12PHYLLIS M. MARTINtroubles gastro-intestinaux, m<strong>et</strong>taient fin à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> d’un grand nombre <strong>de</strong>jeunes femmes au début <strong>de</strong> leur carrière <strong>de</strong> missionnaire 8 .<strong>Marie</strong>-<strong>Michelle</strong> Dédié semble avoir été sincèrement timi<strong>de</strong> <strong>et</strong>, en tantque religieuse, elle était profondément imbue <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition d’effacementétablie par sa congrégation, l’ordre missionnaire <strong>de</strong>s Sœurs <strong>de</strong> Saint-Joseph<strong>de</strong> Cluny. C’était une <strong>vie</strong> pleine <strong>de</strong> contradictions : étonnante mais ordinaire,glorifiée mais cachée, publique mais privée, indépendante mais soumise 9 .Elle vivait <strong>dans</strong> une culture religieuse <strong>dans</strong> <strong>la</strong>quelle le sens du bien communl’emportait sur l’individualisme, <strong>la</strong> communauté sur <strong>la</strong> valeur personnelle <strong>et</strong>les vœux religieux sur <strong>la</strong> réussite. Elle était profondément consciente du rôle<strong>de</strong> femme qui lui avait été attribué par l’<strong>Eglise</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> société en général. Elles’est abstenue <strong>de</strong> chercher à repousser les limites <strong>de</strong> ces conventions <strong>et</strong> aucontraire a fait le meilleur usage possible <strong>de</strong> l’espace qui lui était réservé pourdonner plus <strong>de</strong> pouvoir à sa communauté <strong>et</strong> atteindre ses principauxobjectifs : l’éducation chrétienne <strong>de</strong>s filles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s femmes africaines qu’elleconsidérait, quel que soit leur âge, comme <strong>de</strong>s enfants ayant besoind’attention, <strong>de</strong> discipline <strong>et</strong> d’amélioration (selon une opinion répandue àl’époque en Europe).Sa culture se basait sur les principes édictés par <strong>la</strong> fondatrice <strong>et</strong> Mèregénérale <strong>de</strong> <strong>la</strong> congrégation, une femme remarquable, Anne-<strong>Marie</strong> Javouhey(1779-1851), qui, <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> Maison-mère <strong>de</strong> Paris ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission au Sénégal<strong>et</strong> en Guyane écrivait <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres à celles qu’elle appe<strong>la</strong>it ses89Voir par exemple Phyllis M. Martin, « Vie <strong>et</strong> mort, pouvoir <strong>et</strong> vulnérabilité : contradictionsquotidiennes à <strong>la</strong> Mission <strong>de</strong> Loango, 1883-1904 », Mèmoire Spiritaine, 21(2005), 84-115 publiéoriginellement en ang<strong>la</strong>is sous le titre <strong>de</strong> « Life and Death, Power and Vulnerability: EverydayContradictions at the Loango Mission, 1883-1904 », Journal of African Cultural Studies 1(2002):pp.61-78.Les sœurs <strong>de</strong> Saint-Joseph <strong>de</strong> Cluny sont arrivées au Congo en 1886 <strong>et</strong> continuent encore <strong>de</strong>nos jours à œuvrer <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> l’enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action sociale presque entièrementpar l’entremise <strong>de</strong> sœurs africaines (même si, puisqu’il s’agit d’une congrégation missionnaire,<strong>de</strong>s sœurs d’In<strong>de</strong> ou d’autres pays africains peuvent travailler au Congo, tandis que <strong>de</strong>sreligieuses congo<strong>la</strong>ises peuvent être envoyées à l’étranger). Jusqu’à un passé récent, lorsquec<strong>et</strong>te congrégation s’est davantage décentralisée <strong>et</strong> que les responsables locaux ont bénéficiéd’une plus gran<strong>de</strong> autorité, les mères supérieures <strong>de</strong>vaient envoyer un rapport mensuel sousforme <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tre à <strong>la</strong> Mère générale à Paris. J’ai appris à connaître Mère <strong>Marie</strong> à <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> sesl<strong>et</strong>tres, (plus <strong>de</strong> 200 existent encore), qu’elle a envoyées entre 1892 <strong>et</strong> 1931 à <strong>la</strong> Maison Mèrequand elle était <strong>la</strong> Mère supérieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté <strong>de</strong>s Sœurs <strong>de</strong> Brazzaville. D’autres l<strong>et</strong>tressont <strong>dans</strong> les archives <strong>de</strong>s Pères du Saint-Esprit <strong>et</strong> <strong>dans</strong> <strong>la</strong> collection <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille. D’uneécriture impeccable, ces l<strong>et</strong>tres dépeignent <strong>la</strong> <strong>vie</strong> quotidienne <strong>de</strong>s sœurs missionnaires, leurssuccès <strong>et</strong> leurs problèmes <strong>et</strong> les rapports avec les popu<strong>la</strong>tions locales, l’épiscopat (c’est-à-dire<strong>la</strong> congrégation missionnaire <strong>de</strong>s Pères du Saint-Esprit) <strong>et</strong> d’autres Européens. Elles sont égalementun témoignage <strong>de</strong> foi <strong>et</strong> <strong>de</strong> piété.
