11.03.2015 Views

melodie-avant-mots - Lacheret

melodie-avant-mots - Lacheret

melodie-avant-mots - Lacheret

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Ces ressentis sont d’abord de nature dynamique et temporelle, et c’est là ce qui<br />

fait leur originalité. Ils donnent une épaisseur à l’instant, au présent de l’action ou de<br />

l’émotion en cours, et c’est sans doute d’abord cela que perçoit le nourrisson des<br />

actes, des gestes, des attitudes de sa mère ou des personnes qui l’entourent. Ce sont<br />

des façons de sentir, d’être avec, <strong>avant</strong> d’être des émotions ou des sentiments<br />

particuliers. La comparaison avec la musique ou la danse s’impose alors, car le<br />

chorégraphe ou le compositeur traduit bien plus une façon de sentir qu’un sentiment<br />

particulier. Ils modulent, « stylisent » des programmes comportementaux fixes et<br />

rigides comme la marche, le sourire, etc. Tous les humains marchent, mais, alors que<br />

je ne distingue pas encore vos traits, au loin, je vous reconnais à votre démarche...<br />

Un affect de vitalité est donc un temps émergent, un fragment de temps dans le<br />

présent qui se ressent comme une suite de tensions et de détentes plus ou moins fortes,<br />

comme une suite de variations d’intensité de la sensation, un « profil d’activation » du<br />

sujet. Un exemple donné par Daniel Stern est remarquablement lumineux : pour<br />

calmer son enfant, la mère va lui dire « Allez, allez, allez... ». Elle le fait en<br />

accentuant la première syllabe, en ralentissant sur la deuxième. Mais elle peut tenter<br />

d’obtenir le même effet sans rien dire, seulement en caressant la tête de son enfant : le<br />

geste, la caresse ont alors le même profil, appuyé au début, ralenti et allégé à la fin. Ce<br />

qui est intéressant ici est que le bébé ressent les deux comportements de la même<br />

façon, et qu’il fait donc ainsi l’expérience d’un même affect de vitalité caractérisé par<br />

un profil d’activation déterminé qu’il ressent et « reconnaît » immédiatement 1 .<br />

3. Accordage affectif et musicalité du comportement<br />

Partons de l’expérience de musiciens qui jouent ensemble, par exemple dans<br />

un quatuor : de tout ce qui vient d’être dit, on comprend aisément qu’ils ont à partager<br />

ensemble des affects de vitalité, non seulement ceux qu’ils peuvent ressentir en eux<br />

mêmes dans leur interaction avec les autres membres du quatuor, mais ceux que leur<br />

suggèrent la musique et qu’il leur faut aussi partager. Or, pour que l’ensemble soit<br />

homogène, pour que l’unité de jeu et de ton soit possible, il faut qu’ils s’ajustent les<br />

uns sur les autres, qu’ils s’écoutent pour s’accorder, non seulement du point de vue<br />

des paramètres objectifs (diapason, tempo, phrasé, accents, ...) mais aussi du point de<br />

vue du ressenti de la musique qu’ils jouent. Il faut donc que leur accordage soit aussi<br />

un accordage affectif.<br />

Or cette idée simple, que tout le monde peut facilement comprendre et admettre,<br />

possède un enracinement et des mécanismes psychologiques très profonds.<br />

L’accordage affectif est un processus essentiel de la construction du lien<br />

interpersonnel intersubjectif. Dans l’observation des conduites des mères avec leur<br />

enfant, ce partage est rendu visible par les ajustements interpersonnels portant sur le<br />

tempo, le rythme, l’intensité et la forme : non par une imitation réciproque de la mère<br />

et de l’enfant, mais par une recherche du correspondant émotionnel exact, au-delà des<br />

formes extérieures perçues de la conduite. Il s’agit en somme de trouver cette<br />

« couleur » ou « tonalité » ressentie et désormais partagée en utilisant au besoin toutes<br />

les capacités de transposition transmodale dont l’enfant est capable : bref, il s’agit que<br />

la mère et l’enfant s’accordent, comme les musiciens eux-mêmes, pour entrer en<br />

résonance émotionnelle l’un avec l’autre, et qu’ils partagent des affects de vitalité.<br />

C’est cela que Stern appelle « accordage affectif ».<br />

1 Ibid., p. 83.<br />

19

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!