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86 LE THÉÂTRE DE NATHAN KATZ 87 La mère : Regarde, si elle ne l’avait pas reconnu devant le tribunal, moi non plus je ne l’aurais pas cru. Le thème du bûcher est repris dans la conversation entre la mère d’Annele et celle de Finnele, une fillette fascinée par la beauté et la personnalité d’Annele. La mère rappelle que l’on voyait monter la fumée du bûcher au dessus des toits, par delà la colline du Roggenberg et que l’on entendait la foule hurler de plaisir : «Wu n i iber dr Roggebarg bi, het me no de Raüch iber d’Dacher ibere üfstige seh. Mr het d’Lit no johle heere » 18 . Considérer la souffrance et la mort d’un être humain comme un spectacle, et en tirer une jouissance, avilit les spectateurs et les met au rang des bourreaux. Le thème du bûcher apparaît pour la troisième fois à la fin du premier acte, lorsqu’un pauvre homme revit son propre destin à la vue du bonheur d’Annele et de Doni enfin réunis. Le malheureux avait une maison, des biens, une épouse très aimée. Cette dernière a été arrêtée et tourmentée jusqu’à admettre qu’elle était une sorcière. Elle a été brûlée vive à Altkirch, aux abords de la ville. Il ne reste rien de son épouse, pas même une tombe. Depuis trente ans le mari vit un deuil sans fin. Il a abandonné sa maison, ses biens, il n’a plus de projet : «Das isch nit numme fir zwei Johr ! Das isch fir lang ! fir’s ganze Labe (...) Un as het nit emol kä Grab, mit e paar aremi Maie drüf, ...» 19 . Cela n’est pas seulement pour deux ans ! C’est pour longtemps ! Pour toute la vie. (...) Et elle n’a même pas une tombe avec quelques pauvres bouquets de fleurs,... La crémation conduit à la destruction totale de la victime. D’un être humain, il ne reste rien. Alors que dans les sociétés occidentales, les réactions de deuil doivent s’estomper au bout de deux ans, l’absence de cérémonie et de rituel d’enterrement conduit le mari à un deuil sans fin. L’époux survivant, en renonçant à toute forme d’intérêt, s’est établi dans un monde intermédiaire entre la vie et la mort. Brisant tout lien convivial et professionnel, le deuil est pour lui un but en soi, un hommage à l’épouse perdue et idéalisée. Le motif du bûcher est repris pour la quatrième fois au moment où le sort d’Annele Balthasar est scellé. Dès le début de l’acte II, la population féminine du village est en effervescence. Elle sera le vecteur de l’accusation d’Annele. Dans la pièce comme dans la réalité, les exécutions de sorcières obéissent à une certaine périodicité. Les femmes qui désignent la victime, ont assisté à des procès de sorcières dans leur jeunesse. Elles en connaissent le scénario et contribuent à sa reproduction. Une paysanne rappelle que depuis trente ans, elle avait alors quinze ans, aucune femme du village n’a comparu devant le tribunal d’Altkirch. «As isch o scho drissig Johr kä Wibsbild vo hie meh wage Haxeräi vor em Gricht gsi !» 20 . La société dans laquelle se déroule le drame d’Annele est ordonnée par une hiérarchie masculine. Celle-ci se manifeste tant au tribunal d’Altkirch qu’au village. La haine qui soulève le village en période de crise conduira à désigner une victime expiatoire parmi les femmes qui constituent l’élément le plus faible de la population. Face à cette situation, le groupe des femmes assure sa cohésion en sacrifiant son élément le plus vulnérable. La sensibilité et la bonté sont interprétées comme des signes distinctifs autorisant la désignation de la victime. Cette dernière, accusée de s’être donné l’apparence d’une sainte, se serait ellemême exclue du groupe. Annele comme Barbara, la jeune femme brûlée il y a trente ans, est sensible et bonne. D’origine modeste, rendue encore plus vulnérable par son statut d’orpheline et l’amour hors du commun que lui porte un fils de notable, Annele sera la victime désignée. «Wenn i no dra dank : Sallemols, wu si’s Barbara verbrännt hai ! I bi sallemols grad fufzah Johr alt gsi. Grad ’s Hüs nabe-n-an-is het’s gwohnt… Alli Lit hatte gsait, ’s säig d’brävschti Seel üs’m Dorf. (…) O Gott ! was es alles bschtange het vor em Gricht !» 