10PHYLLIS M. MARTINFormulées à une époque <strong>de</strong> débats intenses entre l’Église <strong>et</strong> l’État, lesréserves du comte étaient partagées par beaucoup, en particulier par lesmembres <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> pression républicains <strong>et</strong> anticléricaux. Au cours dudix-neuvième siècle, les religieuses avaient fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> positionssouvent négatives : elles étaient potentiellement anti-patriotes, travail<strong>la</strong>ientsur territoire français pour une institution étrangère ; leurs vœux <strong>de</strong> chast<strong>et</strong>éétaient contre nature <strong>et</strong> à caractère anti-social ; <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus, elles ne pouvaientpas servir <strong>de</strong> modèles <strong>de</strong> mère aux jeunes filles fréquentant leurs écoles.Néanmoins, selon une vision plus pragmatique, partagée même par lesrépublicains les plus modérés, on reconnaissait que <strong>dans</strong> certainescirconstances, les «bonnes sœurs » pouvaient avoir un rôle restreint à jouer<strong>dans</strong> <strong>la</strong> société, comme <strong>la</strong> prestation <strong>de</strong> soins <strong>et</strong> les œuvres charitables 2 .La carrière <strong>de</strong> Mère <strong>Marie</strong>-<strong>Michelle</strong> Dédié en Afrique coloniale pendantquarante-neuf ans semble suggérer que le rôle réel <strong>et</strong> imaginé <strong>de</strong>s sœursmissionnaires <strong>dans</strong> les postes coloniaux était plus <strong>la</strong>rge que celui autorisé enFrance <strong>et</strong> plus complexe que ne l’envisageait le comte, même si les sœurs nefaisaient pas figure <strong>de</strong> mères biologiques 3 . Pour l’État, en l’absence d’écolesprimaires pour filles, les sœurs missionnaires prodiguaient une éducationpratique aux filles <strong>et</strong> femmes africaines, posant ainsi les fondations d’unnouvel ordre domestique <strong>dans</strong> l’empire colonial français. Pour l’Église, ellesfaisaient partie d’une mission évangélique qui engendrait <strong>la</strong> transformationsociale <strong>et</strong> assurait l’enseignement <strong>de</strong> <strong>la</strong> foi. Les sœurs d’Afrique équatorialefaisaient aussi l’obj<strong>et</strong> d’écrits par <strong>de</strong>s Européens, hommes d’Église ou<strong>la</strong>ïques, évoquant <strong>de</strong>s visions d’un empire idéalisé. Ces femmes missionnairesalimentaient une « imagerie verbale animée <strong>et</strong> facile à comprendre » <strong>et</strong>123leur bonne volonté à me faire partager les photographies, les documents <strong>et</strong> les souvenirs <strong>de</strong>famille. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> a bénéficié <strong>de</strong> fonds accordés par le Pew Charitable Trusts <strong>et</strong> Indiana University.C<strong>et</strong> article fait partie d’un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> livre sur les femmes catholiques au Congo–Brazzaville.M. le Comte d’Haussonville <strong>et</strong> M.J. Chailey-Bert, L’émigration <strong>de</strong>s femmes aux colonies (Paris : ArmandColin <strong>et</strong> Co., 1897), pp.5-6, 58-59 ; Jan<strong>et</strong> R. Horne, « Visions of empire among Muséesocial reformers, 1894-1931 », in Julia C<strong>la</strong>ncy-Smith <strong>et</strong> Frances Gouda (éd.), Domesticating the<strong>Empire</strong> : Race, Gen<strong>de</strong>r and Family Life in French and Dutch Colonialism (Charlottesville : Universityof Virginia Press, 1997), pp.21-42 ; Stuart Michael Persell, The French Colonial Lobby, 1889-1938(Stanford : Hoover Institution Press, 1983), pp.3, 26-36.Judith F. Stone, «Anticlericals and bonnes sœurs : the rh<strong>et</strong>oric of the 1901 Law of Associations »,French Historical Studies 23 (2000) : pp.103-128.Mère <strong>Marie</strong> signait ses l<strong>et</strong>tres « Sœur <strong>Marie</strong> » ou « Sœur <strong>Marie</strong> Sainte-Fina », son nom <strong>de</strong> religieuse.
