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Revue des sciences sociales

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182<br />

LA COOPÉRATION HOSPITALIèRE TRANSFRONTALIèRE<br />

183<br />

cet Institut, dont le rayonnement et la<br />

renommée sont devenus mondiaux, a mis<br />

en place un important secteur de recherche<br />

et, par l’intermédiaire de son département<br />

EITS (European institute of telesurgery),<br />

créé en 1994, a promu à l’échelle de l’Europe<br />

le développement de la téléchirurgie via <strong>des</strong><br />

programmes d’enseignement et de<br />

recherche. Dans ce domaine, il délivre en<br />

particulier un diplôme d’Université, accrédité<br />

par la Société Française de Chirurgie<br />

Digestive et validé par la Confédération <strong>des</strong><br />

Universités du Rhin Supérieur (EUCOR) et<br />

donc sanctionné par les autorités alleman<strong>des</strong>,<br />

françaises et suisses. Après avoir<br />

obtenu en 1994 le label « Eureka » pour un<br />

projet européen portant sur les nouvelles<br />

technologies et la télétransmission chirurgicales<br />

et auquel ont été associés <strong>des</strong> spécialistes<br />

de l’Allemagne, de l’Italie et du<br />

Royaume Uni, l’IRCAD a été retenu pour un<br />

projet TESUS (Telesurgical staffs) <strong>des</strong><br />

Commissions européennes du programme<br />

cadre Telematics qui doit lui permettre<br />

d’être en permanence connecté avec 19<br />

hôpitaux universitaires européens, l’objectif<br />

étant de développer la téléchirurgie et<br />

d’optimiser la formation <strong>des</strong> chirurgiens ;<br />

ainsi, par les autoroutes de l’information,<br />

seront transmis d’un lieu à l’autre, à l’aide<br />

d’images fixes ou animées, <strong>des</strong> éléments du<br />

« dossier » d’un patient qui pourront permettre<br />

la participation à la prise de diagnostic<br />

et servir au télé-enseignement et à la<br />

télé-formation 35 .<br />

Signalons aussi la convention en date du<br />

27 novembre 1992, relative au projet d’un<br />

« Institut européen de Recherche en réhabilitation<br />

cardiaque », réalisée dans le cadre<br />

du programme opérationnel INTERREG<br />

«Rhin supérieur Centre-Sud » et signée<br />

notamment entre le Benedikt Kreutz<br />

Rehabilitationszentrum für Herz- und<br />

Kreislaufkranke de Bad Krozingen, maître<br />

d’ouvrage de l’opération, le Centre<br />

Hospitalier de Mulhouse, la clinique Saint-<br />

Joseph de Colmar et l’Hôpital central de<br />

Bâle. Le projet devant être réalisé par le<br />

maître d’ouvrage ayant pour objectif la<br />

« comparaison <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de diagnostic<br />