21 . Quand j’y pense, à l’époque où ils ont brûlé Barbara ! J’avais tout juste quinze ans. Elle habitait juste à côté de chez nous… Tout le monde disait qu’elle était la meilleure personne du village (…) O Dieu ! Tout ce qu’elle a reconnu devant le tribunal ! Les aveux des femmes accusées de sorcellerie sont strictement stéréotypés. Elles ont ensorcelé des étables, envoyé la grêle sur les récoltes, participé au Haxetanz 22 , au bal des sorcières. «Vor em Gricht het’s es jo bschtange, ass es üf’s Gheiss vom beese Geischt äiser Hüs verhaxt haig… Un derwilscht hat’s es si als gschtellt ass wie ne Heiligi ! ’s hatte alli Lit d’Hang in’s Fir glegt fir’s. - So isch’s jetz o mit em Annele !» 23 . Au tribunal elle a reconnu qu’elle a ensorcellé notre maison, en chevauchant le bouc du malin… et pendant ce temps, elle se donnait l’apparence d’une sainte ! Tout le monde aurait mis sa main au feu pour elle. - Et maintenant il en est de même pour Annele ! Les femmes accusées de sorcellerie sont enfermées dans les cachots humides des tours. En suivant des procédures d’interrogatoire préétablies, les juges obtiennent des accusées des réponses qui les confirment dans leur propre rôle. RÉPRESSION, OPPRESSION, MES- SIANISME Le drame se déroule en 1589 soit soixante ans après la répression sauvage des révoltes paysannes du Bundschuh 23,24 . Au cours de ces révoltes, les paysans, qui réinterprètent les paroles de Luther en fonction de leurs préoccupations économiques et sociales, brandissent des bannières de soie blanche portant le nom du Christ et la devise «Gottes Wort Blibt ewig stan», la parole de Dieu est éternelle. Après une période de relative prospérité, une crise économique, politique et sociale favorise des épidémies de fièvre satanique dans les villages et les bourgs. Des sorcières sont périodiquement mises à mort après 1570 25 . Dans la pièce, les juges siègent au tribunal d’Altkirch. Sur leur ordre, les gens d’armes investissent les maisons avec la plus grande brutalité et se saisissent des accusées. Au niveau du village l’autorité est représentée par le maire, qui est aussi le père de Doni. La première réaction de Doni est la révolte : «Meint me nit mankmol, me miesst wie ne Sturmwing drifahre chänne !» 26 . Ne croyait-on pas parfois qu’il faudrait se jeter dans la mêlée comme un ouragan. Doni cependant renonce à la violence qui conduit au cycle infernal des révoltes et de la répression. Le changement viendra d’une modification des mentalités. «Alles Revoltiere anderet gar nit, wenn dr nit Mensche wardet ! (…) Vor sibezig Johr, äiseri Vattere (…) Fräi hai si welle si ! Was isch worde ?! Blüet un Fir un Eland im Lang ! Wäre si doch z’erscht fräi gsi in ihre Seele ; si alli z’erscht güedi Mensche gsi, wu gwisst hatte, was si walle hai !… So het jo nit chänne warde drüss!» 27 . Se révolter ne sert à rien si vous ne vous conduisez pas comme des êtres humains (…) Il y a soixante ans (…) nos pères voulaient être libres ! Et qu’est-il arrivé ?! Le pays mis à feu et à sang ! S’ils avaient d’abord été libres dans leur âme, s’ils avaient d’abord été des hommes bons, qui savent ce qu’ils veulent ! ... Cela n’aurait pas pu tourner ainsi. Doni se heurte à son père qui invoque d’Obrigkeit, terme vague qui désigne l’autorité en place et la tradition, pour condamner Annele. «As bschtehn äiseri Gsetzer ! Mr hai äiseri Richter, wu ehrewarti Manner sin : Maier üs de Därfer do !