22PHYLLIS M. MARTINMême si les re<strong>la</strong>tions entre l’Église <strong>et</strong> l’État pouvaient être cordiales,elles étaient souvent au mieux difficiles <strong>et</strong>, au pire, hostiles, au gré <strong>de</strong>s prises<strong>de</strong> positions <strong>de</strong>s administrateurs, <strong>de</strong>s priorités <strong>de</strong> Mgr. Augouard <strong>et</strong> duchangement <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique officielle en métropole 33 . Lorsque Mère <strong>Marie</strong>arriva en 1892, l’administrateur en chef, Albert Dolisie, avait d’assez bonsrapports avec Mgr. Augouard, puisque l’évêque était aussi bien unnationaliste <strong>et</strong> un « explorateur » qu’il était homme d’Église, <strong>et</strong> que les <strong>de</strong>uxhommes partageaient l’objectif commun <strong>de</strong> faire avancer <strong>la</strong> présencefrançaise vers l’intérieur. A <strong>la</strong> fin du siècle toutefois, lorsque <strong>de</strong>sgouvernements anti-cléricaux prirent le pouvoir en France à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>l’affaire Dreyfus, les re<strong>la</strong>tions entre l’Église <strong>et</strong> l’État se détériorèrent <strong>et</strong> lesagents coloniaux <strong>et</strong> Mgr. Augouard échangeaient récriminations <strong>et</strong> contreattaquessur le manque <strong>de</strong> nourriture, l’utilisation <strong>de</strong>s bateaux <strong>et</strong> les écoles.Au début, l’évêque avait pu négocier une subvention annuelle pour chaqueenfant <strong>dans</strong> les écoles <strong>de</strong>s missions, mais avec l’introduction <strong>de</strong>s lois anticléricalesen France <strong>et</strong> l’arrivée, lorsque Brazzaville <strong>de</strong>vint <strong>la</strong> capitale <strong>de</strong>l’AEF (1909), <strong>de</strong> jeunes administrateurs jugés par Augouard comme étantouvertement anti-cléricaux, le gouvernement réduisit les subventions, puisles supprima. À titre <strong>de</strong> représailles, Mgr. Augouard refusa <strong>de</strong> <strong>la</strong>isserinspecter les écoles <strong>et</strong> les autorités attribuèrent ces mauvaises re<strong>la</strong>tions aucaractère « combatif » <strong>et</strong> « irréductible » <strong>de</strong> l’évêque 34 . Le récit d‘actesindividuels colporté par <strong>la</strong> rumeur publique vnait parfois alimenter lesdisputes. En 1898, le nouvel administrateur, qui était arrivé à Léopoldville, <strong>la</strong>capitale coloniale belge <strong>de</strong> l’autre côté du fleuve Congo, refusa <strong>de</strong> traverser lefleuve sur le bateau <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission, même si celui-ci arborait le drapeaufrançais, <strong>et</strong> il préféra prendre un bateau belge. La même année, un jeuneofficier colonial aurait refusé <strong>de</strong> donner une poignée <strong>de</strong> main à Mgr.Augouard lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> célébration officielle du Nouvel An. Mgr. Augouard,33 Selon plusieurs rapports rédigés par <strong>de</strong>s hommes d’église <strong>et</strong> <strong>de</strong>s administrateurs adressés auxautorités en France.34 Élisab<strong>et</strong>h Rabut, Brazza, Commissaire général : le Congo français, 1886-1897 (Paris, Éditions <strong>de</strong>l’EHESS, 1989), pp.138, 148-50 ; Archives <strong>de</strong>s Pères du Saint-Esprit, Chevilly (APSE),511/B/VI, rapports d’Augouard sur l’œuvre d’assistance aux enfants, 20 jan<strong>vie</strong>r 1908 <strong>et</strong> 26mars 1917 ; « Mission <strong>de</strong> l’Oubangui », BCPSE, 25 (1909-1910), pp.510 <strong>et</strong> 527 (1913-1914),p.61 ; AOM, AP667 (2), Augouard, « Rapport au ministère <strong>de</strong>s Colonies sur les écoles <strong>et</strong> lesautres œuvres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission catholique en Haut-Congo français », 16 septembre 1919 ; Oli<strong>vie</strong>rOuassango, « Les aspects financiers du Vicariat <strong>de</strong> l’Oubangui », Mémoire spiritaine 14 (2001),p.224 ; De Bonchamps, « Rapport sur <strong>la</strong> région <strong>de</strong> Brazzaville ».
