Revue des sciences sociales
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AVANT-PROPOS<br />
7<br />
EXILS<br />
MIGRATIONS<br />
ANNY BLOCH<br />
BRIGITTE FICHET<br />
FREDDY RAPHAEL<br />
VOYAGES<br />
Le thème est d’actualité. Il n’est pas<br />
un effet de mode. Les bouleversements<br />
tant politiques, économiques<br />
que sociaux ébranlent les<br />
mo<strong>des</strong> de vie, les formes de relations<br />
<strong>sociales</strong> et les rapports au travail. Ils<br />
re<strong>des</strong>sinent les inscriptions dans les<br />
territoires familiers, tant au Sud qu’au<br />
Nord, jusqu’au coeur de l’Europe. Ces<br />
changements, plus subis que choisis,<br />
engendrent une crainte diffuse, et les<br />
mouvements de population qu’ils suscitent<br />
génèrent le repli <strong>des</strong> sédentaires.<br />
Pourquoi cette suspicion qui pèse<br />
sur la mobilité <strong>des</strong> personnes ?<br />
Pourquoi cette perception d’emblée<br />
négative ? Elle touche aussi bien les<br />
immigrés étrangers, les réfugiés, les<br />
noma<strong>des</strong>, les Sans Domicile Fixe, les<br />
instables, que les expatriés de retour<br />
dans leur pays... Même les enfants<br />
seraient menacés dans leur scolarité<br />
s’ils étaient amenés à changer d’école...<br />
Nous sommes loin du tourisme,<br />
mais aussi <strong>des</strong> voyages initiatiques, du<br />
tour de France <strong>des</strong> compagnons, de la<br />
découverte de nouveaux mon<strong>des</strong>...<br />
En miroir, pourquoi cette primauté<br />
du droit du premier occupant, du plus<br />
ancien, de celui dont la mobilité<br />
s’oublie ? Ce droit-là n’est pas celui du<br />
vaincu, du colonisé, mais il est imposé<br />
par ceux qui peuvent tracer et surélever<br />
les frontières et désigner ainsi la<br />
mobilité qu’ils craignent le plus.<br />
Les trois termes, « exils », « migrations<br />
» et « voyages » ne s’analysent<br />
pas séparément. Par certains<br />
aspects ils sont complémentaires. Ils<br />
s’opposent à l’idée d’enracinement. Il<br />
convient de distinguer les migrations<br />
qui impliquent un départ volontaire<br />
avec l’espoir d’un retour dans le pays<br />
d’origine, de l’exil. Celui-ci correspond<br />
à une contrainte, à une nécessité que<br />
détermine une situation politique de<br />
crise du pays d’origine, la prison, la<br />
guerre, l’exclusion jusqu’à l’extermination.<br />
Le voyage n’est parfois que le<br />
première étape du parcours du combattant<br />
qui caractérise l’émigration ; le<br />
problème de la clan<strong>des</strong>tinité du<br />
migrant ne saurait être esquivé.<br />
Quelle est la place <strong>des</strong> exilés et <strong>des</strong><br />
migrants dans la société d’accueil, quel<br />
est leur statut professionnel, social et<br />
politique ? Un groupe ou un individu<br />
déplacés se trouvent souvent déclassés<br />
dans ce nouveau pays. Parallèlement ,<br />
comment le pays d’origine perçoit-il<br />
celui qui est parti, celui qui rentre provisoirement<br />
ou définitivement ?<br />
La notion d’exil s’entend aussi<br />
d’une façon plus large, comme un exil<br />
intérieur, voire comme un exil à l’intérieur<br />
de son propre pays. L’individu ou<br />
le groupe peuvent être du pays mais,<br />
pour <strong>des</strong> raisons d’aménagement<br />
urbain, se trouver exilés dans d’autres<br />
quartiers ou à la périphérie de la ville.<br />
D’une manière plus globale, le<br />
migrant doit parvenir à un « accommodement<br />
» entre deux mon<strong>des</strong>.<br />
Comment retrouver <strong>des</strong> liens, associations,<br />
quartiers, cafés ? Comment<br />
recréer un espace symbolique, pallier<br />
l’absence de la place singulière que<br />
confèrent la famille, la généalogie, le<br />
logement, le décor, les traditions culinaires...?<br />
A cela s’ajoutent l’impératif<br />
de l’apprentissage de la langue de<br />
l’autre, la stigmatisation qu’entraîne<br />
l’accent, l’usage parcimonieux de la<br />
langue étrangère, l’incompréhension.<br />
Le choc de la transplantation détermine<br />
aussi l’inintelligibilité <strong>des</strong> normes<br />
dominatrices du pays où le migrant<br />
s’est établi. Comment celles-ci sontelles<br />
appréhendées ? Ressembler à<br />
l’autre du pays d’accueil ou s’en différencier<br />
? Quand on est étranger, comment<br />
témoigne-t-on de la volonté de<br />
s’intégrer dans le pays d’accueil, de<br />
« ressembler » à son hôte ?<br />
Les politiques migratoires et les politiques<br />
européennes d’intégration sont<br />
très différenciées. Elles font le jeu <strong>des</strong><br />
extrêmes, car elles posent le problème<br />
de la constitution “ethnique” <strong>des</strong><br />
nations européennes. Cette question<br />
éminemment politique et sociétale fait<br />
<strong>des</strong> migrants <strong>des</strong> coupables ou <strong>des</strong> victimes.<br />
Il convient d’analyser les dangers<br />
de l’ethnicité et de l’absolu ethnique.<br />
Est-il possible d’entrer dans<br />
une ère post-nationale dans laquelle la<br />
citoyenneté serait dissociée de la nationalité,<br />
et peut-on élaborer une théorie<br />
de la nation sans nationalisme ?<br />
De nos jours se banalise une typologie<br />
manichéenne qui oppose la cul-<br />
<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1997, n° 24