… As müess e Grachtigkeit bschteh !» 28 . Nous avons nos lois ! Nous avons nos juges qui sont des hommes honorables : les maires de nos villages !… Il faut qu’il y ait une justice. Les lois invoquées par le père de Doni sont compilées dans des livres poussiéreux. Les cimetières sont pleins des victimes exécutées au nom de cette justice. Doni refuse à la fois la violence et une justice fondée sur des lois désuètes. Pour lui, le véritable changement sera pacifique, il conduira à une conversion esthétique et mystique. Ce changement est inscrit dans les temps à venir, il sera annoncé par un Grand ... «’s wird emol ein chu : e Grosser ! Er müess chu !… D’Walt cha doch nit so in dr Verzwiflig blibe !» 29 . Un jour,viendra un Grand ! Il faut qu’il vienne… Le monde ne peut pas rester dans ce doute. Si Nathan Katz ne précise pas l’identité de ce messager, il se réfère cependant aux Evangiles : «Hait dr en nie gseh, so vor ech, - wie’s im Evangeli steht, - so dert am Barg steh un prädige : Halfet enanger ! Ploget doch enanger nit !… Wenn dr doch derno labe wottet !!» 30 . Ne l’avez vous pas vu, devant vous, comme cela est écrit dans les Evangiles - Là-bas, il se tient sur la colline et prêche : aidez-vous les uns les autres ! Arrêtez de vous tourmenter !… Si vous voulez vivre !! La vision messianique de Doni est reflétée par le paysage du Sundgau : «As müess doch e hecher Labe gah !… e Labe, wit hinger allem, was mr erdanke chänne. - So ebbis, wie dr letscht Chlanz vom Bliehje vo äisere Garte… So ebbis, wie ne Chlang, wu in de Nacht dur’s Holz dure zitteret…» 31 . Il faut qu’il y ait une vie plus élevée que ce que l’on peut imaginer. - Quelque chose comme le dernier éclat de la floraison de nos jardins… Quelque chose comme l’écho qui retentit la nuit dans nos bois. La dernière réplique de la pièce associe l’espoir messianique à l’amour de la petite patrie : «Aiser Haimet !… Ching, das isch äiser Haimet! 32 . Notre patrie !… Enfant, ceci est notre patrie ! - Les deux pièces de théâtre de Nathan Katz, «D’Ardwibele» et «Annele Balthazar» appartiennent au patrimoine culturel alsacien. Ces pièces sont fondées sur des textes stables reproduits jusqu’à nos jours dans des recueils de Contes et Légendes, et des récits historiques. La pièce «D’Ardwibele» a pour point de départ un mythe et prend la forme du conte merveilleux ; «Annele Balthazar» a pour origine un fait réel et prend la forme du drame. Les deux pièces se déroulent dans le Sundgau en des lieux précis : «D’Ardwibele» a pour décor la Gorge aux Loups, «Annele Balthazar» Altkirch et Willer. Le Sundgau a longtemps été un haut lieu de fièvre satanique. Des femmes, mais aussi les Juifs, ont été jusqu’à une époque tardive, accusés d’être des suppôts du diable. Le Théâtre de Nathan Katz, dans le conte merveilleux comme dans le drame, met en scène le montage et le démontage du rite du bouc émissaire. Afin de résoudre une situation de crise, la société villageoise provoque l’exclusion de l’un des siens. Le personnage sacrifié présente à la fois les traits évidents communs au groupe, et d’autres présents à l’état latent dans la même population. Situé sur les marges du groupe, ce personnage constitue un trait d’union entre la société et ce qui lui est extérieur. Rejeté à l’extérieur il est présenté comme totalement étranger, voué au diable. Après avoir montré les mécanismes qui autorisent la désignation du bouc émissaire, Nathan Katz transpose le message évangélique sur la scène du théâtre. La société villageoise reconnaît l’innocence de la victime désignée, et adopte un système de valeurs fondé sur le refus de la violence, la compassion et le rachat des fautes. Le village pacifié semble avoir renoncé à la désignation d’une victime émissaire. L’état fusionnel