8 INTRODUCTION Responsable, est donc, le chef d’entreprise. Mais quelle est sa marge de manoeuvre lorsqu’il s’agit de prendre des mesures d’exception ? Le cadre juridique est-il adapté ? D’après Claude Tarlet, « des attentes fortes (non encore satisfaites) existent notamment en matière de benchmark (et de transposition de solutions efficaces dans nos pratiques) et à l’égard de notre système législatif. ». En matière de protection des données, d’armement des agents privés de sécurité ou de vidéo surveillance, des savoirfaire existent dont le droit ne permet pas l’utilisation. L’effort de mise à niveau des dispositifs de sûreté représente un surcoût que toutes les entreprises ne sont pas en mesure d’absorber. Dans certains secteurs particulièrement exposés comme la vente, les loisirs, la culture, la mode ou les transports, l’obligation morale de protection des biens et des personnes impose d’accroître – parfois exponentiellement - les budgets alloués aux départements Sûreté. Pour les autres, plus modestes ou moins directement exposés, la tentation du déni est forte : « ça n’arrive qu’aux autres ! ». Se pose alors la question cruciale du seuil d’acceptabilité de la menace qui relève de l’éthique d’entreprise. Où sont les limites de tolérance ? Quel déficit de protection le citoyen-salarié est-il prêt à accepter pour ne pas infléchir les courbes de résultat de son employeur ? Alain Juillet nous rappelle que dans notre société surprotégée, nos « concitoyens ont une exigence croissante de sécurité collective ». Tout comme le secteur privé, l’État est confronté à ses propres limites capacitaires. Une fois déployées dans l’espace public et concentrées sur les opérateurs d’importance vitale (OIV), les forces de l’ordre, qui n’ont d’habitude pas vocation à protéger les infrastructures et les activités privées, se trouvent exsangues. Corollaire de la question du périmètre régalien, celle, toujours épineuse, des limites d’emploi des agents de sécurité privée. Question maintes fois soulevée depuis que les SMP 9 sont devenues des ESSD 10 . Le débat s’oriente alors sur les sujets d’accréditation – notamment de port d’armes, de formation et d’usage légitime de la force. Pour Alain Juillet, « La seule solution est donc un transfert de responsabilité régalienne de la police nationale vers les polices municipales, la garde nationale et les sociétés privées de sécurité. (...) L’activité implique, par exemple, d’avoir résolu le problème de l’armement et de l’ouverture du feu en légitime défense». On le voit, le contexte extrême d’aujourd’hui appelle un redécoupage des zones de responsabilité de chacun. Il pose aussi à l’entreprise le dilemme de la relocalisation, voire de l’annulation pure et simple de certaines activités «nonindispensables» comme les colloques ou symposiums annuels. Le changement des us et coutumes se présente comme une alternative au renforcement drastique des mesures de sûreté. Il n’est plus possible de nier que la baisse de fréquentation de certains sites touristiques, en premier lieu Paris, contribue à très largement impacter le CA de certains secteurs d’activité. Paris, déclarée « No Go Zone pour les touristes de luxe » 11 , regroupe 751 des « zones interdites sur 900 ». Comment contester ce chiffre ? En moins de deux ans, la France symbole d’art de vivre, de patrimoine, de culture et de luxe, a dû descendre de son piédestal de pays le plus visité au monde. « Les touristes étrangers boudent la France » 12 , et certains touropérateurs asiatiques ne proposent plus aucune visite de Paris. La fréquentation de la capitale a baissé de 20 à 35 pourcents, avec un impact brutal sur certains secteurs dont celui du commerce haut de gamme. Les prestigieuses enseignes de la Place Vendôme et de l’Avenue Montaigne sont à la peine... Nous ne lutterons pas contre le totalitarisme islamiste en nous voilant la face devant nos erreurs et nos faiblesses endogènes. La globalisation, l’ultra libéralisme et l’économie « hors sol », dont les multinationales sont le vecteur, ont contribué à nous enfermer dans l’abrutissement du consumérisme. Ce que Hervé Juvin nomme « radicalisation de la modernité » en 2014, dans La Grande Séparation, consiste à casser les structures sociales et les liens avec le territoire et ouvre la voie à toute forme de prédation 13 . Triomphe de l’idéologie consacrée au progrès du bien-être, ce « droit des peuples à disposer d’un écran plat et d’un iPad qui permet l’assentiment. » 14 Triomphe et déboire du « transhumanisme » sur la capacité des individus à être autonomes. Ne sous-estimons pas les effets pervers de notre mode de vie, autre forme de totalitarisme, qui souvent gangrène nos organisations : fracture sociale et identitaire, exclusion, crise de sens, « burn-out », risques psychosociaux... le terreau humain dégradé sur lequel prospèrent les fondamentalismes. Les entreprises ont un rôle prépondérant à jouer dans la restauration des économies souveraines. Certains secteurs d’activité prennent le tournant de nouveaux modes de production qui nous laissent croire à un avenir moins conflictuel et plus serein. Face au terrorisme, ces acteurs émergeants pourraient s’ériger en rempart contre la terreur et former un indicateur de résilience de notre pays dangereusement menacé. Notre prochain DéfIS s’efforcera de les présenter. • —(9) Sociétés militaire privées. (10) Entreprises de Service de Sécurité et de Défense. Cf. pour aller plus loin : DéfIS n°2, p.89 (11) Le point, 3 octobre 2016. (12) Cf. Article «Les touristes étrangers boudent la France», Le Monde, 23 août 2016 (13) JUVIN Hervé. La Grande Séparation, Gallimard, 2014. (14) POLONY Natacha. Comité Orwel, https://comiteorwell.net/tag/natachapolony/ › SOMMAIRE n°7 - 2016
<strong>EXPLORER</strong> – QUELS ENJEUX ? <strong>EXPLORER</strong> 9 QUELS ENJEUX ? › Face au terrorisme, la sûreté n’est plus une option ! Alain JUILLET, Président du CDSE, Conseiller senior chez Orrick, Herrington & Sutcliffe LLP › Les entreprises face à la menace djihadiste contemporaine AMARANTE International › Interview de Gilles KEPEL, Directeur de la Chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l’école Normale Supérieure et professeur à Sciences-Po › Évolutions du djihadisme. La société civile et les entreprises interpellées par la lutte contre la radicalisation Romain SEZE, Sociologue, Chargé de recherche à l’INHESJ et rattaché au GSRl (EPHE-CNRS) n°7 - 2016 › SOMMAIRE