EGLISE, EMPIRE & GENRE 11fortement centrée sur le rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme 4 . Les colonies constituaient nonseulement « un espace physique, mais aussi un espace imaginaire » 5 quecertains hommes emplissaient <strong>de</strong> <strong>de</strong>scriptions <strong>et</strong> <strong>de</strong> récits sur Mère <strong>Marie</strong>.Pour eux, sa <strong>vie</strong>, en pleine conquête <strong>et</strong> occupation colonialesparticulièrement violentes, incarnait <strong>la</strong> dévotion, l’héroïsme <strong>et</strong> le sacrifice <strong>de</strong>soi-même, <strong>et</strong> donnait ainsi un visage plus humain à <strong>la</strong> mission impérialiste.Les réussites très concrètes <strong>de</strong> Mère <strong>Marie</strong>, les louanges à son égard <strong>dans</strong> lesrécits contemporains <strong>et</strong> les récompenses prestigieuses qu’elle reçut duGouvernement français sont autant d’indices <strong>la</strong>issant penser que les sœursmissionnaires méritent une p<strong>la</strong>ce plus importante <strong>dans</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>l’impérialisme 6 .Mère <strong>Marie</strong> aurait certainement prétendu que sa <strong>vie</strong> était tout à faitordinaire <strong>et</strong> qu’elle se contentait tout simplement d’accomplir son <strong>de</strong>voirreligieux. À son r<strong>et</strong>our en France pour sa r<strong>et</strong>raite en 1931 – elle était alors<strong>de</strong>venue une célébrité aux yeux <strong>de</strong> beaucoup – elle refusa tout entr<strong>et</strong>ien avec<strong>de</strong>s journalistes lors <strong>de</strong> son arrivée à Bor<strong>de</strong>aux <strong>et</strong> aurait déc<strong>la</strong>ré : « je n’ai rienà dire. Je n’ai rien fait qui mérite l’attention <strong>de</strong> vos lecteurs 7 », même si elleaurait peut-être pu reconnaître que sa longévité était extraordinaire. Ellemourut en 1943 à Paris à l’âge <strong>de</strong> quatre-vingt quatre ans à une époque oùles chances <strong>de</strong> sur<strong>vie</strong> après quelques années <strong>de</strong> mission en Afrique centraleétaient plutôt minces. Toute une série <strong>de</strong> ma<strong>la</strong>dies, du paludisme aux4567F. Gouda <strong>et</strong> J. C<strong>la</strong>ncy-Smith, « Introduction » in C<strong>la</strong>ncy-Smith <strong>et</strong> Gouda (éd.), Domesticating the<strong>Empire</strong>, pp.8, 9-11.Fre<strong>de</strong>rick Cooper <strong>et</strong> Ann Laura Stoler (éd.), Tensions of <strong>Empire</strong> (Berkeley : University of California,1997), p.3.La littérature sur les femmes missionnaires s’est étoffée <strong>dans</strong> <strong>de</strong> vastes proportions <strong>de</strong>puis queFiona Bowie a écrit en 1994 : « nous savons peu <strong>de</strong> choses sur le rôle joué par les femmes<strong>dans</strong> les missions » <strong>et</strong> que le terme « missionnaire » était considéré comme un mot <strong>de</strong> genremasculin : F. Bowie, D. Kirkwood <strong>et</strong> S. Ar<strong>de</strong>ner (éd.), Women and Missions : Past and Present(Oxford : Berg, 1993), p.1. Les articles qui intègrent les missionnaires <strong>et</strong> l’impérialisme varient<strong>dans</strong> leur couverture, toutefois en insistant davantage sur les protestantes que sur les catholiques<strong>et</strong> beaucoup plus encore sur l’empire britannique que sur l’empire français. Une récentecollection d’essais, Mary Taylor Huber <strong>et</strong> Nancy C. Lutkehaus (éd.), Gen<strong>de</strong>red Missions : Womenand Men in Missionary Discourse and Practice (Ann Arbor: University of Michigan Press, 1999), indiqu<strong>et</strong>oute une série <strong>de</strong> nouveaux écrits, mais <strong>la</strong> mention <strong>de</strong>s sources <strong>et</strong> missions françaisesest re<strong>la</strong>tivement faible. Sur les ordres religieux <strong>de</strong> femmes missionnaires, voir Femmes en mission,Actes <strong>de</strong> <strong>la</strong> XI e session du CREDIC (Lyon : Éditions lyonnaises d’Art <strong>et</strong> d’Histoire, 1991) <strong>et</strong>Élisab<strong>et</strong>h Dufourcq, Les congrégations religieuses féminines hors d’Europe <strong>de</strong> Richelieu à nos jours : histoirenaturelle d’une diaspora (Paris : Librairie <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> Éditeurs, 1993), 4 volumes.Le courrier du Finistère, 29 août 1931.
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