30PHYLLIS M. MARTINmission qui <strong>la</strong> percevaient comme un contrepied à <strong>la</strong> situation sur <strong>la</strong>frontière coloniale. Dans le mon<strong>de</strong> violent du Congo français, lescontradictions <strong>de</strong> l’impérialisme étaient palpables <strong>dans</strong> les journaux <strong>et</strong> lesrécits <strong>de</strong>s jeunes gens qui avaient quitté <strong>la</strong> France emplis d’idéalisme pour ser<strong>et</strong>rouver face à <strong>de</strong> dures réalités une fois sur p<strong>la</strong>ce. Le fossé existant entreles idées <strong>de</strong> fraternité universelle <strong>et</strong> <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> <strong>la</strong> conquête coloniale secreusa radicalement en Afrique équatoriale 53 . Certains pouvaient justifierc<strong>et</strong>te situation comme résultant <strong>de</strong> ce qui était perçu comme l’état d’espritarriéré <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions indigènes <strong>et</strong> d’autres parvenaient à survivre ou às’enrichir, pendant que certains recherchaient <strong>de</strong>s images héroïques leurrappe<strong>la</strong>nt leurs idéaux <strong>et</strong> <strong>la</strong> France qu’ils s’imaginaient avoir <strong>la</strong>issée <strong>de</strong>rrièreeux.Parmi ces <strong>de</strong>rniers, le Colonel Albert Baratier, un <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> file <strong>de</strong> <strong>la</strong>célèbre expédition Marchand, qui séjourna à Brazzaville au cours <strong>de</strong> sonvoyage <strong>de</strong> <strong>la</strong> côte At<strong>la</strong>ntique au Tchad. Issu d’une famille militaire <strong>et</strong> diplômé<strong>de</strong> l’école militaire <strong>de</strong> Saint-Cyr, il représentait <strong>de</strong> par sa formation beaucoup<strong>de</strong> ceux qui menèrent les troupes impériales à <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> l’Afrique 54 . Sonrécit <strong>de</strong> 126 pages parut <strong>dans</strong> un magazine popu<strong>la</strong>ire à doubles colonnesavec une profusion d’illustrations. Tout comme Mère <strong>Marie</strong> quatre ans plustôt, il avait suivi le sentier <strong>de</strong>s caravanes à travers p<strong>la</strong>ines <strong>et</strong> forêts, mais sonrécit était celui d’une conquête <strong>de</strong> l’environnement <strong>et</strong> <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions. Ilcritiquait durement « c<strong>et</strong>te illusion, <strong>la</strong> pénétration pacifique » <strong>et</strong> écrivait que,« leur faire entrevoir un idéal <strong>et</strong> se refuser à voiler <strong>de</strong> sang c<strong>et</strong> idéal, c’est unbeau rêve, malheureusement irréalisable » 55 . Lorsqu’il évoquait sa rencontreavec Mère <strong>Marie</strong>, son style <strong>de</strong><strong>vie</strong>nt plus lyrique. Sur son chemin, en revenantdu débarcadère vers sa maison, il croise, « <strong>la</strong> Mère supérieure <strong>de</strong>s sœurs <strong>de</strong>Brazzaville » <strong>et</strong> il raconte :En <strong>la</strong> voyant si faible, si pâle, presque b<strong>la</strong>nche, <strong>de</strong> ce teint décoloré parl’anémie, <strong>de</strong>vant le calme <strong>de</strong> son visage, j’admirais le contraste offert par elleavec tout ce qui l’environnait. Dans c<strong>et</strong>te atmosphère <strong>de</strong> lutte âpre <strong>et</strong> sans53 Voir, par exemple, Duchesse d’Uzès, Le voyage <strong>de</strong> mon fils au Congo (Paris : Librairie Plon, 1894),p.287 ; Henri Bobichon, Le <strong>vie</strong>ux Congo français <strong>de</strong> l’A.E.F. (Paris : Héraklès, 1939), pp.62-5 ; C.Coquery-Vidrovitch, Brazza <strong>et</strong> <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> possession du Congo, 1833-1885 (Paris : Mouton, 1969),p.199 ; <strong>et</strong>, Le Congo au temps <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s compagnies concessionnaires, p.89 ; Martin, Loisirs <strong>et</strong> société,pp.234-43.54 Numa Broc, Dictionnaire illustré <strong>de</strong>s explorateurs <strong>et</strong> grands voyageurs français du XIX e siècle,Vol. I : Afrique (Paris : Éditions du C.T.H.S., 1988), p.15.55 Colonel Baratier, Au Congo : souvenirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mission Marchand (Paris : Mo<strong>de</strong>rn Bibliothèque), ArthèmeFayard, 1914), p.62.
