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melodie-avant-mots - Lacheret

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Analyse et espace sonore<br />

Clarisse BARUCH<br />

Université de Paris Ouest Nanterre<br />

Imaginons une scène : un bébé est allongé dans son berceau, aux parois<br />

recouvertes d’un joli tissu représentant des canards et des mares. Il ne peut pas encore<br />

s’asseoir, a fortiori se lever. Son horizon visuel est donc immuable, tant qu’il est posé<br />

là. La proprioception lui fournit des informations relativement constantes. L’univers<br />

olfactif n’est que peu variable, sauf si sa mère fait cuire quelque chose dans la cuisine,<br />

ou si elle arrive près de lui, précédée de son odeur si reconnaissable. Par contre, les<br />

variations sensorielles sur lesquelles il peut exercer son attention, qui évoluent au fil<br />

du temps, sont les bruits qui lui parviennent d’au-delà du berceau : sa mère, là-bas, qui<br />

lui parle, qui chantonne, qui bavarde au téléphone et qui fourrage dans sa cuisine. Un<br />

bain sonore, à l’intérieur duquel le bébé se sent en sécurité, bain familier et rassurant<br />

peu éloigné de celui dans lequel il était in utero, où le sonore était quasiment la seule<br />

source perçue du dehors. La voix de la mère est très précocement reconnue, ses<br />

chansons retenues, le bain sonore accompagne le bain corporel.<br />

Maintenant, une autre scène : un cabinet d’analyste, un divan, un fauteuil<br />

derrière. Un cadre immuable, la même table, le même tableau au mur, et surtout le<br />

même plafond. La rayure, là, toujours au même endroit. Un patient, allongé. Trois fois<br />

par semaine, 45 minutes précises, il retrouve ce décor immuable, la vue ne lui est<br />

d’aucune utilité, pas plus que le gout ou l’odorat. La proprioception lui apporte des<br />

informations sur l’intérieur, mais peu sur l’extérieur. Mais la voix, la sienne surtout,<br />

habite le lieu, permet la rencontre de deux présences, la sienne et celle de l’analyste.<br />

La voix emplit l’espace, et le patient s’entend parler. Délibérément, il ne reste plus<br />

qu’elle. Mais l’attention du patient est également dirigée vers l’arrière, d’où peut à tout<br />

moment surgir une autre voix, tellement investie, tellement attendue, que ce soit pour<br />

s’imprégner de ses paroles ou pour les rejeter violemment. Peuvent advenir également<br />

un bruissement de tissu, une toux, un signe de l’existence de l’analyste, ou plutôt de ce<br />

qu’il représente de la réactivation d’une relation « ni tout à fait la même, ni tout à fait<br />

une autre », transposition, au sens musical du terme d’une autre relation, si familière<br />

celle là –transposition, décalque à l’identique des intervalles, mais sur une autre clef,<br />

tel est le transfert. Peu importe que le timbre ne corresponde pas, les conditions sont<br />

réunies pour que s’opère une communication avec un au-delà transférentiel, « ailleurs<br />

et naguère », qui ne prend son sens que dans la conjonction du passé et du présent, de<br />

l’infantile et de l’actuel, du conscient et de l’inconscient, du primaire et du secondaire.<br />

Les similitudes sont troublantes.<br />

Le dispositif spécifique « fauteuil-divan » induit le rappel corporel de<br />

souvenirs sans <strong>mots</strong>, impressions, sensations, sans que ni l’un ni l’autre des<br />

protagonistes n’en ait forcément conscience. Il favorise la régression, principalement<br />

topique (du conscient vers l’inconscient) et temporelle (du présent vers l’infantile),<br />

évite au maximum tout repérage par rapport à une réalité externe, toute<br />

communication involontaire de la part de l’analyste d’où qu’elle vienne ; il place le<br />

patient dans une position délibérément passive et infantilisante, le corps et la vue étant<br />

en sourdine. Il faut que cette régression soit possible, qu’elle n’engloutisse pas le<br />

patient, qui doit pouvoir revenir, en fin de séance, dans un présent fort différent. C’est<br />

pourquoi le divan n’est pas un dispositif qui convient à tous. L’aventure analytique,<br />

telle qu’elle peut se vivre lors d’une cure-type, qui au cours des années va explorer<br />

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