de cette population permet cependant de penser que, dans le même temps, se mettent en place des éléments qui, à la première occasion, conduiront à la désignation d’un nouveau bouc émissaire. Nathan Katz a écrit ses pièces au cours de l’entre-deux guerres, à une époque où s’annoncent en Allemagne le retour au mythe, et la mise en oeuvre du rituel du bouc émissaire sur l’ensemble de la population juive. Ce rituel, techniquement et administrativement organisé sur un temps long, est destiné à la production d’une race aryenne pure. Cette race doit être obtenue par l’élimination du « Juif », terme qui dans ce contexte désigne le corps collectif de la population juive. Le Juif est considéré comme un déchet, destiné à la crémation, et dont il ne doit rien rester. La lecture actuelle des pièces de Nathan Katz m’a conduit à y voir une contextualité à l’égard de la persécution des Juifs par les nazis. Dans les pièces, comme dans la réalité, la victime émissaire est perçue comme totalement autre : vouée au mal absolu dans la perspective chrétienne des pièces, considérée comme un élément corrupteur par les nazis. Dans les deux cas, les corps des victimes sont détruits par le feu et les survivants condamnés à un deuil sans fin. En contrepoint de la cruauté que manifestent les gibets et les bûchers, les pièces de Nathan Katz transmettent un message de non-violence. Martin manifeste sa compassion à l’égard des Ardwibele comme des êtres de ce monde-ci. Doni, devant la dépouille mortelle d’Annele, rappelle le message évangélique et célèbre l’amour du pays. Nathan Katz lui-même s’était forgé une philosophie syncrétique de non-violence, fondée sur le christianisme et le bouddhisme 33 . Dans cette Alsace qu’il a tant aimée, la non-violence politique est de
88 ANNY BLOCH règle. Les changements d’appartenance nationale n’ont jamais entraîné la région dans le cycle de la violence et de la répression. L’on ne peut exclure pour autant que la tentation, propre aux périodes de crise, de désigner des victimes émissaires, n’ait resurgi sous la forme de mots d’ordre nationalistes. ■ NOTES 1. FICHTER Charles, Le Sundgau de Nathan KATZ, Saison d’Alsace, automne 1994, p. 149- 157. 2. Nathan KATZ, Sundgau, Dialekt-Gedichte, Colmar, 1930, O C 1, p. 14. 3. Nathan KATZ, O C 1, p. 15. 4. Nathan KATZ, O C 1, p. 8. 5. Charles FICHTER, cf note 2., p. 152. 6. STÖBER August, «Die Sagen des Elsasses», 1892, Strassburg, Heitz und Mündel, T I, p. 2 et p. 11. 7. MARTIN E. und LIENHART H., «Wöterbuch der Elsässischen Mundarten», Strassburg, Karl J. TRUBNER, 1899, T II, p. 781. 8. Nathan KATZ, D’Ardwibele, E Spiel im Sungaü, Müsik vu Leon Kauffmann, Colmar, Alsatia, 1930, o.c. 2, p. 7. 9. Nathan KATZ, o.c. 2, p. 9. 10. Nathan KATZ, o.c. 2, p. 44. 11. Nathan KATZ, o.c. 2, p. 48. 12. CERF Eve, Dramaturgie et Société, Essai sur le Théâtre Alsacien et le Barabli, Revue Alsacienne de Littérature, Strasbourg, n° 35, 1991. 13. FUES Johan, Die Pfarrgemeinden des Kantons Hirsingen. Ein Betrag zur Geschichte des Elsass, Rixheim, A. SUTTER , 1879, p. 206. 14. Nathan KATZ, Annele Balthasar, Stick in vier Akte, Thann, ed. des Jeunes, 1924; o.c. 3, p. 21. 15. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 23. 16. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 24. 17. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 12. 18. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 20. 19. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 31. 20. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 42. 21. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 43. 