Eglise, Empire et Genre dans la vie de Mère Marie-Michelle Dédié

EGLISE, EMPIRE & GENRE 37Dès avant l’aurore, les fiancés sont là sur la place de l’église, avec les témoinset les deux familles des conjoints… Tout en devisant gaiement, ils scrutentparfois inconsciemment du regard la route qui monte de chez les sœurs d’oùdoivent venir les bien-aimées… Enfin, voilà là-bas, sortant de la touffe debambous, l’essaim qui gravit allègrement la côte, conduit par la “Mère”.Les cloches de la cathédrale sonnaient alors que chaque couple se rencontraitet s’alignait pour rentrer dans l’Église pour la cérémonie de mariage :Sur la place c’est le premier éclat de joie, au milieu des félicitations bruyantesdes parents et des amis. On examine de plus près les costumes decirconstance, lesquels représentent l’état de fortune de chacun ; on peut voirdes vestons d’une coupe irréprochable, des cravates prétentieuses, dessouliers vernis et des chapeaux de toutes formes. Les jeunes femmes, lespieds également cerclés de perles en guise de chaussures, étalent une infinievariété dans leurs pagnes et leurs camisoles en cretonne imprimée. Leurscompagnes s’empressent de leur nouer artistiquement autour de la tête lemouchoir bariolé qui leur servira de coiffure désormais. 69Les photographies confirment le caractère grandiose de la scène. Après lemariage, les couples se rendaient au couvent pour remercier les sœurs. Dansun rare élan de fierté pour la tâche accomplie, Mère Marie écrivait à laMaison-mère en 1929 : « cette année j’ai marié 224 filles. Il n’y a pasbeaucoup de mères en France qui en ont fait autant » 70 . C’était une réussitequi relevait à la fois du patriotisme et d’un triomphe pour l’Église.Un autre projet remarqué de « sens maternel » des dernières années deMère Marie au Congo concernait les enfants métis abandonnés par leur pèreblanc, des soldats français basés à Brazzaville pendant la guerre. Les femmesafricaines, incapables de pourvoir aux besoins de ces enfants, venaient à lamission pour demander de l’aide. Du point de vue impérial, le « problème »des métis prit une ampleur toute particulière pendant cette période, toutcomme c’était le cas en Afrique de l’Ouest. Dans les années 20, avec l’arrivéedes blancs en nombre croissant, l’attention des autorités se porta sur unepolitique qui accentuait la distanciation sociale et raciale. Les implicationsbiologiques, l’ordre urbain, la respectabilité et la citoyenneté bourgeoisesétaient devenus les thèmes de débats sur les populations métisses dans les69 R.P.Jaffré, « De Plougastel au Congo », Au service du Maître de la Mission : Annales desSœurs de Saint-Joseph de Cluny, 23 (1930), pp.1-3.70 ASSJC, Congo D, Lettres, Mère Marie à Mère générale, 24 mai 1921 ; « Communauté du Sacré-Cœurà Brazzaville », BCSSJC, 157 (1923-1927), p.468.