Eglise, Empire et Genre dans la vie de Mère Marie-Michelle Dédié

18PHYLLIS M. MARTINsavoir la construction du paysage chrétien, la mise en place des objets et desroutines de la vie de tous les jours, l’enseignement de la foi et latransformation des pratiques sociales et culturelles de celles et ceux quiaspiraient à devenir chrétiens 22 . Mais les efforts déployés pour révolutionnerles habitudes ne pouvaient réussir que s’ils coïncidaient peu ou prou avec lesvaleurs et les aspirations indigènes, et dans Congo du tournant du 20 e siècle,le projet missionnaire n’était pas très bien vu par les populations voisines dela mission. L’implantation et le développement de celle-ci en furent d’autantplus lentes et troublées, car les populations locales résistaient à tous lesefforts de conversion et boycottaient la mission en tentant d’entraverl’acheminement de la nourriture, le transport et toute autre aide logistique 23 .Il ne s’agit pas ici d’entrer dans les détails de la dynamique des sociétésafricaines, mais en général on peut dire que les familles étaient réticentes àl’idée de confier leurs filles aux Sœurs du couvent. Les Anciens considéraientles rites d’initiation avant le mariage, la dot et la polygynie comme desinstitutions essentielles non négociables ; en outre, le pouvoir de productionet de reproduction des femmes ne pouvait être ainsi cédé à des étrangers. Larésistance provenait en outre des responsables religieux locaux et de ceux quidoutaient que cette nouvelle religion, le christianisme, porte en elle lesremèdes sociaux et physiques permettant d’atténuer les perturbationsprovoquées par la conquête coloniale.22 Il y a maintenant un grand nombre d’études sur les missionnaires, l’Église africaine et les chrétiensafricains. Parmi les plus notables , celles de T.O. Beidelman Colonial Evangelism : a socio-Economic study of an East African Mission at the Grassroots (Bloomington : Indiana UniversityPress, 1982) et « Altruism and Domesticity : Images of Missionizing Women among theC.M.S. in Nineteenth Century East Africa », dans Huber et Lutkehaus (éd), Gendered Missionspp.113-134 ; Jean Comaroff et John L. Comaroff « Home-Made Hegemony : Modernity, Domesticity,and Colonialism in South Africa » dans Karen Tranberg Hansen (éd.), African Encounterswith Domesticity (New Brunswick, NJ : Rutgers University Press, 1992), pp.37-76, et OfRevelation and Revolution (Chicago : University of Chicago Press, 1991, et 1997), 2 volumes ;Paul Stuart Landau, The Realm of the Word : Language, Gender and Christianity in a Southern AfricanKingdom (Porthsmouth, NH : Heinemann, 1995) ; Pier M. Larson, « Capacities and Modes ofThinking » : Intellectual Engagements and Subaltern Hegemony in the Early History of MalagasyChristianity» , American Historical Review, 102 (1997), pp.969-1002 ; Nancy Rose Hunt, AColonial Lexicon of Birth Ritual, Medicalization and Mobility in the Congo (Durham : Duke UniversityPress, 1999).23 A propos des premières années de l’installation de Brazzaville, voir Phyllis M. Martin, Loisirs etsociété à Brazzaville pendant l'ère coloniale (Paris : Karthala, 2005), chapitre 1 – livre originellementpublié en anglais sous le titre de Leisure and Society in Colonial Brazzaville (Cambridge : CambridgeUniversity Press, 1995) ; pour des conditions similaires à la première mission des Sœursau Congo à Loango, voir Martin, « Vie et mort, pouvoir et vulnerabilité ».