20PHYLLIS M. MARTINsein <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission, les Sœurs organisaient elles-mêmes le travail auprès <strong>de</strong>sfemmes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s filles, mais <strong>dans</strong> certains domaines, elles <strong>de</strong>vaient rendrecompte aux autorités masculines. Leur champ d’action était défini comme selimitant au domaine domestique. Pour Mère <strong>Marie</strong>, le fait <strong>de</strong> dépasser leslimites définies par l’évêque était lourd <strong>de</strong> conséquences. Comme elle faisaitpart <strong>de</strong> ses dilemmes à <strong>la</strong> Mère générale, ses l<strong>et</strong>tres donnent un aperçu <strong>de</strong> <strong>la</strong>situation. Par exemple, l’administration coloniale était un domaine masculin,<strong>et</strong> essayer <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r directement <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> à l’administration – ai<strong>de</strong> quiétait généralement accordée – risquait <strong>de</strong> provoquer <strong>la</strong> colère <strong>de</strong> l’évêque.Ainsi en 1898, alors qu’elle avait besoin <strong>de</strong> fonds pour amener une Sœurma<strong>la</strong><strong>de</strong> sur <strong>la</strong> côte, elle dut s’en rem<strong>et</strong>tre à l’administration, puisque l’évêquelui avait refusé toute ai<strong>de</strong> <strong>et</strong> lui avait dit <strong>de</strong> se débrouiller. Elle parle <strong>dans</strong> unel<strong>et</strong>tre du mécontentement <strong>de</strong> Mgr. Augouard <strong>et</strong> évoque comment elle avaitdû aller implorer son pardon « à genoux comme une enfant ». Deux ans plustard, tandis que Mgr. Augouard était en voyage en amont du fleuve, elleaccepta <strong>de</strong>s terres offertes par l’administration pour agrandir <strong>la</strong> propriété ducouvent. Mais à son r<strong>et</strong>our, l’évêque, rapporte-t-elle, se déc<strong>la</strong>ra outré qu’un<strong>et</strong>elle décision ait pu être prise sans son consentement, que <strong>la</strong> terre ait étéenregistrée au nom <strong>de</strong>s Sœurs <strong>de</strong> Cluny, <strong>et</strong> que l’administration semblâtsatisfaire les requêtes <strong>de</strong>s Sœurs, mais pas les siennes. Avec l’expansion <strong>de</strong>son travail, ce terrain était une nécessité pour Sœur <strong>Marie</strong>, mais elle se sentitobligée <strong>de</strong> le rendre, un véritable dilemme puisque c’était affirmerpubliquement que <strong>la</strong> division régnait au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission. Quelques annéesplus tard, l’évêque se <strong>la</strong>issa fléchir <strong>et</strong> elle put acquérir le terrain. Parfois,quand Mgr. Agouard était contrarié par les actions <strong>de</strong>s Sœurs, il montrait sonmécontentement en restant à l’écart <strong>de</strong> leur enceinte, créant ainsi unecertaine anxiété au sein <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fragile communauté <strong>de</strong> femmes religieuses 28 .Tout en essayant d’œuvrer <strong>dans</strong> les limites autorisées, les religieusesdépendaient aussi <strong>de</strong>s prêtres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s frères pour les services spirituels, lesoutien logistique <strong>et</strong> leur confort matériel, comme par exemple le maintien<strong>de</strong> <strong>la</strong> propriété. Mais leurs re<strong>la</strong>tions étaient en quelque sorte complémentairesmême si les hommes en général décidaient, car les Sœurs s’occupaient <strong>de</strong>sprincipales tâches domestiques. Par exemple, <strong>dans</strong> ses premières l<strong>et</strong>tres Mère<strong>Marie</strong> par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> <strong>la</strong> couture <strong>et</strong> <strong>de</strong>s r<strong>et</strong>ouches que les Sœurs <strong>de</strong>vaient faire auxvêtements <strong>de</strong>s Pères. Chaque semaine, elles recevaient 7 à 8 paires <strong>de</strong>chauss<strong>et</strong>tes à repriser ; le lundi <strong>et</strong> le mercredi, Monseigneur Augouard28 ASSJC, 2A/u.2.4, M. <strong>Marie</strong> à Mère Générale, 24 octobre 1898 ; Congo C, L<strong>et</strong>tres, M. <strong>Marie</strong> àMère générale, 28 février 1900.
