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melodie-avant-mots - Lacheret

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tous. À la jointure d’un corps respirant et d’un élan vers une autre « forme de vie »,<br />

aspiration que nous appelons « âme », la voix chantante manifeste à la fois<br />

l’incarnation du sens et la capacité à élever la voix. Il y faut un espace transitionnel<br />

tapissé, voire constitué de souffle. L’exemple d’Othello lu par Cavell montre les<br />

ravages de la non-reconnaissance de cette voix, qui est moins celle du féminin que<br />

celle de la source affective et sensible de la pensée. La philosophe et poète Emily<br />

Grosholz revient elle aussi aux personnages de Shakespeare. Elle souligne l’urgence<br />

de reconnaître, avec Cavell, Wittgenstein et Austin, que le jugement humain n’est pas<br />

épuisé par la logique, et qu’il a des dimensions métaphysique, rhétorique et<br />

pragmatique. Cavell et Austin nous rappellent que « dire » est une espèce du « faire »,<br />

et que les récits, tout aussi bien que les jugements, en sont l’expression. Elle veut donc<br />

compléter l’approche logique par celle que permet la poésie dramatique, à ses yeux<br />

révélatrice. À travers les personnages shakespeariens, E. Grosholz montre que les<br />

personnages, ces « individualités typiques », sortes d’universaux enveloppés dans des<br />

formes de vie particulières, débordent leur fonction dans l’intrigue, et ne sont pas<br />

seulement des rôles. À travers leur voix, nous retrouvons le sujet, les interactions,<br />

l’adresse du langage : les « formes de vie » sont réintroduites dans la logique. E.<br />

Grosholz souligne la polyphonie du personnage dramatique : il a plusieurs voix. La<br />

musicologue Marcia Citron, spécialiste de l’opéra-film, étudie une voix chantée<br />

caractérisée comme « intérieure » car entendue des spectateurs seuls et non des autres<br />

protagonistes du drame. L’opéra-film permet donc un « aparté », où le chanteur chante<br />

sans remuer les lèvres, comme s’il pensait, ou comme si quelque chose comme un<br />

rêve intérieur devenait audible pour lui comme pour le public. Marcia Citron,<br />

examinant deux cas de voix présente-absente dans l’opéra film Les noces de Figaro de<br />

Jean-Pierre Ponnelle, emprunte à Peter Conrad l’hypothèse selon laquelle cette voix de<br />

soliloque est celle d’un chant intérieur qui exprime les mouvements subliminaux du<br />

désir. Le chant du Comte Almaviva, entièrement chanté bouche close, est celui d’une<br />

conscience claire, dont le désir de pouvoir est inséparable de ses coordonnées sociales<br />

de classe, alors que celui de Cherubino, chanté mi pour soi mi pour le public, est plus<br />

ambigu, androgyne, entre narcissisme et élan érotique. Mais ils montrent tous deux<br />

une tension entre voix et regard, comme si la musique d’opéra luttait contre les<br />

pouvoirs du cinéma. La voix montre son ambiguïté : elle est partagée entre ses<br />

pouvoirs de déclaration publique et sa capacité à exprimer une subjectivité inconnue<br />

de soi, voire inconsciente.<br />

Usages de la voix<br />

Les dimensions sociales et inconscientes de la voix, qui étaient jusqu’ici<br />

seulement évoquées en arrière-plan, sont prises directement comme objets dans la<br />

troisième partie du livre, Usages de la voix, qui tient explicitement compte de<br />

l’organisation et de l’institution. Elle commence par l’exposé très synthétique du<br />

psychanalyste Jean-Michel Vives sur l’approche psychanalytique de la voix. À la suite<br />

de Jacques Lacan et de Michel Poizat, Jean-Michel Vives part d’une conception de la<br />

voix non réductible au sonore : elle est l’objet d’une pulsion d’appel (ou pulsion<br />

« invocante »). Ce qui permet de comprendre que la voix puisse être un objet de<br />

jouissance. Jean-Michel Vives retrouve les linguistes Anne <strong>Lacheret</strong> et Dominique<br />

Legallois pour dire que la voix excède les enjeux de signification, et retrouve Maya<br />

Gratier et Michel Imberty quand il parle de la portée expressive de la voix <strong>avant</strong> la<br />

parole. Il retrouve enfin la question des usages artistiques de la voix quand il parle des<br />

règles de l’art comme régulation de la jouissance. Il termine en évoquant les moments<br />

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