38PHYLLIS M. MARTINcolonies 71 . La présence <strong>de</strong>s métis rappe<strong>la</strong>it sans cesse aux b<strong>la</strong>ncsségrégationnistes <strong>de</strong> Brazzaville que les catégories pouvaient être remises encause, les frontières dépassée, <strong>et</strong> l’ordre colonial défié. Ou, comme l’avaitdéc<strong>la</strong>ré Andrée Blouin <strong>dans</strong> une condamnation acerbe <strong>de</strong> ses années passéesà <strong>la</strong> mission catholique à <strong>la</strong>quelle sa mère l’avait confiée dès l’âge <strong>de</strong> trois ans,elle <strong>et</strong> ses camara<strong>de</strong>s étaient <strong>de</strong>s « aberrations <strong>de</strong> l’espèce » avec « leurpotentiel <strong>de</strong> perturbation <strong>de</strong> l’ordre établi » 72 . En 1919, MonseigneurAugouard <strong>la</strong>nçait un appel au ministre <strong>de</strong>s Colonies pour obtenir unesubvention afin <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> ces enfants, en soulignant le <strong>de</strong>voirpatriotique :Il semble que c’est à <strong>la</strong> France qu’incombe le soin <strong>de</strong> secourir ces pauvresenfants qui vont r<strong>et</strong>ourner à <strong>la</strong> barbarie … d’autre part, les p<strong>et</strong>ites mulâtres semultiplient à Brazzaville <strong>et</strong> leurs pères les abandonnent ensuite sans aucunremords. Leur sort est peut-être pire que celui <strong>de</strong>s p<strong>et</strong>its Noirs <strong>et</strong> c’est unspectacle vraiment écœurant <strong>de</strong> voir ces <strong>de</strong>mi-b<strong>la</strong>ncs errer sans soins <strong>et</strong>souvent sans vêtements. Ces enfants cependant ne sont pas responsables <strong>de</strong><strong>la</strong> faute <strong>de</strong> leurs parents <strong>et</strong> il faut venir à leur secours.Dans une l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> suivi, il notait : « il y va vraiment <strong>de</strong> l’honneur <strong>de</strong> <strong>la</strong>France » <strong>et</strong> prévenait le ministre que « sans soins, ces p<strong>et</strong>ites filles finiraientpar s’adonner à <strong>la</strong> prostitution » 73 . En 1920, <strong>la</strong> mission <strong>de</strong> Brazzaville avaitreçu le premier d’une série <strong>de</strong> dons publics pour <strong>la</strong> construction <strong>et</strong>l’ameublement <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions <strong>et</strong>, une décennie plus tard, « l’orphelinat » <strong>de</strong>sfilles, adjacent au couvent mais c<strong>la</strong>irement séparaé du travail que les sœursaccomplissaient auprès <strong>de</strong>s filles africaines, abritait cinquante-sept métissesâgées <strong>de</strong> 18 mois à vingt ans. Elles apprenaient le français <strong>et</strong> les matières <strong>de</strong>base, leur principale tâche consistant à coudre <strong>et</strong> faire <strong>de</strong>s r<strong>et</strong>ouches sur lelinge <strong>de</strong> <strong>la</strong> cathédrale, une tâche ordonnée par l’archevêque Guichard 74 . Dansses l<strong>et</strong>tres à <strong>la</strong> Maison-mère, Mère <strong>Marie</strong> ne se <strong>la</strong>issait pas aller à exprimer71 Pour l’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest, voir, Owen White, Children of the French <strong>Empire</strong> : Miscegenation andColonial Soci<strong>et</strong>y in French West Africa, 1895-1960 (Oxford : C<strong>la</strong>rendon Press, 1999) ; Conklin,« Re<strong>de</strong>fining “Frenchness” », pp.71, 77. Pour Brazzaville, voir Martin, Loisirs <strong>et</strong> société, pp.77-84, 243-56.72 Andrée Blouin en col<strong>la</strong>boration avec Jean Mackel<strong>la</strong>r, My Country, Africa : Autobiography of theB<strong>la</strong>ck Passionaria (New York : Praeger, 1983), p.58.73 AOM, AP667 (2), Mgr. Augouard au ministre <strong>de</strong>s Colonies, Paris, 16 septembre 1919, <strong>et</strong> Poitiers,5 novembre 1919. « Communauté du Sacré-Cœur à Brazzaville », BCSSJC, 157 (1925),pp.466-7 ; 187 (1933), pp.539-40 ; ASSJC, Congo D, L<strong>et</strong>tres, M. <strong>Marie</strong> à Mère générale, 10 février1923.74 ASSJC, Congo D, L<strong>et</strong>tres, Mère <strong>Marie</strong> à Mère générale, 2 novembre 1920, 10 février 1923, 10mai 1924.
