melodie-avant-mots - Lacheret

L’analyse acoustique des « conversations » et des jeux chantés entre les mères et les
enfants démontre les effets de la maladie psychique de la mère sur sa voix et sur la
vitalité et l’expressivité de l’enfant (Robb 1999), et l’absence d’accordage affectif. Par
exemple, les émotions de la proto-conversation ont été évaluées en observant ce qui
advient quand la mère ne prête pas attention à l’intérêt qu’elle suscite chez son enfant.
Si une mère rend plus rigide l’expressivité de son visage pendant une minute, alors
qu’elle joue avec son enfant de deux mois, celui-ci manifeste clairement des émotions
de retrait et d’abattement (Tronick & al. 1978, Murray & Trevarthen 1985). Un pattern
semblable d’anxiété et de tristesse apparaît quand la mère présente un style de
communication déprimé. La dépression postnatale de la mère est un obstacle à la
communication et, si elle dure, s’accompagne souvent chez l’enfant de perturbations
du développement cognitif 1 .
En outre, grâce à l’utilisation d’un appareil à double téléviseurs, l’enfant et la mère
étant placés dans deux pièces distinctes et interagissant face à face à travers un
système vidéo et sonore commun 2 , on peut comparer les réactions de l’enfant quand
l’interaction a lieu en temps réel et quand elle est artificiellement décalée d’une demiseconde
: les expressions de la mère décalées dans le temps engendrent des
comportements de détresse. L’ajustement temporel et l’accordage rythmique sont donc
essentiels. Dans notre centre de recherche, Anne Delavenne 3 a étudié les interactions
communicatives vocales entre des mères borderline et leur bébés de 3 mois.
Comparées aux interactions avec des mères non borderline d’un groupe contrôle, les
interactions observées montrent que les mères borderline sont plus rigides et plus
strictement répétitives (sans variations) que les mères du groupe de contrôle. De ce
fait, les enfants vocalisent moins et se désintéressent très rapidement de ce que fait la
mère. La musicalité et l’accordage affectif apparaissent donc essentiels dans la coconstruction
d’un temps partagé entre la mère et son enfant, et cette condition est
primordiale pour l’efficacité de l’échange communicatif.
On connaît maintenant, grâce aux travaux de Rizzolati et de son équipe, l’existence
dans le cerveau humain et dans le cerveau des grands primates de structures
neuronales qui ont pour fonction de permettre la compréhension du sens et de la
motivation de l’action physique d’autrui 4 . Rizzolati et ses collaborateurs présentent ces
structures comme des réseaux de neurones miroirs qui ont pour fonction de
coordonner l’activité des mêmes aires cérébrales entre un « agent » et un
« observateur ». Sans exécuter l’action, l’observateur forme la même représentation
motrice de l’action que l’agent qui l’exécute. On peut sans doute généraliser, car
comprendre l’action d’autrui signifie aussi en comprendre l’intentionnalité. Les
1 MURRAY, L. & COOPER, P. J. (Eds.) (1997). Postpartum Depression and Child
Development, New York: Guilford Press. Tronick, E. Z. & Weinberg, M. K., 1997, Depressed
mothers and infants: Failure to form dyadic states of consciousness, in: Murray L.,, Cooper
P.J. (edited by), Postpartum Depression and Child Development, pp. 54-81. Guilford Press,
New York.
2 Murray, L. & Trevarthen C. (1985). “Regulation of interactions between two-montholds
and their mothers”, Social Perception in Infants, T. Field & N. Fox, (Eds), Ablex,
Norwood, NJ, p. 177-197. Nadel, J.; Carchon, I.; Kervella, C.; Marcelli, D. & Réserbat-
Plantey, D. (1999). “Expectancies for social contingency in 2-month-olds”, Developmental
Science, 2, p.164-173.
3 DELAVENNE A., Gratier M., Devouche E., et Apter G., 2008. Phrasing and
fragmented time in « pathological » mother-infant vocal interaction. Musicae Scientiae,
Special issue, 47-72.
4 G. Rizzolati et C. Sinigaglia, Les neurones miroirs, Paris, Odile Jacob, 2008.
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