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Nous explorons ici seulement quelques plis de la voix, car leurs replis sont sans<br />
doute infinis, tout pli en enveloppant d’autres. Trois registres principaux sont abordés,<br />
du prosodique et du sémiotique au politique en passant par l’artistique, sous les titres :<br />
1) La voix <strong>avant</strong> la parole ? 2) Voix et culture 3) Quelques usages de la voix. Les<br />
articles regroupés dans un de ces niveaux d’approche de la voix ne négligent pas<br />
complètement les autres niveaux, mais ils privilégient telle ou telle dimension de la<br />
voix.<br />
La voix <strong>avant</strong> la parole ?<br />
Au premier niveau, intitulé La voix <strong>avant</strong> la parole, l’institution et<br />
l’organisation sociale ne sont pas absentes, mais elles ne sont pas l’objet d’un examen<br />
explicite, et restent comme au fond de la scène. Ces articles éclairent d’abord la<br />
dimension sémiotique, voire présémiotique de la voix, et non pas la dimension<br />
sémantique de la parole. La psychologue Maya Gratier, à partir de recherches sur les<br />
vocalisations des nourrissons, souligne leur contour mélodique, faisant l’hypothèse<br />
d’une sémiôsis pré-verbale où se fonde une expérience affective partagée assurant la<br />
communication entre êtres humains. On trouve des formes mélodiques dynamiques<br />
aussi bien dans les échanges entre mères et bébés que dans les œuvres musicales. Le<br />
psychologue et musicologue Michel Imberty, dont les travaux constituaient une<br />
référence explicite pour cette étude, donne lui-même ensuite un article très synthétique<br />
sur la musicalité et la temporalité enveloppées par la voix. Il examine la notion<br />
d’ « enveloppe proto-narrative », empruntant au pédo-psychiatre et psychanalyste<br />
Daniel Stern et au philosophe Paul Ricœur des hypothèses qui relient organisation<br />
temporelle et proto-organisation des émotions et des vécus. Ce lien pourrait être à<br />
l’origine du plaisir musical. En découlerait l’« accordage affectif » qui permet la<br />
résonance émotionnelle. La voix et la musique sont ainsi placées par Michel Imberty à<br />
l’origine de l’expression et de la culture, comme des passeurs : leurs fondations sont<br />
biologiques et physiologiques, mais leurs usages sont culturels. On pourrait alors se<br />
dire que la pensée et le discours rationnel se constituent en refoulant la voix, porteuse<br />
des émotions primitives. Il y a du vrai dans cette conception. Mais le philosophe<br />
Olivier Renaut, en suivant un chemin de traverse dans les écrits de Platon, montre que<br />
le traitement de l’opposition bien connue entre phonè et logos est beaucoup plus<br />
subtil : une musique du discours, ou une pensée de vive voix, ne s’opposent pas<br />
frontalement à un logos dont l’écrit serait le medium approprié. Ecrit comme oral sont<br />
des manières d’être ou des modes de la pensée. Au lieu d’opposer voix et raison,<br />
Olivier Renaut donne consistance à une sorte de « voix de la raison », enveloppant<br />
singularité et sensibilité. Il souligne la polyphonie des dialogues platoniciens, qui<br />
exprime bien le caractère choral du discours philosophique. La voix est alors conçue<br />
non comme simple expression, mais bien comme matrice de la pensée. Par où Olivier<br />
Renaut retrouve par un autre chemin les propositions de Maya Gratier et de Michel<br />
Imberty sur une mélodie première. Les linguistes Anne <strong>Lacheret</strong> et Dominique<br />
LeGallois refusent également une opposition grossière ou frontale entre une syntaxe<br />
formelle et logique et une expressivité vocale porteuse d’un vécu affectif. Ils montrent<br />
qu’il y a bel et bien une syntaxe affective, une prosodie porteuse de schémas<br />
émotionnels, dont témoigne la voix. Leur travail, qui s’appuie sur les travaux de<br />
Fonagy et de Bally, refuse de se laisser purement « enchanter » par la voix, et préfère<br />
l’étudier rationnellement mais sous l’angle sémiotique, de manière à pouvoir accueillir<br />
la dimension affective de la communication langagière. Pas de sens sans<br />
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