melodie-avant-mots - Lacheret

Quoi qu’il en soit, les représentations qui se dessinent à travers ces quelques
exemples suggèrent que les « voix trans » sont pensées sur le mode de la discordance.
Elles contredisent assez souvent l’inscription de genre des locuteurs (femmes trans
perçues comme hommes), ou bien troublent l’adéquation attendue entre genre de la
voix et genre du locuteur (femmes trans perçues comme des hommes à voix féminine
ou comme des femmes à voix masculine). Et même lorsqu’elles classent adéquatement
la personne dans son registre de genre ce n’est souvent que modestement puisque les
voix des femmes trans n’obtiennent jamais des scores extrêmes de féminité.
Cette représentation de la « voix trans » en termes de discordance renvoie à la
conception pathologique « classique » des personnes trans qui sont, dans le cadre du
transsexualisme, pensées comme des personnes incohérentes ou dysharmonieuses du
point de vue de leur inscription de genre. Selon cette conception classique la personne
trans est celle qui présente, en effet, un « psychisme » féminin dans un corps masculin
(ou inversement un psychisme masculin dans un corps féminin). Cette « bisexuation »
n’est cependant pas envisagée comme un mélange harmonieux des genres mais plutôt
comme une condition pathologique dont le trait majeur est l’incohérence ; incohérence
que le « traitement » hormonal et chirurgical est chargé d’écarter en proposant une
inscription sexuée nouvelle et unifiée. Le programme de transsexuation 1 apparait en ce
sens comme un processus d’harmonisation, processus qui rejette, en outre, toute
possibilité d’un entre-deux genres : à l’issue du traitement, la personne s’inscrit
complètement dans un seul des genres disponibles.
Dans ce processus de mise en cohérence du psychisme et du corps, la voix
apparaît comme un élément capable de jeter le trouble en maintenant la discordance
initiale. Le vocabulaire utilisé pour qualifier les « voix trans » se déploie, d’ailleurs,
dans l’univers de la pathologie et du handicap : « désordre de la voix » (voice
disorder 2 ), « problèmes de voix » 3 , « voix pathologiques » 4 , « désordre de
communication » 5 , voire même « dysphonie de genre » (gender dysphonia 6 ). Cette
dernière expression est d’ailleurs intéressante dans la mesure où le terme dysphonie,
propre aux troubles de la voix, entre dans le champ des « dysphories de genre », les
troubles du genre, dans lequel s’inscrit le transsexualisme selon le DSM et la CIM 7 .
1 J’entends par « programme de transsexuation », l’ensemble des opérations proposées
par les protocoles médicaux spécialisés, c’est-à-dire au fond ce qu’il est médicalement
convenu de faire en cas de traitement de la dysphorie de genre. Il est à distinguer du parcours
de transsexuation qui peut être défini comme ce que les personnes font et souhaitent faire pour
vivre dans leur genre d’élection.
2 G. T’Sjoen, M. Moerman, J. Van Borsel, E. M. Feyen, P. Hoebeke, P. De Sutter et
al., « Impact of voice in transsexuals », International Journal of Transgenderism , 9 (1), 2006,
p. 1-7.
3 J. Van Borsel, G. De Cuypere, R. Rubens, & B. Destaerke, « Voice problems in
female-to-male transsexuals. International Journal of Language & Communication
Disorders », 35 (3), 2000, p. 427-442.
4 K. Meszaros, L. Csokonai Vitez, I. Szabolcs, M. Goth, L. Kovacs, Z. Gorombei, et al
« Efficacy of conservative voice treatment in male-to-female transsexuals », Folia Phoniatrica
& Logopaedica (57), 2005, p. 111-118.
5 M Pausewang Gelfe & K. Schofield, « Comparison of Acoustic and Perceptual
Measures of Voice in Male-to-Female Transsexuals Perceived as Female Versus Those
Perceived as Male », loc. cit.
6 M. de Bruin, M. Coerts & A. Greven, « Speech therapy in the management of maleto-female
transsexuals. Folia Phoniatrica & Logopaedica », 52, 2000, p. 220-227.
7 La dysphorie de genre est reconnue comme une pathologie psychiatrique dans les
deux manuels de référence que sont le DSM (Diagnostic & Statistical Manual of Mental
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