EGLISE, EMPIRE & GENRE 31merci pour <strong>la</strong> <strong>vie</strong>, <strong>dans</strong> ce pays où les volontés sont perpétuellement tenduesvers un but terrestre, les uns vers <strong>la</strong> gloire, <strong>la</strong> plupart vers <strong>la</strong> fortune, ellereprésentait <strong>la</strong> paix, le calme, elle était celle qui n’appartient plus au mon<strong>de</strong>,celle qui vit <strong>dans</strong> <strong>la</strong> volonté d’En Haut.Il poursuivait en soulignant les mêmes qualités qui figurent <strong>dans</strong> lesrécits re<strong>la</strong>tés par les missionnaires, tout en les rattachant <strong>de</strong> manière plusspécifique à l’entreprise impérialiste :Ici, tous s’inclinent avec respect <strong>de</strong>vant elle <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant ses sœurs, exiléesvolontaires dont les ennemis mêmes ne peuvent nier le sacrifice ; le climatdéjà terrible pour les hommes est mortel pour elles, elles le savent <strong>et</strong> neveulent pas y songer… A les voir passer <strong>dans</strong> leur simplicité, leur humilité,leur pur<strong>et</strong>é, dissimu<strong>la</strong>nt sous un visage toujours affable leurs propressouffrances pour ne penser qu’à celles d’autrui, les plus endurciss’attendrissent. Leur présence donne un charme <strong>de</strong> douceur souriante <strong>et</strong> <strong>de</strong>bonté à l’occupation française… <strong>la</strong> sœur est le lien entre terre <strong>et</strong> ciel, pourtous, elle est le lien entre l’Afrique <strong>et</strong> <strong>la</strong> France.Il concluait le récit <strong>de</strong> sa rencontre avec Mère <strong>Marie</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière suivante :« Toute faible que soit c<strong>et</strong>te sœur que nous venons <strong>de</strong> croiser, j’ai pensé quesans être une puissance, elle était une force, peut-être <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> force <strong>de</strong>Brazzaville, celle qui émane <strong>de</strong> l’amour <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> charité » 56 .Deux références plus courtes à Mère <strong>Marie</strong> <strong>et</strong> aux sœurs <strong>de</strong> Clunyméritent d’être mentionnées, car elles soulignent les mêmes qualités <strong>et</strong> sontreliées à <strong>la</strong> France. L’œuvre <strong>de</strong>s bonnes sœurs évoquait <strong>la</strong> France, une présenceféminine rassurante, rendue encore plus frappante par le contexte hostile <strong>de</strong>l’Afrique équatoriale. Raymond Colrat <strong>de</strong> Montrozier, journaliste, arriva àBrazzaville environ <strong>de</strong>ux ans après Baratier avec une expédition chargéed’évaluer <strong>la</strong> richesse <strong>de</strong> l’Afrique centrale pour son exploitation future 57 . Ilécrivait :Je veux toutefois, avant <strong>de</strong> quitter Brazzaville, dire quelques mots sur <strong>de</strong>sfemmes compatissantes <strong>et</strong> dévouées prêtes à tous les sacrifices. Non loin duposte, un peu en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, se trouve une maison où l’on ne dit dumal <strong>de</strong> personne <strong>et</strong> où l’on fait son <strong>de</strong>voir en n’attendant <strong>de</strong> récompense quedu ciel. Les bonne sœurs <strong>de</strong> Cluny, au nombre <strong>de</strong> cinq, se dévouent là àtoutes les misères. Elles vont <strong>dans</strong> les vil<strong>la</strong>ges, cherchant les p<strong>et</strong>ites filles àsoigner, <strong>et</strong> tiennent chez elles une sorte d’hospice d’incurables. Les ma<strong>la</strong>dies56 Baratier, Au Congo, p.12057 Broc, Dictionnaire illustré, I, p.87.
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