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Revue des sciences sociales

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132<br />

LAURENT HINCKER SOUHAYMA BEN ACHOUR<br />

fréquemment peut-être et plus fortement<br />

encore, par les sédentaires, par ceux d’ici,<br />

qui refusent de voir dans l’étranger «celui qui<br />

vient aujourd’hui et qui reste demain» (Georg<br />

Simmel) 18 .<br />

■<br />

NOTES<br />

1. Nous exprimons ici notre gratitude envers<br />

Jean-Yves Causer, qui a encadré ce groupe<br />

avec les auteurs pendant deux ans ainsi qu’à<br />

l’égard <strong>des</strong> étudiants qui ont réalisé <strong>des</strong><br />

entretiens en faisant preuve de sérieux et de<br />

compétence. Si nos analyses ne les engagent<br />

point, celles-ci n’ont pas moins été rendues<br />

possibles par le travail mené en commun et<br />

les discussions qui l’ont souvent prolongé.<br />

2. Cf. HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de<br />

la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994, [première<br />

édition : 1925].<br />

3. Cf. NAMER Gérard, postface à HALBWACHS<br />

Maurice, op. cit., p. 333- 334. Observons<br />

cependant qu’au début du siècle, Maurice<br />

HALBWACHS considérait encore que la<br />

classe ouvrière vivait entièrement dans le<br />

présent et qu’elle n’avait pas de passé («elle<br />

n’a point à proprement de passé»). D’après lui, elle<br />

était exclue de la mémoire collective du reste<br />

de la société. Elle n’a pas encore eu le temps<br />

de façonner sa propre mémoire : «Les groupements<br />

professionnels et locaux ont été le plus souvent<br />

trop isolés ou trop éphémères pour qu’une tradition<br />

ouvrière ait pu s’imposer de façon durable à la<br />

conscience de leurs groupes»; «De toutes les parties de<br />

la société, c’est [la classe ouvrière] qui subit le moins<br />

l’influence et l’impulsion de son passé» (Maurice<br />

HALBWACHS, 1912, cité par NAMER Gérard,<br />

postface, op. cit., p. 324).<br />

4. Habitantes de Décines, dans la banlieue<br />

lyonnaise, arrivées dans les années 1920,<br />

avec leurs parents étrangers venus travailler<br />

dans la soie. Citées par VIDELIER Philippe,<br />

Décines, une ville, <strong>des</strong> vies, Vénissieux, Editions<br />

Paroles d’Aube, 1996, p. 137.<br />

5. Cf. HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de<br />

la mémoire, op. cit., p. 128- 140.<br />

6. Jacques LE GOFF cité par JODELET Denise,<br />

« Mémoires évolutives », in Mémoire et intégration,<br />

collectif, Paris, Syros, 1993, p. 83.<br />

7. Cf. JUND Alain, DUMONT Paul et DE TAPIA<br />

Stéphane (dir.), Enjeux de l’immigration turque en<br />

Europe, Paris, CIEMI-L’Harmattan, 1995.<br />

8. JODELET Denise, op. cit, p. 85- 86.<br />

9. Cf. HALBWACHS Maurice, op. cit., p. 83- 113.<br />

10. Cité par HASSOUN Jacques, Le passage <strong>des</strong><br />

étrangers, Paris, Austral, p. 233.<br />

11. Les citations qui suivent sont extraites<br />

d’entretiens, réalisés pour l’essentiel en<br />

1994/95 et 1995/96, dans le cadre du groupe<br />

d’enquêtes pédagogiques de l’Institut de<br />

Sociologie de Strasbourg : « Mémoires de<br />

l’immigration », dirigé par nous mêmes. Au<br />

total près d’une centaine d’entretiens approfondis<br />

ont été recueillis.<br />

12. Pendant longtemps, grosso modo de 1945 à 1980,<br />

la problématique imposée de l’immigration<br />

était cette problématique de l’immigration<br />

économique. Cette dernière n’était envisagée<br />

qu’en tant que réponse à un besoin de main<br />

d’oeuvre de l’économie française. Une littérature<br />

considérable produite essentiellement<br />

par <strong>des</strong> économistes mais aussi par <strong>des</strong> sociologues<br />

en témoigne. Le point de vue qui était<br />

privilégié était celui <strong>des</strong> entreprises ayant <strong>des</strong><br />