22. Nathan KATZ utilise le terme Haxetanz, danse de sorcières, terme qui se trouve aussi dans les notes des procès des sorcières d’Altkirch, de préférence à celui de Hexeschawwes, sabbat des sorcières, plus répandu dans les pays de langue germanique. Le dernier terme assimile le sabbat des sorcières à celui des Juifs, autres victimes désignées en périodes de crise. 23. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 44. 24. Communication personnelle de Nathan KATZ, Mulhouse 25 mars 1973. 25. RAPP Francis, Histoire de l’Alsace, ouvrage collectif sous la direction de Philippe Dollinger, Toulouse, Privat 1972, p. 256. 26. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 32. 27. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 64- 65. 28. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 63. 29. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 33. 30. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 62. 31. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 53. 32. Nathan KATZ, o.c. 3, p. 103. 33. Rencontre de l’auteur avec Nathan KATZ . De leur côté, Yolande SIEBERT (Nathan KATZ, Poète du Sundgau, Strasbourg, Istra, 1978, p. 156) et Victor HELL (Nathan KATZ, Itinéraire spirituel d’un Poète alsacien, Strasbourg, Alsatia, 1978, p. 127) perçoivent une philosophie panthéiste dans l’oeuvre de Nathan KATZ. Des berges du Rhin auxrives du Mississippi Une culture recommencée Anny Bloch Ingénieur CNRS Laboratoire de sociologie de la culture européenne, Faculté des sciences sociales «Si tu ressens la douleur des seuils c’est que tu n’es pas un touriste; et le passage peut avoir lieu peter Handke, Images des recommencement C ette recherche fait suite à un premier travail sur la notion de fidélité ou d’infidélité des émigrants juifs d’Alsace-Moselle qui, à partir des années 1830 ont quitté l’est de la France pour s’installer aux États-Unis, et plus particulièrement le long du Mississippi 1 . C’est donc davantage du côté de l’arrivée que des raisons du départ de ces émigrés que notre analyse porte. Une culture se structure peu à peu grâce à des apports multiples dont nous essaierons d’analyser les composantes. En quoi les émigrés ne sont plus tout à fait proches de leurs familles anciennes, en quoi les contraintes d’intégration et de séparation avec le pays d’origine les ont éloignés d’elles, de quelles différences s’agit-il ? Faut-il quitter un lieu pour s’intégrer dans un nouveau pays, recommencer une autre histoire, et sur quelles bases se fondet-elle ? Quel type de « bricolage » culturel se met en oeuvre ? Plus tout à fait comme avant, pas tout à fait comme les voisins. Un travail de transition se bâtit lentement par une synergie parfois imprévue entre pays d’origine et pays d’accueil qui accompagne un code de valeurs renouvelé, un récit, un style de vie à inventer. En dépit de tout ce travail, reste-t-on encore et toujours un étranger ? les émigrés juifs alsaciens le long du mississippi : brève anatomie Souvent par familles entières mais aussi célibataires pour la majorité, ils débarquent pour la plupart entre 1820 et 1890 à la Nouvelle-Orléans, très grand port commercial. Ils s’établissent dans des régions le long des boucles les plus fertiles du Mississippi, dans des petites villes qu’ils vont contribuer à développer, intermédiaires entre fermiers, planteurs et importateurs de matières premières. Mentionnons Port Gibson, Natchez, Vicksbourg, Shreveport, Opelousas, Alexandria (Louisiane, Mississippi). Cette émigration n’a rien d’une volonté de conquête, de colonisation ou d’expansionnisme. Comme nous l’avions évoqué dans notre précédent travail, ce mouvement correspond pour l’essentiel à un choix négatif. Il est une réponse à la pauvreté, à la surpopulation et aux famines successives. Dans cette option de départ, il ne faut pas sous- Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1997, n° 24
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