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premier qui aura été interprété comme une demande, puis l’ait oubliée afin de pouvoir<br />
disposer de sa voix sans se trouver encombrer de celle de l’Autre. Le sujet deviendra<br />
ainsi invocant, c’est-à-dire, qu’il pourra soutenir l’hypothèse qu’il existe un Autre<br />
non-sourd, susceptible de pouvoir l’entendre.<br />
Un exemple de cette invocation pourrait être le sujet qui se met à fredonner un air seul<br />
dans la rue. D’où vient qu’une personne qui siffle ou chante un air seule, dans la rue,<br />
au milieu des autres ne provoque pas ce sentiment de folie qui se manifeste<br />
immanquablement face à celui qui, au milieu des autres, parle seul? C’est que, dans ce<br />
cas, les dimensions de la voix et de l’invocation sont mises en <strong>avant</strong>. Le sujet ne<br />
discute pas avec un autre absent, ce qui ramène toujours violemment l’idée de<br />
l’hallucination, mais invoque, par le déploiement de sa voix, un Autre, certes absent,<br />
mais que la voix du sujet a le pouvoir de convoquer pour lui, mais également pour<br />
ceux qui l’entendent. Cette stratégie est bien connue des enfants qui chantent dans le<br />
noir pour ne pas avoir peur. Un petit garçon de cinq ans nous disait, à ce sujet, que<br />
lorsqu’ il chantait dans le noir c’est comme si il y avait de la lumière. Ici, se situe<br />
l’origine du sentiment de gratitude que nous éprouvons pour la chanteuse qui réussit<br />
son air : sa voix nous fait entendre la voix de l’Autre qui n’est pas alors un Autre<br />
persécutif mais un Autre bienveillant à l’égard du sujet qui se fait tout ouïe. Mais gare<br />
à elle si elle vient à rater sa performance, l’insupportable du ratage transforme alors<br />
l’auditeur en persécuteur. On comprend alors la haine qui s’empare de l’amateur<br />
lorsque la voix de la diva « craque » sur une note aiguë qu’il attendait avec tant de<br />
ferveur. Le sujet perçoit alors la voix pour ce qu’elle est : non un montage sublime,<br />
mais un déchet, auquel il choisit de répondre par un déchet : tomates pourries,<br />
sifflets... Ceci montre, si cela était encore nécessaire, combien les enjeux de la voix<br />
concernent le sujet et ne relèvent pas de la seule idéalisation. La douce et divine lyre<br />
d’Apollon ne vont jamais sans son arc meurtrier 1 .<br />
La voix, dans son acception psychanalytique, se manifeste partout et à chaque fois<br />
différemment : au cours de chaque énoncé, dans la musique – même lorsque celle-ci<br />
n’est pas vocale -, mais également dans la danse, l’écriture, les bruits et les silences<br />
qu’elle creuse. Si nous reprenons la définition de l’objet de la pulsion, donnée par<br />
Lacan : «quelque chose dont le sujet, pour se constituer, s’est séparé comme organe » 2 ,<br />
ce n’est ni le sujet, ni l’organe en tant que tel, qui isolément comptent, mais l’entredeux.<br />
Cet espace marquera l’objet de la pulsion du sceau du manque, de la perte. La<br />
voix est à partir de là, appréhendée comme le support corporel d’un énoncé de<br />
langage qu’elle qu’en soit la modalité sensorielle. La voix est cette part du corps qu’il<br />
faut mettre en jeu – sacrifier, pourrait-on même dire – pour produire un énoncé de<br />
langage. Support de l’énonciation discursive la voix disparaît derrière le sens. «<br />
Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » 3 . Ce phénomène<br />
visant à effacer la voix derrière le dit, se repère aisément quand quelqu’un prend la<br />
parole. On peut être au début capté par les caractéristiques de la voix (son accent, par<br />
exemple), mais très vite cela disparaît sitôt que l’on fait attention à ce qui est dit. La<br />
parole voile la voix. À l’inverse, si quelque phénomène vient affecter l’énoncé<br />
signifiant (par l’introduction d’une temporalité particulière, ou bien en perturbant<br />
l’énonciation par un registre incompatible avec l’articulation de certains phonèmes,<br />
1 G. DUMEZIL, Apollon sonore, Paris, Gallimard, (1982) 1987.<br />
2<br />
J. Lacan, Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la<br />
psychanalyse, Paris, Le Seuil, (1964) 1973, p. 95.<br />
3 J. Lacan, « L’étourdit », Scilicet, 4, Paris, Le Seuil, 1973, p. 5.<br />
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