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a_MIntresse__Septembre_2017

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Si les particuliers, par incivisme et paresse,<br />

se débarrassent parfois de leurs appareils<br />

électroménagers, matelas ou autres détritus<br />

dans le champ du voisin, de nombreux dépotoirs<br />

sont composés de déchets des chantiers,<br />

privés ou publics. Les entreprises de construction<br />

génèrent en effet 227,5 millions de tonnes<br />

de rebuts chaque année, six fois plus que les<br />

ménages ! Ils sont constitués à 80 % de gravats<br />

(terre, cailloux, béton, brique, verre),<br />

18 % de matériaux non dangereux (plâtre,<br />

bois, métaux, plastique) et 2 % de produits<br />

dangereux (amiante, peinture). Les premiers<br />

— des déchets dits inertes — sont souvent<br />

réutilisés sur un chantier (pour remblayer<br />

une carrière) ou recyclés. Mais les autres finissent<br />

parfois dans les sous-bois ou au creux<br />

d’un fossé. Seuls 12 % sont valorisés et peu<br />

sont déposés en décharge autorisée. Par<br />

exemple, en 2015, 1 082 tonnes de déchets<br />

— dont 27 tonnes d’amiante — ont été ramassées<br />

au bord des routes départementales<br />

en Seine-et-Marne. Coût de l’opération :<br />

662 000 euros. Même accumulation dans l’agglomération<br />

de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise)<br />

où les dépôts sauvages représentent entre<br />

12,3 et 13,8 kilos par habitant et par an.<br />

Parfois, le dépôt se transforme en colline<br />

d’une hauteur de 10 à 20 mètres. La région<br />

Provence-Alpes-Côte-d’Azur en a recensé<br />

au moins 120. À tel point que le paysage se<br />

remodèle : par exemple, dans l’estuaire de la<br />

Seudre (Charente-Maritime), un îlot<br />

jusqu’alors accessible uniquement par bateau<br />

s’est retrouvé en 2011 relié à la terre…<br />

par un chemin de déchets.<br />

ÉCHANGES DE BONS PROCÉDÉS OU FORFAITS<br />

ORGANISÉS… DES TRAFICS JUTEUX<br />

Pourquoi certaines entreprises se délestent-elles<br />

illégalement de leurs rebuts ?<br />

C’est souvent une affaire de gros sous. Si<br />

elles déposent leurs déchets (non triés) dans<br />

une décharge légale, elles déboursent 200 à<br />

500 euros par tonne, frais destinés à couvrir<br />

le coût du retraitement. Alors, quand des<br />

petits malins leur proposent pour une<br />

somme quatre fois moindre de leur dénicher<br />

un terrain où elles peuvent enfouir leurs gravats,<br />

ni vu ni connu, la tentation est grande<br />

d’accepter… Elle l’est d’autant plus qu’au<br />

moment de rédiger leurs devis, beaucoup de<br />

sociétés oublient sciemment la ligne des déchets<br />

afin de tirer le budget vers le bas. En<br />

juin 2016, les gendarmes du Var ont ainsi<br />

démantelé un réseau de décharges, dissimulées<br />

notamment dans des vignes et qui ont<br />

rapporté 1,8 million d’euros. Parfois, loin du<br />

forfait organisé, il s’agit seulement d’un<br />

échange non monnayé de bons procédés :<br />

un particulier a besoin de combler un fossé,<br />

un entrepreneur de décharger quelques<br />

bennes, et l’affaire est conclue…<br />

millions d’euros<br />

20 C’est ce qu’a coûté au<br />

contribuable le démantèlement<br />

de la décharge de Limeil-<br />

Brévannes (Val-de-Marne),<br />

haute de 25 mètres !<br />

Dans certaines régions,<br />

les dépôts sauvages<br />

représentent jusqu’à<br />

25 kilos par habitant.<br />

Sur 1 200 sites de stockage<br />

de déchets issus du BTP,<br />

moins de la moitié est légale.<br />

S’y ajoutent des centaines<br />

de dépotoirs cachés.<br />

Autre technique répandue : certaines entreprises<br />

dissimulent les déchets dans des<br />

constructions inutiles, comme le relève le ministère<br />

de l’Environnement dans une note<br />

publiée en mars 2016. Les sociétés ne<br />

manquent pas d’imagination, du mur d’isolation<br />

