16PHYLLIS M. MARTINCes premières années étaient tout à fait typiques ou « ordinaires » pour<strong>de</strong>s jeunes filles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s jeunes femmes <strong>de</strong> son époque <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa condition.Issue d’une famille religieuse <strong>de</strong>s campagnes br<strong>et</strong>onnes <strong>et</strong> envoyée <strong>dans</strong> uneécole catholique, ce n’était pas surprenant qu’elle ait décidé <strong>de</strong> <strong>de</strong>venirreligieuse ; <strong>et</strong> le fait qu’elle était orpheline influença sans doute sa décision.Elle figurait parmi les dizaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> jeunes femmes issues <strong>de</strong> régionspauvres <strong>et</strong> pieuses <strong>de</strong> France qui avaient pris le voile au cours du dixneuvièmesiècle 16 . Par ailleurs, Mère <strong>Marie</strong> était issue <strong>de</strong> ces « anciens réseaux<strong>de</strong> fidélité », tels que désignés par Élisab<strong>et</strong>h Dufourcq, c’est-à-dire <strong>de</strong>sfamilles qui formaient <strong>de</strong>s « constel<strong>la</strong>tions missionnaires » <strong>et</strong> soutenaientl’église <strong>et</strong> ses missions étrangères par un apport <strong>de</strong> personnel <strong>et</strong> <strong>de</strong>ressources financières 17 . La tante <strong>de</strong> Mère <strong>Marie</strong> était religieuse chez lesSœurs du Saint-Esprit, <strong>et</strong> sa nièce, également une religieuse <strong>de</strong> Saint-Joseph<strong>de</strong> Cluny, l’avait sui<strong>vie</strong> au Congo comme infirmière missionnaire.R<strong>et</strong>racer <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune religieuse lors <strong>de</strong> son premier poste auSénégal est difficile car, comme pour <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s individus, son nom n’estapparu <strong>dans</strong> les archives historiques qu’une fois qu’elle eut acquis unecertaine notoriété. La <strong>vie</strong> mo<strong>de</strong>ste <strong>et</strong> ordinaire d’une religieuse frais émouluedu noviciat, souhaitant surtout être vue sans être entendue, échappe au récithistorique. Tout ce que nous savons c’est que Sœur <strong>Marie</strong>-<strong>Michelle</strong> atravaillé d’abord <strong>dans</strong> un hôpital militaire, puis <strong>dans</strong> une unité d’isolement,qu’elle a survécu à une épidémie <strong>de</strong> fièvre jaune, prononcé ses vœuxperpétuels <strong>et</strong> qu’elle fut renvoyée en France en 1892 <strong>dans</strong> un étatd’épuisement. Son dossier <strong>de</strong>vait être méritant aux yeux <strong>de</strong> ses supérieurs,puisque, après un court séjour en France, elle reçut sa nouvelle affectation,c<strong>et</strong>te fois au nouveau poste <strong>de</strong> mission d’Oubangui (<strong>de</strong>venu par <strong>la</strong> suite leHaut Congo) dont le Vicaire général, Monseigneur Augouard, <strong>de</strong> <strong>la</strong>Congrégation <strong>de</strong>s Pères du Saint-Esprit, avait <strong>la</strong>ncé un appel à <strong>la</strong> Mèregénérale <strong>de</strong>s Sœurs <strong>de</strong> Saint-Joseph <strong>de</strong> Cluny pour l’ai<strong>de</strong>r à former <strong>de</strong>sépouses pour l’élite chrétienne masculine émergeante. <strong>Marie</strong> Dédié fut l’une16 Sur l’expansion <strong>de</strong>s vocations religieuses <strong>et</strong> <strong>la</strong> féminisation <strong>de</strong> l’<strong>Eglise</strong> catholique au dixneuvièmesiècle en France, alors que l’anti-cléricalisme républicain <strong>de</strong>venait une force dominante,voir, Charles Langlois, Le catholicisme au féminin : les congrégations françaises à supérieure généraleau XIX e siècle (Paris : Cerf, 1984) 4 volumes ; Ralph Gibson, A Social History of French Catholicism,1789-1914 (New York : Routledge, 1989), pp.105-7, 152-3, 180-90 ; Dennis Pell<strong>et</strong>ier, Lescatholiques en France <strong>de</strong>puis 1815 (Paris : La Découverte, 1997), pp.23-32 ; Stone, « Anticlericalsand bonnes sœurs », pp.108-11 ; Curtis, Educating the Faithful, pp.8-10, 24, 92-4, 174-5, 193.17 Élisab<strong>et</strong>h Dufourcq, « Le milieu missionnaire féminin », exposé présenté lors d’une conférenceintitulée « Femmes <strong>et</strong> religion », IRECO, Paris, février 1995.