EGLISE, EMPIRE & GENRE 21envoyait ses eff<strong>et</strong>s personnels à <strong>la</strong>ver ; <strong>et</strong> le mardi les Sœurs <strong>de</strong>vaient faireleur propre lessive <strong>et</strong> <strong>la</strong>ver les soutanes <strong>et</strong> le linge pour les services à <strong>la</strong>cathédrale 29 . La préparation <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ts spéciaux, comme <strong>de</strong>s pralines <strong>et</strong> <strong>de</strong>scaramels pour les hommes <strong>et</strong> leurs visiteurs importants, ainsi que servird’infirmière figuraient parmi les tâches fréquentes. En jan<strong>vie</strong>r 1902, Mère<strong>Marie</strong> indiquait qu’elle était allée « s’occuper <strong>de</strong> Monseigneur chaque jourpendant un mois », <strong>et</strong> en jan<strong>vie</strong>r 1909, les Sœurs avaient du prendre soin <strong>de</strong>Mgr. Augouard pendant sa ma<strong>la</strong>die « jour <strong>et</strong> nuit » 30 . Les l<strong>et</strong>tres <strong>de</strong> Mère<strong>Marie</strong> révèlent que toute leur énergie était détournée <strong>de</strong> leur travaild’évangélisation <strong>et</strong> d’éducation <strong>de</strong>s filles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s femmes, ce que les sœursdéploraient parfois, d’autant plus que leurs propres ma<strong>la</strong>dies venaientfréquemment agraver le problème. Mais, étant donné leur situation, leurformation <strong>et</strong> leur vocation, elles savaient être conciliantes face aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s<strong>de</strong>s missionnaires hommes.Les Sœurs faisaient aussi partie d’une communauté é<strong>la</strong>rgie, celle <strong>de</strong>sb<strong>la</strong>ncs. La société européenne était en général masculine, célibataire <strong>et</strong> jeune ;en eff<strong>et</strong>, en 1900 il y avait seulement sept femmes b<strong>la</strong>nches à Brazzaville surune popu<strong>la</strong>tion totale <strong>de</strong> 241 personnes <strong>et</strong> six <strong>de</strong> ces femmes étaient <strong>de</strong>sreligieuses. En 1913, les femmes représentaient environ 12 % <strong>de</strong> <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion b<strong>la</strong>nche 31 . C’était une société divisée, car les tensions <strong>de</strong> <strong>la</strong>métropole y étaient transférées <strong>et</strong> accentuées par <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>de</strong> proximité <strong>dans</strong> unposte colonial. Les monarchistes <strong>de</strong>vaient co-exister avec les républicains, lescatholiques fervents avec les anti-cléricaux, les citadins aristocrates avec <strong>de</strong>ru<strong>de</strong>s aventuriers. Au Congo français, <strong>la</strong> situation était tout particulièrementtroub<strong>la</strong>nte vingt ans après sa conquête par <strong>la</strong> France. Tandis que lesadministrateurs luttaient pour survivre, <strong>la</strong> mission dressée sur les hauteurs <strong>et</strong>qui ne cessait <strong>de</strong> s’étendre avec ses bâtiments épiscopaux, les écoles, leschamps <strong>de</strong> cultures <strong>et</strong> sa main-d’œuvre illustrait le pouvoir <strong>de</strong> l’Église 32 .29 ASSJC, 2A/u.2.4, M. <strong>Marie</strong> à Mère générale, 14 avril 1893 <strong>et</strong> 31 mars 1895 ; S. Stanis<strong>la</strong>s <strong>de</strong>Christ à Mère générale, 11 septembre 1899.30 ASSJC, Congo C, L<strong>et</strong>tres, Mère <strong>Marie</strong> à Mère générale, 25 juin 1902 ; Congo D, L<strong>et</strong>tres, Mère<strong>Marie</strong> à Mère générale, 16 jan<strong>vie</strong>r 1909 ; Chanoine Augouard, La <strong>vie</strong> inconnue <strong>de</strong> Monseigneur Augouard(Evreux : M. Poussin, 1934), pp.177 <strong>et</strong> 341.31 La popu<strong>la</strong>tion européenne à Brazzaville du temps <strong>de</strong> Mère <strong>Marie</strong> était comme suit : en 1900,241 hommes/7 femmes ; en 1913, 485 hommes/67 femmes ; en 1927, 428 hommes/126femmes ; en 1931, 230 hommes/115 femmes. Voir Martin, Loisirs <strong>et</strong> société, p.56.32 Administrateur <strong>de</strong> Bonchamps au Commissaire général du Congo français, « Rapport sur <strong>la</strong>région <strong>de</strong> Brazzaville, Libreville », 1 er mai 1900 , document non publié ; Martin, Loisirs <strong>et</strong> société,pp.234-43.
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