et thérapeutiques françaises, alleman<strong>des</strong> et<br />

suisses appliquées à <strong>des</strong> groupes de<br />

patients ciblés, souffrant de maladies cardiaques,<br />

comme première phase de la création<br />

ultérieure d’un institut européen de<br />

recherche en réhabilitation cardiologique<br />

» 36 .<br />

Si la coopération transfrontalière permet,<br />

dans certains cas, d’harmoniser <strong>des</strong><br />

situations quelque peu inégales, comme<br />

nous l’avons vu, elle exige cependant un<br />

minimum d’uniformité dans les pratiques.<br />

En effet, les échanges de part et d’autre de<br />

la frontière sont envisageables parce qu’il<br />

existe <strong>des</strong> points communs entre la formation<br />

<strong>des</strong> médecins français et celle <strong>des</strong><br />

médecins allemands ou parce que la médecine<br />

s’exerce à peu près de façon analogue<br />

<strong>des</strong> deux côtés du Rhin. Lorsque les formations<br />

sont tout à fait décalées entre deux<br />

pays en raison d’une divergence de conception<br />

<strong>des</strong> soins, comme c’est le cas pour les<br />

infirmières françaises et alleman<strong>des</strong>, les<br />

pratiques hospitalières transfrontalières<br />

sont quasi inexistantes. D’où l’intérêt <strong>des</strong><br />

processus d’homogénéisation au niveau<br />

européen et notamment, pour prendre le cas<br />

de Strasbourg, du projet pilote COMETT de<br />

recherche pour l’uniformisation <strong>des</strong> soins<br />

infirmiers en Europe auquel a été associé<br />

l’Institut de formation en soins infirmiers<br />

(IFSI) <strong>des</strong> Diaconesses de Strasbourg, en<br />

liaison avec la Faculté de médecine de<br />

Lübeck et l’Université de Coblence-Landau<br />

et portant sur l’hygiène hospitalière 37 .<br />

Les réglementations en vigueur , comme<br />

nous l’avons constaté dans le cas <strong>des</strong><br />

greffes, et les obstacles administratifs rendent<br />

souvent la collaboration malaisée. Ce<br />

sont ces types de difficultés que rencontrent<br />

les hôpitaux de Wissembourg et de Bad<br />

Bergzabern qui collaborent depuis plusieurs<br />

années avec comme projet commun notamment<br />

d’utiliser <strong>des</strong> techniques médicales<br />

non représentées dans un <strong>des</strong> établissements<br />

(cardiologie, laboratoires, urgences),<br />

de créer un pôle hospitalier et d’acquérir un<br />

scanner 38 .<br />

Par ailleurs, la médecine étant une discipline<br />

qui exige que l’on soit sans cesse à la<br />

pointe du progrès, l’innovation est vite<br />

adoptée par les médecins, ce qui explique<br />

que les échanges transfrontaliers soient<br />

ponctuels et limités à <strong>des</strong> secteurs précis.<br />

Les CHU, en particulier, cherchent naturellement<br />

à être performants dans chaque<br />

branche de la médecine pour offrir une<br />

gamme élargie et quasi complète de soins,<br />

cette tendance pouvant être accrue dans le<br />

cas du CHU de Strasbourg par l’absence de<br />

structures équivalentes à proximité de<br />

l’autre côté de la frontière. De ce fait, la<br />

situation de part et d’autre du Rhin ressemble<br />

globalement davantage à une juxtaposition<br />

de pratiques hospitalières qu’à un<br />

ensemble comportant de réelles différences<br />

impliquant la complémentarité, celle-ci,<br />

prônée par la réforme hospitalière du 3<br />

juillet 1991 et l’ordonnance du 24 avril 1996<br />

portant réforme de l’hospitalisation publique<br />

et privée, restant quasiment le fait,<br />

comme nous l’avons vu, <strong>des</strong> structures<br />

nationales.<br />

Pour toutes ces raisons, mais aussi pour<br />

<strong>des</strong> motifs tenant au remboursement <strong>des</strong><br />

soins par la Sécurité sociale, très peu de<br />

patients franchissent en fait la frontière pour<br />

aller se faire soigner.<br />

LES RAPPORTS COMMUNAUTAI-<br />

RES Les relations personnalisées qui, soit<br />

se sont nouées au cours <strong>des</strong> échanges, soit<br />

préexistaient à ces derniers, constituent un<br />

autre élément du succès de la coopération<br />

transfrontalière. « La complémentarité<br />

interhospitalière que l’on observe ne saurait<br />

être caractérisée par les seuls rapports<br />

sociétaires, écrivions-nous. Elle se traduit<br />

aussi par <strong>des</strong> rapports communautaires qui<br />

relèvent d’un autre registre que celui de la<br />

logique juridico-économique. Des facteurs<br />

socio-affectifs au sens large peuvent induire<br />

