Eglise, Empire et Genre dans la vie de Mère Marie-Michelle Dédié

32PHYLLIS M. MARTINles plus dégoûtantes ne les rebutent pas….Dévouement tout près del’héroïsme et toujours modeste. 58 .Le contraste résidait non seulement au niveau de la vie des hommes quifrayaient le chemin de l’empire colonial, mais aussi de la sauvagerie présuméedu continent noir évoquée par le titre du livre de Montrozier, Deux ans chezles anthropophages.Enfin, deux ans plus tard, le Colonel Henri Moll se trouvait dans lacapitale de l’Afrique Équatoriale à attendre de l’approvisionnement et untransport pour le Tchad. Comme Baratier, il était diplômé de Saint-Cyr etavait servi en Indochine et au Soudan français. Dans une lettre nostalgique àsa fiancée, il pensait que les sœurs recréaient le monde laissé derrière :J’ai rencontré ce matin les sœurs de la mission catholique menant à lapromenade leurs jeunes catéchumènes, une centaine de petites filles noiresvêtues de pagnes et de camisoles de même couleur. Tout ce petit mondemarchait en rang, deux par deux comme en France et les sœurs veillaientjalousement, avec leur besoin de manifester leur autorité à ce que l’ordre soitbien observé. Elles emportaient des provisions pour aller déjeuner dehors,tout comme chez nous. C’était d’un effet fort drôlatique. 59Je ne voudrais pas suggérer que Mère Marie était fort connue en France,car en fait ceux qui avaient lu à son propos étaient des catholiques, mais onpeut dire qu’elle suscitait des images romancées et féminisées de la viecoloniale pour une certaine catégorie de lecteurs. C’était une vie qui évoquaitles aspects « moralisateurs » de l’expansion impérialiste, que ce soit du pointde vue de la tradition missionnaire ou dans une perspective plus séculaire de« mission civilisatrice » avec ses principes moraux et ses aspects matériels 60 .Un ouvrage tel que celui de Baratier a probablement atteint un public pluslarge, du fait de son statut de membre de l’expédition Marchand qui écrivaitet publiait dans une maison d’édition populaire de Paris. Dans l’imaginairetout comme dans le concret, il semblait implicite que les religieuses avaientapporté à travers leur vie coloniale une plus grande contribution à la Franced’Outre-mer que le comte d’Haussonville ne le faisait entendre dans sonexposé. C’est certainement ce mélange de romantisme et de réalisme qui58 R. Colrat de Montrozier, Deux ans chez les anthropophages (Paris : Librairie Plon, 1902), pp.24-5.59 Colonel Moll, Une âme de colonial : lettres du Lieutenant-Colonel Moll (Paris : Emile-Paul,1912), p.14. Aussi, Broc, Dictionnaire illustré, I, p.234.60 Feay, « Mission to Moralize », par exemple, pp.4-12, 217-90, 301-03 ; Alice L. Conklin, A Missionto civilize : the Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930 (Stanford UniversityPress, 1997), en particulier l’Introduction et les chapitres 3 et 4.