6. Un souffle autour de rien Dans l’expérience poétique moderne la poésie tend ainsi à s’éloigner de l’oralité et du discours pour devenir de plus en plus une chose écrite. Tandis que les valeurs de création se substituent aux valeurs d’expression, elle se resserre sur ses propriétés, se dégage de l’enseignement et du pathos sentimental et en vient à se définir comme la pure dépense d’une voix écrite. Une voix créée ex-nihilo, inaugurale, sans précédent, faisant événement par elle-même. La première strophe du premier « Sonnet à Orphée » de Rilke est à cet égard significative: Là s’élançait un arbre. O pur surpassement! Oh! mais quel arbre dans l’oreille au chant d’Orphée! Et tout s’est tu. Cependant jusqu’en ce mutisme naît un nouveau commencement, signe et métamorphose. 1 L’image qui s’impose alors est celle d’un mutisme et d’une écoute censés rendre possible un « nouveau commencement ». Comme si le propre du poète était de faire taire les bavardages et les bruits pour accueillir le chant d’un sens plus pur. Ce chant fait corps avec l’existence, ou l’exister. Il se veut la manifestation la plus authentique possible de l’humain et pour cela il doit faire oublier jusqu’à l’opacité de la parole même. Commentant les <strong>mots</strong> par lesquels Rilke définit le Chant, « Rien d’autre qu’un souffle. Une brise en Dieu. Un vent. Un souffle autour de rien », Blanchot écrit ceci dans L’Espace littéraire 2 : Un souffle autour de rien: c’est là comme la vérité du poème, quand il n’est plus qu’une intimité silencieuse, une pure dépense dans laquelle est sacrifiée notre vie, et non pas en vue d’un résultat, pour conquérir ou acquérir, mais pour rien, dans le pur rapport auquel est ici donné le nom symbolique de Dieu. “Chanter est un autre souffle”: il n’est plus ce langage qui est affirmation saisissable et saisissante, convoitise et conquête, le souffle qui aspire en respirant, qui est toujours en quête de quelque chose, qui dure et veut la durée. Dans le chant, parler, c’est passer au-delà, consentir à ce passage qui est pur déclin, et le langage n’est plus rien d’autre que “cette profonde innocence du cœur humain par laquelle celui-ci est en mesure de décrire, dans sa chute irrésistible jusqu’à sa ruine, une ligne pure. Ce modèle du poème comme pure dépense de la voix, constituant en soi une expérience radicale du langage et ne voulant se mettre au service de rien qui lui préexiste, cette idée que le poème trace une ligne pure semblable au passage éphémère de l’existence humaine dans le monde, nous la retrouverons par exemple chez Paul Valéry et Yves Bonnefoy, deux poètes pour qui la thématique de la voix a une grande importance. Il serait donc bien hasardeux et imprudent de n’entendre dans la poésie moderne qu’un inexorable étranglement de la voix. Sa pureté et sa fragilité sont valorisées par 1 Rilke, Poésies, Paris, Le Seuil, 1972, p. 379. 2 Maurice BLANCHOT, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955, p. 188. 48
certains. Elle demeure cette instance à laquelle se réfère la poésie pour parler d’ellemême, de son origine, de son sens et de sa trajectoire. Pour Jean Tardieu: Qu’il laisse un nom ou devienne anonyme, qu’il s’éteigne dans un soupir, de toutes façons le poète disparaît, trahi par son propre murmure, et rien ne reste après lui qu’une voix -sans personne. Tel est le poète : une voix qui demeure après que quelqu’un s’en est allé. 49
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