs
semble, à présent, nous offrir une base unitaire à partir de laquelle nous pouvons
commencer à comprendre les processus cérébraux responsables de cette riche palette
de comportements qui scandent notre existence, et dans laquelle prend corps le réseau
de nos relations interindividuelles et sociales. » 1 .
4. Retour au point de départ : la proto-narrativité
Chez le nourrisson, la capacité à repérer des cohérences dans le monde
interpersonnel est liée à sa capacité à ressentir le lien entre ses actions et le plaisir ou
le déplaisir qu’il en éprouve. Autrement dit, les actions se colorent d’une motivation
intrinsèque – non posée comme but conscient, le plaisir ou le déplaisir étant euxmêmes
des ressentis immédiats – qui maintiennent l’énergie pour agir. Tous les
comportements d’auto-excitation relèvent de ce mécanisme. Sur lui se greffe et
s’accorde le comportement de la mère. Si bien que l’« éprouver de faire » se colore
d’une orientation, d’un but qui, après-coup, donne à cet éprouver une cohérence par
une limitation précise dans le temps : faire pour éprouver du plaisir, puis peu à peu
pour répondre à l’autre, pour partager avec lui ; mais dès que le but est atteint, l’action
se recentre sur une autre séquence, la précédente étant renvoyée au passé,
momentanément oubliée. C’est ce renvoi au passé qui, après-coup, donne sa
cohérence à la séquence, la fait apparaître comme une forme temporelle ayant eu un
commencement, un milieu et une fin.
Nous retrouvons là notre point de départ. Les séquences d’échange et de
communication intersubjective entre l’enfant et sa mère ont l’organisation d’une
proto-narration, c’est-à-dire l’organisation d’une séquence dont l’unité est définie par
son début et sa fin, une narration sans paroles mais où s’échangent du sens, des
émotions et des sensations : Malloch (1999) et Gratier (1999, 2001, 2006) montrent
que la plus grande partie des gestes vocaux de la mère ressemble à un chant qui
présente une introduction calme, puis une phase d’animation qui augmente après la
réponse de l’enfant, un maximum d’excitation où les vocalisations sont échangées
avec rapidité, et enfin une conclusion calme et lente organisée autour d’une fréquence
centrale de durée plus longue.
Cette structure correspond à ce que Stern appelle l’ « enveloppe proto-narrative » : un
contour de sensations, de perceptions, de ressentis émotionnels et cognitifs distribués
1 Ibid., p. 203
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