EGLISE, EMPIRE & GENRE 39une opinion à ce suj<strong>et</strong> — ce qui n’est pas surprenant <strong>de</strong> sa part — maistraitait <strong>de</strong> problèmes pratiques : les besoins <strong>de</strong>s enfants à sa charge <strong>et</strong> lemanque <strong>de</strong> ressources adéquates.Mère <strong>Marie</strong> reçut <strong>de</strong>s témoignages officiels <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong> pour sacontribution <strong>de</strong> femme coloniale <strong>et</strong> <strong>de</strong> missionnaire. En 1913, MonseigneurAugouard l’avait recommandée à un membre <strong>de</strong> l’Académie française qui luiavait décerné un titre honorifique pour ses « trente ans d’Afrique à Dakar <strong>et</strong>à Brazzaville, trente ans avec <strong>la</strong> race noire ». Sur <strong>la</strong> citation il était inscrit :« Missionnaire française, son métier est d’être héroïque » 75 . En 1927, ellereçut <strong>la</strong> médaille <strong>de</strong> <strong>la</strong> Légion d’honneur. C’est le Procureur général <strong>de</strong> l’AEFqui avait proposé à B<strong>la</strong>ise Diagne, le député sénéga<strong>la</strong>is bien connu <strong>de</strong>l’Assemblée nationale à Paris, que Mère <strong>Marie</strong> soit désignée commecandidate en raison <strong>de</strong>s « nombreux services » qu’elle avait rendus à <strong>la</strong>colonie 76 .Le matin du 14 juill<strong>et</strong> 1927, <strong>la</strong> voiture du Gouverneur général arriva aucouvent pour prendre <strong>la</strong> Mère supérieure, <strong>de</strong>venue une femme âgée portant<strong>de</strong>s lun<strong>et</strong>tes. La voiture l’amena à l’emp<strong>la</strong>cement du défilé <strong>et</strong> on <strong>la</strong> fit asseoirau premier rang. Le Gouverneur général Anton<strong>et</strong>ti, en grand uniforme <strong>de</strong>cérémonie, <strong>la</strong> fit avancer <strong>et</strong>, entouré d’officiers <strong>de</strong> l’armée coloniale épéedégainée, il rendit hommage à toute son œuvre <strong>de</strong> patriote à Dakar <strong>et</strong> àBrazzaville. Il termina en concluant : « Au cours <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te longue existence <strong>de</strong>dévouement <strong>et</strong> <strong>de</strong> charité, elle n’a cessé d’être entourée <strong>de</strong> l’estime <strong>et</strong> durespect <strong>de</strong> tous, colons ou fonctionnaires. Par <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> sa <strong>vie</strong>, par lesœuvres d’éducation <strong>et</strong> d’assistance aux indigènes qu’elle a créées, elle a étéune bonne ouvrière <strong>de</strong> l’action civilisatrice française » 77 . Ensuite, il éping<strong>la</strong> <strong>la</strong>Croix <strong>de</strong> Chevalier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Légion d’honneur sur sa poitrine <strong>et</strong> <strong>la</strong> foulel’acc<strong>la</strong>ma 78 . En même temps, au milieu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’histoire coloniale<strong>de</strong> l’Afrique, <strong>de</strong> <strong>vie</strong>illes images subsistaient. Un délégué du pape en tournée àtravers l’Afrique, qui s’était arrêté <strong>dans</strong> <strong>la</strong> capitale française coloniale, avait75 ASSJC, 2A/u.3.6, Archives, Institut <strong>de</strong> France, 1 er août 1913 ; <strong>et</strong> Le courrier colonial, 10 février1914.76 ASSJC, 2A/u.3.6, ministre <strong>de</strong>s Colonies à M. Diagne, Député, 2 juill<strong>et</strong> 1927 ; ministre <strong>de</strong>s Coloniesà Mère <strong>Marie</strong> Dédié, 2 juill<strong>et</strong> 1927 ; Député du Sénégal, B<strong>la</strong>ise Diagne à Mgr. Guichard,5 juill<strong>et</strong> 1927, « Les religieuses à l’honneur », Le courrier du Finistère, 9 juill<strong>et</strong> 1927 ; L’informationcoloniale (Léopoldville), 28 juill<strong>et</strong> 1927.77 La citation officielle fut publiée au Journal officiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> République française, 3 juill<strong>et</strong> 1927.78 ASSJC, 2A/u.2.3, S. Germaine du Saint-Coeur <strong>de</strong> <strong>Marie</strong> à Mère générale, 21 juill<strong>et</strong> 1927 ; Augouard,Anecdotes congo<strong>la</strong>ises, p.229 ; L’information coloniale, 28 juill<strong>et</strong> 1927. La scène a été photographiée<strong>et</strong> reproduite sous forme <strong>de</strong> cartes postales.
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