besoins de main d’oeuvre ; ou éventuellement<br />

celui de l’économie française considérée dans<br />

son ensemble ; ou encore celui de l’Etat français<br />

en tant qu’organisateur de la venue <strong>des</strong><br />

travailleurs coloniaux, puis <strong>des</strong> travailleurs<br />

immigrés (par le biais de l’ONI). Les contrats<br />

de travail étaient signés avant le départ ou, en<br />

fait le plus souvent, après l’arrivée - c’était la<br />

norme jusqu’en 1974 , la régularisation se faisait<br />

systématiquement a posteriori. De ce fait, les<br />

« sans papiers » n’apparaissaient pas.<br />

Ajoutons à ces remarques que, pendant très<br />

longtemps, d’une part l’immigration alternante<br />

de main d’oeuvre prédominait, et que,<br />

d’autre part, la question de l’immigration familiale<br />

était largement occultée.<br />

13. Pour approfondir ces questions le lecteur peut<br />

se reporter utilement aux trois volumes, publiés<br />

avec le soutien du Conseil de l’Europe, <strong>des</strong><br />

séminaires « Psychiatrie, psychothérapie et culture(s)»<br />

organisés en 1992- 93, 1993- 94, 1994-<br />

95 par l’association Parole Sans Frontières (15,<br />

rue de Verdun - 67000 Strasbourg), animée par<br />

Pierre-Stanislas LAGARDE, Bertrand PIRET et<br />

Karim KHELIL : 1) Les passagers du Maghreb entre<br />

la clinique et la migration, 226 pages ; 2) Le traumatisme<br />

et l’effroi. Aspects psychopathologiques du traumatisme,<br />

228 pages ; 3) Qu’est-ce que l’étranger ?,<br />

Strasbourg, 206 pages.<br />

14. Cf. SAYAD Abdelmalek, L’immigration ou les<br />

paradoxes de l’altérité, Bruxelles, De Boeck, 1991,<br />

p. 109- 144.<br />

15. Cf. SAYAD Abdelmalek, « Les trois âges de<br />

l’émigration algérienne en France », Actes de la<br />

recherche en <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>, 1977, n° 15, p. 59-<br />

82. et du même auteur, L’immigration ou les<br />

paradoxes de l’altérité, op. cit.<br />

16. op. cit., p. 48.<br />

17. TRAVERSO Enzo, Les juifs et l’Allemagne, Paris,<br />

La Découverte, 1992, p. 196- 197.<br />

18. SIMMEL Georg, «Digressions sur l’étranger », in<br />

GRAFMEYER Yves et JOSEPH Isaac, L’école de<br />

Chicago, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, p. 53-<br />

59 [publication originale du texte allemand<br />

in Georg Simmel, Soziologie, Leipzig, 1908,<br />

p. 685- 691].<br />

La r pudiation<br />

LAURENT HINCKER<br />

Avocat au Barreau de Strasbourg<br />

Professeur associé à la faculté <strong>des</strong> <strong>sciences</strong><br />

<strong>sociales</strong> de l’USHS.<br />

SOUHAYMA BEN ACHOUR<br />

Avocate au Barreau de Tunis.<br />

Etude d’une antinomie juridique<br />

E<br />

xiste-t-il aujourd’hui une sociologie du<br />

droit de l’immigration ? La question<br />

mérite d’être posée. En effet, le cloisonnement<br />

en France entre les <strong>sciences</strong> juridiques<br />

et les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> est si prononcé<br />

qu’une telle sociologie n’est traitée<br />

que marginalement 1 . Observer le droit de<br />

l’immigration sous l’angle sociologique ne<br />

manque pourtant pas d’intérêt. Léon Duguit<br />

soulignait la nécessité de développer <strong>des</strong><br />

étu<strong>des</strong> qui lient la production du droit à la<br />

réalité sociale et ainsi la possibilité de ne<br />

plus se limiter aux seules approches dogmatiques<br />

2 .<br />

L’augmentation du nombre d’immigrés<br />

venant de pays de traditions et de cultures<br />

différentes de celles de la France pose un<br />

certain nombre de problèmes juridiques<br />

inédits. Ces questions sont surtout apparues<br />

depuis l’instauration en 1945 du<br />

regroupement familial. A partir de la fin <strong>des</strong><br />

années soixante-dix, il ne s’agit plus d’une<br />

immigration de main-d’œuvre, mais d’une<br />

immigration familiale. Selon Didier<br />

Lapeyronnie, « cette mutation importante<br />

s’accompagne de changements profonds<br />

affectant la structure même <strong>des</strong> populations<br />

immigrées, leurs implantations, ainsi que<br />

les relations qu’elles entretiennent avec le<br />

pays d’accueil. Le nombre <strong>des</strong> femmes et<br />

<strong>des</strong> jeunes s’est accru...Surtout, les immigrés<br />

manifestent de plus en plus leur présence<br />

par <strong>des</strong> actions propres, en affirmant<br />

leur identité religieuse alors qu’elle avait été<br />

longtemps tenue plus ou moins dissimulée<br />

» 3 .<br />

Le statut <strong>des</strong> étrangers en France n’a pas<br />

manqué d’attirer l’attention <strong>des</strong> juristes et<br />

<strong>des</strong> praticiens du droit. Ce statut est appréhendé<br />

par différentes branches du droit ; par<br />

le droit administratif et le droit international<br />

en ce qui concerne leur entrée et leur<br />

séjour, par le droit pénal en ce qui concerne<br />

le délit de bigamie ou le délit de détention<br />

frauduleuse de faux documents ou encore<br />

par le droit international privé en ce qui<br />

concerne les successions, les régimes matrimoniaux<br />

ou le statut familial.<br />

Nous avons choisi de privilégier l’étude<br />

de la réception du droit familial musulman<br />

en France. En effet, cette question est particulièrement<br />

significative de la complexité<br />

<strong>des</strong> problèmes juridiques que pose l’immigration<br />

en général et celle <strong>des</strong> musulmans<br />

en particulier. L’accueil du droit musulman<br />

de la famille rencontre plusieurs difficultés<br />

que le juriste Jean Déprez a mises en relief :<br />

« Polygamie et répudiation, inégalité de<br />

l’homme et de la femme dans les rapports<br />

entre époux et l’exercice de l’autorité sur les<br />

enfants, survivances du patriarcat, conditions<br />

de religion en matière de succession, de<br />

mariage, de garde d’enfants, refus de la paternité<br />

naturelle et de l’adoption, inégalité successorale,<br />

autant de points de friction prévisibles<br />

entre un ordre juridique laïc et<br />

égalitaire de type européen et <strong>des</strong> conceptions<br />

familiales caractérisant une civilisation<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1997, n° 24

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