et précéder le processus de coopération,<br />

l’accompagner et en découler. Ainsi, parce<br />

que <strong>des</strong> individus, <strong>des</strong> groupes se<br />

connaissent, ont déjà travaillé ensemble, ils<br />

peuvent souhaiter associer leurs efforts pour<br />

former une équipe qui marchera parce<br />

qu’elle reposera sur <strong>des</strong> liens sociaux et pas<br />

seulement sur le calcul économique » 39 .<br />

C’est ainsi que, parmi les expériences<br />

que nous avons relatées, nombre d’entre<br />

elles ont pu fonctionner parce que <strong>des</strong> pro-<br />

fesssionnels avaient le souci de communiquer<br />

et de développer <strong>des</strong> échanges entre<br />

eux. Il en va de même <strong>des</strong> associations<br />

médicales transfrontalières, caractérisées<br />

par la volonté de leurs membres de mettre<br />

en commun <strong>des</strong> savoirs et de progresser<br />

ensemble, tels le Groupe de Travail <strong>des</strong><br />

Oncologues du Rhin Supérieur - G.T.O.R.<br />

(Oberrheinischen Arbeits Gemeinschaft für<br />

Onkologie - O.A.O) ou la Société de<br />

Gynécologie et d’Obstétrique du Rhin<br />

Supérieur (Oberrheinische Gesellschaft für<br />

Geburtshilfe und Gynäkologie) 40 . On peut<br />

aussi citer les accords et conventions européens<br />

interuniversitaires entre les facultés<br />

de médecine et d’odontologie et les programmes<br />

européens d’échanges d’étudiants<br />

41 , mais ces relations concernent une<br />

aire beaucoup plus vaste que les simples<br />

zones transfrontalières.<br />

Aux relations de bonne entente personnelle,<br />

voire d’amitié, il faut ajouter, comme<br />

facteur de réussite, la connaissance du pays<br />

de l’autre et surtout de sa langue. C’est sans<br />

doute une <strong>des</strong> principales explications <strong>des</strong><br />

succès comme <strong>des</strong> échecs, lorsque l’idiome<br />

du voisin n’est pas connu. La non-mobilité<br />

<strong>des</strong> professionnels, mais aussi <strong>des</strong> patients,<br />

s’explique largement par la non-connaissance<br />

<strong>des</strong> langues étrangères. L’existence de<br />

pratiques hospitalières transfrontalières<br />

suppose que la question linguistique ne soit<br />

plus un obstacle, ce qui implique, pour les<br />

personnes concernées, la maîtrise de la<br />

langue de l’autre pays et rend en tout cas<br />

nécessaire, pour les habitants de l’Alsace,<br />

une meilleure connaissance de l’allemand.<br />

***<br />

Après avoir présenté les enjeux de la<br />

coopération transfrontalière, notamment<br />

dans le secteur sanitaire, nous avons vu que<br />

nombre de réalisations existent dans le<br />

domaine hospitalier, celles-ci étant caractérisées<br />

par <strong>des</strong> rapports à la fois de type<br />

sociétaire et de type communautaire. Mais<br />

au total, les expériences restent très limitées<br />

par rapport à ce qui, théoriquement, serait<br />

envisageable. Sans doute, la spécificité du<br />

domaine de la santé par rapport à d’autres<br />

secteurs de l’activité économique et sociale<br />

peut-elle être à l’origine <strong>des</strong> difficultés rencontrées<br />

et <strong>des</strong> limites à certaines généralisations.<br />

Néanmoins il semble que ce soit,<br />

comme pour bien d’autres types d’échanges,<br />

le problème même <strong>des</strong> frontières qui reste<br />

posé. Comme l’écrivent Freddy Raphaël et<br />

Geneviève Herberich-Marx : « Même si l’air<br />

du temps est à l’abolition <strong>des</strong> frontières,<br />

force est de constater que celles-ci servent<br />

de repères à l’identité nationale, et conservent<br />

dans la pratique à la fois <strong>des</strong> fonctions<br />

politiques et stratégiques et <strong>des</strong> fonctions<br />

économiques » 42 .<br />

■<br />

NOTES<br />

1. Nous nous appuyons sur une étude que le<br />

CERESS a été amené à réaliser en Alsace en<br />

1994 et 1995, par l’intermédiaire de l’AUEF<br />

(Association Université-Entreprise pour la<br />

Formation) régionale d’Alsace et en liaison<br />

avec l’AUEF Nord-Pas de Calais, sur l’ « analyse<br />

<strong>des</strong> besoins de formation initiale et<br />

continue résultant <strong>des</strong> nouvelles pratiques<br />

hospitalières transfrontalières en réseau », la<br />

partie concernant le Nord-Pas de Calais<br />

étant assurée par le Dr Christophe Duvaux de<br />

l’unité Loginat du CHRU de Lille. Notre travail<br />

repose sur <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de cas menées<br />

