Eglise, Empire et Genre dans la vie de Mère Marie-Michelle Dédié

36PHYLLIS M. MARTINbase d’imposition 65 . L’insistance sur le rôle de la famille découlait aussi d’unsouci d’ordre domestique et d’une tentative « d’accentuer la nécessité et lanormalité de la domination coloniale » 66 . Dans la période d’après-guerre, leclergé avait recommandé que le gouvernement d’AEF accorde des mesuresd’incitation comme des réductions d’impôts aux grandes familles, ; il publiaiten outre les noms des parents ayant beaucoup d’enfants et donnait desmédailles, comme c’était la coutume dans les paroisses françaises 67 .De telles initiatives stratégiques coïncidaient avec l’importance accordéepar les Africains à la fertilité et à la maternité comme étant des signes de l’âgeadulte. Comme l’ont noté Dagmar Engels et Shula Marks, « les idéologies etles politiques coloniales ne pouvaient être acceptées avec succès etconsidérées comme naturelles et légitimes que si elles s’enracinaient dans lemode de vie des souverains et dans celui des sujets » 68 . Et dans la capitale duCongo français des années 20, les intérêts coloniaux, les notions chrétiennesde domesticité et les aspirations africaines urbaines et familiales semblents’être rejointes, en dépit de tout ce qu’il restait encore à négocier et desnombreux problèmes jamais résolus.Le spectacle des mariages multiples à la cathédrale attirait un grandnombre de spectateurs à une époque où les activités de loisirs publics étaientencore rares en ville. Parfois on assistait au mariage de soixante couples enmême temps et cette cérémonie avait lieu quatre ou cinq fois par an. Selonun récit, publié dans le magazine des sœurs, Au service du Maître de la Mission :65 L’angoisse de la population française et la mise en avant de la famille et de la maternité au débutde la IIIe République sont étudiés dans Elinor A. Accampo, Rachel G. Fuchs et MaryLynn Stewart (éd.) Gender and the Politics of Social Reform in France, 1870-1914 (Baltimore : TheJohns Hopkins University Press, 1995). De telles angoisses furent encore accentuées par laPremière Guerre mondiale. Pour l’Afrique de l’Ouest française, voir Alice L. Conklin, « Redefining“Frenchness ” : Citizenship, Race Regeneration and Imperial Motherhood in Franceand West Africa, 1914-40 », dans Clancy-Smith et Gouda, Domesticating the Empire, pp.65- 83.Albert Sarraut, La mise en valeur des colonies françaises (Paris : Payot, 1923) contient la déclarationclassique de cette politique.66 Clancy-Smith et Gouda, Domesticating the Empire, p.9.67 AOM, 5D89, Mgr. Guichard au Gouverneur général, 8 mai 1931 ; APSE, 513 B/III, P.Jaffré àPropagande Fide, 1 er septembre 1930 .68 Dagmar Engels et Shula Marks, « Introduction : Hegemony in a Colonial Context », dans Engelset Marks (éd.), Contesting Colonial Hegemony : State and Society in Africa and India (Londres :British Academy Press, 1994), p.4. Voir aussi, dans le même ouvrage, le chapitre par DeborahGaitskell, « At Home with Hegemony? Coercion and Consent in African Girls’ Education forDomesticity in South Africa before 1910 », pp.110-28.