Eglise, Empire et Genre dans la vie de Mère Marie-Michelle Dédié

EGLISE, EMPIRE & GENRE 25En conformité avec la tradition des congrégations religieuses françaises,Mère Marie se rendait aussi en-dehors de la mission auprès des bienfaiteursdans la communauté. Sa plus grande source de soutien matériel était son bonami, Anton Gresshof, Directeur de la compagnie concessionnairehollandaise, une personnalité connue sur les deux rives du fleuve. Setrouvant à la tête d’un réseau commercial qui s’étendait jusqu’en haut dufleuve et à la côte Atlantique, il avait beaucoup de ressources à partager avecla Mère supérieure. Il répondait aux appels dans les situations désespérées etenvoyait de l’aide non sollicitée sous forme d’argent, de nourriture et devêtements pour les filles. En janvier 1899, quand Mère Marie tombagravement malade et qu’elle fut contrainte de retourner en Europe pourquelques mois, Gresshof paya son billet de train jusqu’à la côte et paya lesupplément pour la faire voyager en première classe de Bordeaux à Paris.N’étant pas catholique lui-même, il donna néanmoins des cadeauximportants aux religieuses tel qu’un vitrail pour leur chapelle et un tableau deSaint-Antoine 41 . Il y avait aussi des catholiques dévoués qui offraient leursoutien et une fois que des familles blanches arrivèrent, les parentscommencèrent à inscrire leurs filles à l’école du couvent, permettant ainsi àMère Marie l’accès à une communauté plus large 42 . Mais ce dont elle parle leplus dans ses lettres, c’est sa réussite au sein de la communauté africaine : lenombre de filles à l’école, le dispensaire et l’hôpital du couvent installés peude temps après son arrivée, les jeunes femmes formées à leur rôle d’épouseset de mères chrétiennes, et un nombre croissant de familles chrétiennes.Images d’empireLa vie « ordinaire » de Mère Marie Dédié, telle qu’elle la racontait dans leslettres qu’elle envoyait à Paris, paraissait beaucoup moins ordinairelorsqu’elle est contée par d’autres — hommes d’Église ou laïques —,d’autant plus que ces récits la replaçaient dans une vision bien plus large, à lafois séculaire et ecclésiastique 43 . Alors même que les réussites de sa vie41 ASSJC, 2A/u.2.4, M. Marie à Mère générale, 14 mars 1893, 14 juillet 1893, 18 janvier 1899, 14mars 1900, 10 septembre 1900, 25 octobre 1901 ; Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps desgrandes compagnies concessionnaires, p.60.42 « Communauté du Sacré-Coeur à Brazzaville », BCSSJC, 114 (1914), p.437.43 Les comptes-rendus sur la vie de Brazzaville sont moins nombreux pour les années 20 et lesannées 30 que pour la période précédente. Le seul compte-rendu existant sur la vie à Brazzavillepar une femme pendant le séjour de Mère Marie est celui de Gabrielle M. Vassal, Life inFrench Congo (Londres : T. Fisher Unwin Ltd. : 1925). Au chapitre 6 sur « la mission catholique