EGLISE, EMPIRE & GENRE 17<strong>de</strong>s quatre missionnaires sélectionnées, <strong>et</strong>, alors âgée <strong>de</strong> 32 ans <strong>et</strong> religieuseexpérimentée, elle fut nommée Mère supérieure <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nouvellecommunauté à Brazzaville, un re<strong>la</strong>is <strong>de</strong> ravitaillement <strong>de</strong> l’avancéeimpérialiste le long du fleuve Congo, sur le point <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>la</strong> capitale <strong>de</strong>l’Afrique équatoriale française (AEF) 18 .Mission <strong>et</strong> soins maternels <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> masculinPour être bien compris, le rôle <strong>de</strong> l’Église au début <strong>de</strong> l’histoire coloniale <strong>de</strong>l’AEF doit être rep<strong>la</strong>cé <strong>dans</strong> un contexte plus <strong>la</strong>rge. Arrivée à Brazzaville,Mère <strong>Marie</strong> se r<strong>et</strong>rouva <strong>dans</strong> une colonie située bien plus bas que le Sénégal<strong>dans</strong> l’échelle <strong>de</strong>s priorités impérialistes. La présence française y étaitextrêmement réduite, avec <strong>de</strong>s fonds souvent insuffisants, <strong>et</strong> <strong>la</strong> violence yétait endémique 19 . Une fois que <strong>la</strong> région fut conquise <strong>et</strong> mise hors <strong>de</strong> portée<strong>de</strong>s rivaux européens, une gran<strong>de</strong> partie en fut cédée aux comptoirs quiopéraient ce que Catherine Coquery-Vidrovitch a appelé une « économie <strong>de</strong>pil<strong>la</strong>ge », avec principalement l’extraction d’ivoire, <strong>de</strong> caoutchouc sauvage <strong>et</strong>d’huile <strong>de</strong> palme – une situation qui s’est poursui<strong>vie</strong> jusque <strong>dans</strong> les années20 20 . Les proj<strong>et</strong>s sociaux publics étaient pratiquement inexistants. À part unep<strong>et</strong>ite école professionnelle pour l’enseignement <strong>de</strong> <strong>la</strong> menuiserie <strong>et</strong> d’autresmatières techniques <strong>et</strong> un effort timi<strong>de</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre sur pied une école urbaineen 1912, le Gouvernement colonial n’avait rien fait pour l’éducation africaineavant le milieu <strong>de</strong>s années 20 <strong>et</strong> avait délégué l’éducation sco<strong>la</strong>ire formelle à<strong>la</strong> mission catholique, assurant ainsi à l’Église une p<strong>la</strong>ce importante au sein<strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion africaine 21 .À Brazzaville, les missionnaires s’étaient plongés rapi<strong>de</strong>ment <strong>dans</strong> leurœuvre d’assistance, commune à tous les postes <strong>de</strong> mission en Afrique, à18 ASSJC, 2A/u2.1, selon Alexandrine <strong>de</strong>s Martyrs <strong>et</strong> Sœur C<strong>la</strong>ire d’Assises, sans date.19 Sur <strong>la</strong> situation en Afrique Équatoriale à l’époque <strong>de</strong> <strong>la</strong> conquête, voir Jan Vansina, Paths in theRainforest (Madison : University of Wisconsin Press, 1990), chapitres 7 <strong>et</strong> 8.20 Catherine Coquery-Vidrovitch, « Investissements privés, investissements publics en AEF,1900-1940 » African Economic History 12 (1983) : pp.13-16.21 Les lois anti-cléricales (1901-1904) introduites par le Gouvernement républicain postdreyfusard,qui a sécu<strong>la</strong>risé l’éducation, s’est approprié les écoles <strong>de</strong>s églises <strong>et</strong> a interdit auxcongrégations religieuses d’enseigner, n’ont pas affecté directement les colonies puisqu’ellesont explicitement exclu les missionnaires <strong>de</strong> ces interdictions. Cependant, ces lois pouvaientêtre appliquées officieusement par <strong>de</strong>s gouvernements à titre individuel. Voir, Curtis, Educatingthe Faithful, pp.146-8 ; Pell<strong>et</strong>ier, Les catholiques en France <strong>de</strong>puis 1815, pp.42-58 ; Archivesd’Outre-mer, Aix-en Provence (AOM), AP667(2), Mgr. Augouard au ministre <strong>de</strong>s Colonies,Paris, 16 septembre 1919.
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