EGLISE, EMPIRE & GENRE 23pour sa part, s’abstenait d’assister aux fêtes officielles du 14 juill<strong>et</strong> <strong>et</strong> duNouvel An – ou alors n’y était même pas invité 35 .Des re<strong>la</strong>tions plus cordiales semblent s’être établies entre <strong>la</strong> mission <strong>et</strong> <strong>la</strong>communauté commerciale, mais il y avait <strong>de</strong>s exceptions. Parmi les ennemiscon<strong>de</strong>scendants <strong>de</strong> l’évêque figuraient les cinq frères Tréchot, commerçants<strong>et</strong> propriétaires <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntations influents du Haut-Congo <strong>et</strong> qui faisaient partie<strong>de</strong>s fondateurs d’une loge <strong>de</strong> francs-maçons <strong>de</strong> Brazzaville au début dusiècle. Mgr. Augouard les accusa ouvertement <strong>de</strong> toute une série <strong>de</strong> méfaitstels que frau<strong>de</strong> douanière, contreban<strong>de</strong> d’armes <strong>et</strong> interférence <strong>dans</strong> lesécoles <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission <strong>dans</strong> le Haut-Congo, tandis qu’eux l’accusaient en r<strong>et</strong>ourd’essayer <strong>de</strong> bloquer <strong>la</strong> nomination <strong>de</strong> François Tréchot comme Consul <strong>de</strong>France au Congo belge 36 . C<strong>et</strong>te mise à l’écart était fondée davantage sur <strong>de</strong>smotifs religieux que commerciaux.On peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment Mère <strong>Marie</strong> parvint à naviguer <strong>dans</strong> cemon<strong>de</strong> masculin <strong>dans</strong> lequel sa sphère d’influence était restreinte <strong>et</strong>comment, <strong>de</strong> sa position <strong>de</strong> vulnérabilité, elle put faire avancer ses prioritésd’évangélisation, d’éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> soins maternels prodigués aux filles <strong>de</strong> <strong>la</strong>mission. Étant donné le pouvoir <strong>et</strong> <strong>la</strong> proximité <strong>de</strong>s missionnaires hommes,les Sœurs jeunes <strong>et</strong> souvent inexpérimentées qui étaient sous saresponsabilité <strong>et</strong> le manque <strong>de</strong> ressources <strong>de</strong> bases comme <strong>la</strong> nourriture <strong>et</strong>les vêtements, ses stratégies semblent avoir été à <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation.Au prix d’efforts considérables, elle utilisa au mieux sa position en marge <strong>de</strong><strong>la</strong> société, préférant ne pas s’aliéner le pouvoir masculin mais l’utiliser sipossible à son avantage, <strong>et</strong> choisissant <strong>de</strong> contourner l’autorité épiscopaleplutôt que <strong>de</strong> <strong>la</strong> défier directement. De telles stratégies correspondaient peutêtreà son caractère — pour autant que l’on puisse en juger par ses l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong>les rapports d’autres personnes —, à <strong>la</strong> vision qu’elle se faisait <strong>de</strong> sa vocation,ou tout simplement à <strong>de</strong>s choix judicieux parmi les options qui seprésentaient à elle. Ou bien c’était une combinaison <strong>de</strong> tous ces éléments, lessources ne nous perm<strong>et</strong>tant pas vraiment <strong>de</strong> parvenir à une conclusion c<strong>la</strong>ire<strong>et</strong> n<strong>et</strong>te.35 E. De Mandat-Grancey, Au Congo : impressions d’un touriste (Paris : Librairie Plon, 1900), pp.198,200, 204, 217 ; Augouard, « 44 années au Congo », pp.179-80.36 Gilles Sauter, De l’At<strong>la</strong>ntique au fleuve Congo : une géographie du sous-peuplement (Paris :Mouton <strong>et</strong> Co., 1966), pp.279, 290-293 ; Catherine Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s compagnies concessionnaires, 1898-1930 (Paris : Mouton <strong>et</strong> Co., 1972), pp.58-9,98-99.
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