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278 LES RELA TIONS DES JJ^SUITES [Vol, 44
let, le girofle, la mufcade, & femblables odeurs, qui
nous font agreables, leur font fades : & le tabac, qui
fait mal au coeur k ceux qui n'ont point accouflum6
de le fentir, fait vne des plus grandes de leurs delices.
Pour Toreille. Encore que les Sauuages [105] fe
plaifent fort au chant, vn concert de mufique leur
femble vne confufion de voix : & vne roulade paff e
parmy eux, pour vn gazoliillis d'oifeau. I'auoue que
le ramage ne leur eft pas des-agreable : mais leurs
chanfons, qui pour eftre mornes & pefantes, nous
donnent des id^es de la nuit, leur femblent iolies,
comme I'^mail du iour. lis chantent dans les dan-
gers, dans les tourmens, & dans les approches de la
mort: les Frangois gardent, pour Tordinaire, vn
profond filence dans tous ces rencontres. Le fel qui
aflaifonne toutes les viandes qu'on mange en Europe,
les rend ameres au gouft des Sauuages. Leur bou-
can, qui nous eft quafi de la fuie, leur eft fort fauoureux.
La communication des vns auec les autres,
fait que le palais de quelques Frangois s'accommode
au boucan, & celuy de quelques Sauuages, aux viandes
fal6es. II eft vray, que iufques icy ie n'en ay point
veu, qui n'ait eu de I'horreur du fourmage de
Holande, des raues, des epiceries, de la moutarde, &
de femblables ragoufts. Ie me fouuiens k ce propos,
qu'vn Sauuage [106] s'eftant rencontre k table auec
des Frangois, comme on auoit feruy de la moutarde,
la curiofite de gouft er de tous nos mets, fans les connoitre,
luy fit porter fa cuillier dans ce ragouft ; en
aiant pris vne alfez bonne charge, il I'entonna plus
vifte dans fa boucbe, qu'on ne luy eut appris, comme
cela fe mangeoit: Dieu fgait s'il apprefta ^ rire ^
toute la compagnie? C'eft vne gloire parmy les
Sauuages de bien manger, comme parmy plufieurs