phonique — sans aucune habitation<br />

alentour à protéger du bruit — au rehaussement<br />

des champs sous prétexte d’améliorer<br />

la qualité du sol. Il suffit alors de retirer la<br />

terre, d’épandre les déchets puis de remettre<br />

la terre, et le tour est joué. Avec ces gravats,<br />

des particuliers construisent aussi des digues<br />

pour protéger leur maison des crues. Hélas,<br />

ces aménagements de fortune peuvent aggraver<br />

les inondations en amont et en aval. La<br />

préfecture du Var a d’ailleurs transmis 90 procédures<br />

pénales aux parquets de Toulon ou<br />

Draguignan en trois ans pour ce type d’infraction.<br />

Enfin, les déchets sont parfois jetés<br />

sans vergogne dans des zones humides<br />

— prairies à joncs, bords de ruisseau, mares.<br />

Avec un risque de pollution de l’eau, en cas<br />

de dépôt de déchets dangereux comme des<br />

résidus de peinture… Et des conséquences<br />

dramatiques sur le plan écologique. « Or,<br />

telles des éponges, ces espaces naturels ralentissent<br />

les écoulements en cas de crue et limitent<br />

le risque d’inondation en aval », indique<br />

Romain Suaudeau, animateur du<br />

schéma d’aménagement et de gestion des<br />

eaux Ellé-Isole-Laïta, un bassin versant du<br />

Finistère riche en zones humides.<br />

IL MANQUE EN FRANCE DES DIZAINES<br />

DE LIEUX DE DÉPÔTS AUTORISÉS<br />

Au-delà de l’indélicatesse de certains entrepreneurs,<br />

les lieux pour collecter les déchets<br />

en France sont nettement insuffisants.<br />

Un déficit qui pourrait s’aggraver, en<br />

particulier en Île-de-France. Les multiples<br />

chantiers du Grand Paris Express vont générer<br />

d’ici à 2030 43 millions de tonnes de<br />

terre à évacuer, soit 10 à 20 % de plus que<br />

les volumes produits chaque année dans<br />

toute la région. « Il manque plusieurs dizaines<br />

d’installations de stockage de déchets inertes<br />

en France », estime Albert Zamuner, président<br />

de l’Union nationale des exploitants<br />

du déchet. « Il faut améliorer le maillage du<br />

territoire afin d’éviter aux entreprises de parcourir<br />

des dizaines de kilomètres pour se débarrasser<br />

des gravats. »<br />

À PARIS, 10 000 TONNES DE GRANIT SONT<br />

RÉUTILISÉES CHAQUE ANNÉE<br />

Jusqu’à présent, un grand nombre de collectivités,<br />

pourtant commanditaires des travaux,<br />

ne se préoccupaient pas du devenir des déchets,<br />

voire affichaient une complicité passive.<br />

Mais elles vont devoir ouvrir les yeux. En<br />

effet, la loi de transition énergétique prévoit<br />

que 70 % des résidus issus des chantiers y<br />

compris routiers devront être réemployés ou<br />

recyclés d’ici à 2020. Certaines villes ont déjà<br />

ouvert la voie. Par exemple, à Paris, les entreprises<br />

travaillant sur la voirie doivent acheminer<br />

les pavés vers une plateforme de recyclage<br />

gérée par la ville. Chaque année, la<br />

capitale recueille 10 000 tonnes de granit,<br />

qu’elle réutilise pour les monuments, les parcs,<br />

les berges de la Seine. Autre avancée majeure :<br />

depuis le 1 er janvier <strong>2017</strong>, les magasins de matériaux<br />

pour les professionnels du BTP doivent<br />

créer des points de reprise des déchets.<br />

En attendant, à Marseille (Bouches-du-<br />

Rhône) ou à Roubaix (Nord), les habitants<br />

peuvent signaler les dépôts sauvages via une<br />

appli. Et surtout, de plus en plus de communes<br />

équipent les décharges illégales les<br />

plus fréquentées de caméras afin de pren dre<br />

les contrevenants la main dans le sac. <br />

CYRUS CORNUT/DOLCE VITA/PICTURETANK<br />

À Claye-Souilly (Seine-et-Marne), une ancienne<br />

décharge illégale ayant formé une colline<br />

de plusieurs mètres de hauteur a été aménagée<br />

en lieu de promenade et parcours de santé.<br />

SEPTEMBRE <strong>2017</strong>

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