Eglise, Empire et Genre dans la vie de Mère Marie-Michelle Dédié

EGLISE, EMPIRE & GENRE 11fortement centrée sur le rôle de la femme 4 . Les colonies constituaient nonseulement « un espace physique, mais aussi un espace imaginaire » 5 quecertains hommes emplissaient de descriptions et de récits sur Mère Marie.Pour eux, sa vie, en pleine conquête et occupation colonialesparticulièrement violentes, incarnait la dévotion, l’héroïsme et le sacrifice desoi-même, et donnait ainsi un visage plus humain à la mission impérialiste.Les réussites très concrètes de Mère Marie, les louanges à son égard dans lesrécits contemporains et les récompenses prestigieuses qu’elle reçut duGouvernement français sont autant d’indices laissant penser que les sœursmissionnaires méritent une place plus importante dans l’étude del’impérialisme 6 .Mère Marie aurait certainement prétendu que sa vie était tout à faitordinaire et qu’elle se contentait tout simplement d’accomplir son devoirreligieux. À son retour en France pour sa retraite en 1931 – elle était alorsdevenue une célébrité aux yeux de beaucoup – elle refusa tout entretien avecdes journalistes lors de son arrivée à Bordeaux et aurait déclaré : « je n’ai rienà dire. Je n’ai rien fait qui mérite l’attention de vos lecteurs 7 », même si elleaurait peut-être pu reconnaître que sa longévité était extraordinaire. Ellemourut en 1943 à Paris à l’âge de quatre-vingt quatre ans à une époque oùles chances de survie après quelques années de mission en Afrique centraleétaient plutôt minces. Toute une série de maladies, du paludisme aux4567F. Gouda et J. Clancy-Smith, « Introduction » in Clancy-Smith et Gouda (éd.), Domesticating theEmpire, pp.8, 9-11.Frederick Cooper et Ann Laura Stoler (éd.), Tensions of Empire (Berkeley : University of California,1997), p.3.La littérature sur les femmes missionnaires s’est étoffée dans de vastes proportions depuis queFiona Bowie a écrit en 1994 : « nous savons peu de choses sur le rôle joué par les femmesdans les missions » et que le terme « missionnaire » était considéré comme un mot de genremasculin : F. Bowie, D. Kirkwood et S. Ardener (éd.), Women and Missions : Past and Present(Oxford : Berg, 1993), p.1. Les articles qui intègrent les missionnaires et l’impérialisme varientdans leur couverture, toutefois en insistant davantage sur les protestantes que sur les catholiqueset beaucoup plus encore sur l’empire britannique que sur l’empire français. Une récentecollection d’essais, Mary Taylor Huber et Nancy C. Lutkehaus (éd.), Gendered Missions : Womenand Men in Missionary Discourse and Practice (Ann Arbor: University of Michigan Press, 1999), indiquetoute une série de nouveaux écrits, mais la mention des sources et missions françaisesest relativement faible. Sur les ordres religieux de femmes missionnaires, voir Femmes en mission,Actes de la XI e session du CREDIC (Lyon : Éditions lyonnaises d’Art et d’Histoire, 1991) etÉlisabeth Dufourcq, Les congrégations religieuses féminines hors d’Europe de Richelieu à nos jours : histoirenaturelle d’une diaspora (Paris : Librairie de l’Inde Éditeurs, 1993), 4 volumes.Le courrier du Finistère, 29 août 1931.