EGLISE, EMPIRE & GENRE 13« filles » <strong>dans</strong> les missions du mon<strong>de</strong> entier, les exhortant à suivre <strong>la</strong> Volontédivine, à respecter leurs vœux <strong>et</strong> à servir les pauvres <strong>et</strong> les déshérités. Avecl’approbation du Gouvernement français, Mère Javouhey avait fondé unecommunauté financièrement autonome pour esc<strong>la</strong>ves libérés, <strong>dans</strong> <strong>la</strong>quelleelle avait introduit ses métho<strong>de</strong>s novatrices d’éducation, <strong>et</strong> où elle conservaitson indépendance. Femme courageuse <strong>et</strong> intransigeante à <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong> sesobjectifs, qu’il s’agisse <strong>de</strong> l’abolition <strong>de</strong> l’esc<strong>la</strong>vage ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> sacongrégation, elle défia les préjugés <strong>de</strong> l’époque sur le rôle <strong>de</strong>s femmes <strong>dans</strong>l’Église ou les milieux <strong>la</strong>ïques, se m<strong>et</strong>tant à dos les propriétaires <strong>de</strong>p<strong>la</strong>ntations, les administrateurs coloniaux <strong>et</strong> l’épiscopat 10 . Selon un récitrépété à maintes reprises, on dit qu’elle s’est attirée l’admiration <strong>de</strong> Louis-Philippe qui aurait déc<strong>la</strong>ré, « Madame Javouhey, mais c’est un grandhomme » 11 . Mère <strong>Marie</strong>, tout en étant moins ouvertement provocatrice quesa célèbre aînée, avait également un véritable sens <strong>de</strong> sa mission. Elle aussiétait prête à profiter au maximum <strong>de</strong> ce qu’elle percevait comme étant sesdroits, bien que moins désireuse que Mère Javouhey <strong>de</strong> contester les limites<strong>de</strong> son domaine. Je n’ai rien trouvé <strong>dans</strong> les archives <strong>la</strong>issant suggérer qu’ellese considérait héroïque comme d’autres le pensaient. Bien sûr, elle étaitprobablement satisfaite <strong>de</strong> son œuvre, même si sa culture l’empêchait <strong>de</strong> se<strong>la</strong>isser aller à <strong>de</strong> telles manifestations <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s l<strong>et</strong>tres qui étaient toutes à <strong>la</strong>gloire <strong>de</strong> Dieu, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Congrégation <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa fondatrice.Avènement d’une missionnaireLes détails du début <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>de</strong> Mère <strong>Marie</strong> sont épars, mais ils apportentquelques indications sur <strong>la</strong> future Mère supérieure. Elle est née le 29 juill<strong>et</strong>1859 à Plougastel-Daou<strong>la</strong>s, une ville d’environ 6 000 habitants sur <strong>la</strong> côtebr<strong>et</strong>onne. Son père mourut avant sa naissance <strong>et</strong> sa mère mourut en couchesou peu <strong>de</strong> temps après, si bien que Mère <strong>Marie</strong>-<strong>Michelle</strong> entra <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>vie</strong>10 Voir, Anne-<strong>Marie</strong> Javouhey, Fondatrice <strong>de</strong> <strong>la</strong> Congrégation <strong>de</strong>s sœurs <strong>de</strong> Saint-Joseph <strong>de</strong> Cluny,Correspondance, 4 volumes (Paris : CERF, 1994), compilé par les Sœurs Jean Hebert <strong>et</strong> <strong>Marie</strong>Cécile <strong>de</strong> Segonzac. Il y a eu plusieurs biographies <strong>de</strong> Mère Javouhey <strong>et</strong> plus récemment celle<strong>de</strong> Geneviève Lecuir-Nemo, Anne-<strong>Marie</strong> Javouhey : fondatrice <strong>de</strong> <strong>la</strong> congrégation <strong>de</strong>s sœurs <strong>de</strong> Saint-Joseph <strong>de</strong> Cluny (1779-1851) (Paris : Kartha<strong>la</strong>, 2001). Pour son vil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> Mana <strong>et</strong> sa lutte contrel’esc<strong>la</strong>vage en Guyane, voir Lecuir-Nemo, Anne-<strong>Marie</strong> Javouhey, pp.155-273 ; <strong>et</strong> Troy Feay, Missionto Moralize : S<strong>la</strong>ves, Africans, and Missionaries in the French Colonies, 1815-1852, thèse <strong>de</strong> doctorat,Université <strong>de</strong> Notre-Dame (USA), 2003, pp.98-99, 106-110.11 Lecuir-Nemo, Anne-<strong>Marie</strong> Javouhey, suggère que le roi a utilisé ces mots, « sans aucun douteparce qu’à son époque il manquait <strong>de</strong> mots pour définir [autrement] <strong>la</strong> personnalité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>tefemme qui l’avait impressionné » (p.379).
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