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melodie-avant-mots - Lacheret

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comme cela à souvent lieu à l’opéra), la voix cesse d’être transparente sous le sens. La<br />

musique est un de ces délicieux « parasitages » de l’énonciation qui a pour<br />

conséquence de rendre la voix perceptible et ce dans un but de jouissance esthétique. Il<br />

s’agit bien alors de jouir de la voix comme objet.<br />

Le chant, la musique, ce que l’on pourrait nommer ici le lyrisme, ne sont jamais que<br />

des parasitages de l’énonciation langagière ayant pour effet d’opacifier la voix afin de<br />

la rendre perceptible, le plus souvent dans un but esthétique pour jouir de la voix. Le<br />

même effet peut également surgir dans une situation où l’énonciation langagière est<br />

gestuelle, comme par exemple dans le cas d’un sourd qui signerait un énoncé. Grâce à<br />

une amplitude, à un enchaînement dans une continuité particulière des signifiants<br />

gestuels, le sourd « signant » arrive à produire une sorte de chant gestuel, de<br />

chorégraphie, mettant en <strong>avant</strong> la corporéité du support de son discours, au point de le<br />

rendre parfois inintelligible.<br />

Si le rapport de tension entre voix et signifiant s’applique intégralement à propos du<br />

signifiant gestuel du sourd signant, il en est de même pour ce qui concerne le<br />

signifiant écrit. La calligraphie illustre parfaitement comment, par l’introduction d’une<br />

certaine continuité, d’un mouvement, d’un rythme, bref du corps, dans une inscription<br />

signifiante, celle-ci s’en trouve transformer, devenant objet d’art et de jouissance au<br />

détriment de l’intelligibilité : il est en effet bien difficile de retrouver derrière le<br />

dessein du calligraphe le sens de l’énoncé calligraphié. Il est donc naturel de retrouver<br />

dans ces trois modalités du chant, le chant sonore le chant gestuel et le chant<br />

graphique les mêmes effets : présentification de l’enjeu du corps et rapport paradoxal<br />

au signifiant dans la mesure où ce qui en est le support, la voix dans sa modalité<br />

acoustique, gestuelle ou graphique, vient distordre le signifiant jusqu’à en évacuer la<br />

dimension du sens. C’est dans ce processus paradoxal que résident les fondements de<br />

l’effet de jouissance produit et, par voie de conséquence, les fondements de l’art, qui,<br />

dans chacune de ces modalités, sonore, visuelle et graphique, vise tout à la fois à<br />

susciter et à réguler, par les règles de l’art, la jouissance liée à l’objet en jeu sous ses<br />

diverses modalités.<br />

À partir de là, deux éléments peuvent être avancés qui nous permettront de cerner en<br />

quoi la voix, telle que la psychanalyse l’appréhende, excède les enjeux de<br />

signification.<br />

Le premier c’est qu’il est impropre de dire que l’oiseau chante. On peut dire, à la<br />

limite, qu’il parle, mais pas qu’il chante. Les modulations, la mélodie de son<br />

énonciation sonore font en effet partie intégrante de son énoncé signifiant, qu’il soit<br />

signal d’alerte, appel à la femelle ou marque territoriale. Jamais il ne va moduler sa<br />

propre énonciation pour la distordre dans un but autre que celui qui correspond son<br />

émission naturelle. Il y a chez l’oiseau adéquation entre l’émission et le message. La<br />

voix n’est pas ici en excès et il y a fort à parier que l’on rencontre pas chez l’oiseau,<br />

même lorsqu’il s’égosille ou chante à tue tête toute une journée pour appeler la<br />

femelle, de phénomène d’aphonie. C’est bien parce que la voix est chez l’être humain<br />

un objet de jouissance qu’il peut être le lieu de constructions de symptômes.<br />

Le second, c’est que dans la logique définie ci-dessus, la danse, la chorégraphie et la<br />

calligraphie relèvent en fait de l’art de la voix sous sa modalité gestuelle ou écrite.<br />

Pour montrer que cette énoncé ne relève pas seulement du goût du paradoxe, il<br />

suffirait de rappeler que toute relation de communication langagière s’effectue sous les<br />

deux modalités : acoustique et gestuelle. Dans le cas d’un échange de paroles, où le<br />

signifiant s’énonce dans le registre vocal sonore donc, toute parole dans toute culture<br />

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