dans une dizaine de structures, sur <strong>des</strong> interviews<br />

approfondies de responsables administratifs<br />

ainsi que de praticiens hospitaliers<br />

tous confrontés, à travers leurs pratiques, à<br />

<strong>des</strong> situations de coopération transfrontalière.<br />

L’analyse actualisée que nous présentons<br />

ici constitue un élargissement par rapport<br />

à la recherche spécifiquement centrée<br />

sur l’incidence que les pratiques hospitalières<br />

de part et d’autre de la frontière ont sur<br />

les seuls besoins en formation. Nous avons<br />

étudié aussi quelques exemples en Moselle,<br />

département qui, rappelons-le, a le même<br />

régime local d’assurance maladie que<br />

l’Alsace. Sur les aspects juridiques de la<br />

coopération culturelle transfrontalière, cf.<br />

Guide juridique de la coopération culturelle transfrontralière,<br />

Strasbourg, Presses Universitaires de<br />

Strasbourg, 1995.<br />

2. PA comme Palatinat, MI comme Mittlerer<br />

Oberrhein et NA comme Nord Alsace.<br />

3. Cf. RAPHAËL Freddy et HERBERICH-MARX<br />

Geneviève, Mémoire plurielle de l’Alsace. Grandeurs<br />

et servitu<strong>des</strong> d’un pays <strong>des</strong> marges, Collection<br />

Recherches et Documents, Tome XXXXIV,<br />

Publications de la Société savante d’Alsace<br />

et <strong>des</strong> Régions de l’Est, Strasbourg, 1991;<br />

Alfred WAHL, « L’identité tenace d’une<br />

région frontière », Alsace-Magazine, été 1995,<br />

pp. 50- 57.<br />

4. DJELLABI Shérazade, « Le procès de la<br />

coopération transfrontalière », L’Express, 9<br />

mars 1995.<br />

5. HUMEAU Bernadette, « Un vent d’Allemagne<br />

souffle sur Strasbourg », Le Nouvel Economiste ,<br />

n° 947, 27 mai 1994.<br />

6. Cf. KLEINSCHMAGER Richard, « Le souci<br />

allemand de l’Alsace », Dernières Nouvelles<br />

d’Alsace, 22 novembre 1994.<br />

7. « Coopération transfrontalière, l’union fait la<br />

force », Dynamiques, Conseil Général du Bas-<br />

Rhin, n° 21, juillet-août 1994, pp. 4- 5.<br />

8. WEBER André, « Ne pas oublier l’Europe rhénane<br />

», Dernières Nouvelles d’Alsace, 15 mars<br />

1994.<br />

9. HOEFFEL Daniel, « Le traité de Karlsruhe »,<br />

Dernières Nouvelles d’Alsace, 27 février 1996.<br />

10. « L’Europe <strong>des</strong> 12 qui compte environ<br />

345 000 000 habitants, compte 54 régions<br />

frontalières avec une population de 150 000<br />

000, soit aussi environ 45 %», in WEBER<br />

André, loc cit.<br />

11. Les problèmes de santé et de sécurité au travail<br />

relèvent en revanche de la compétence<br />

<strong>des</strong> institutions européennes.<br />

12. Cf. l’étude que nous avons menée dans cette<br />

optique avec l’équipe du professeur<br />

Guy SCHLAEDER (service de gynécologieobstétrique<br />

II de l’hôpital de Hautepierre<br />

CHU de Strasbourg) sur la gynécologie-obstétrique<br />

en Europe : SCHLAEDER Guy,<br />

STEUDLER François et al. « La gynécologieobstétrique<br />

et l’Europe <strong>des</strong> douze », dans :<br />

TOURNAIRE Michel (ed), Mises à jour en gynécologie<br />

et obstétrique, Collège National <strong>des</strong><br />

Gynécologues et Obstétriciens Français,<br />

Paris, Vigot, 1990, pp. 229- 260.<br />

13. WOEHRLING Jean-Marie, « Face à l’Allemagne<br />

», Saisons d’Alsace, n° 10, hiver 90/91,<br />

« Où va l’Alsace ?» p. 261.<br />

14. Citation de Jean-Marie Woehrling dans un<br />

« document de travail » remis au Conseil<br />

Régional et repris dans l’article de JUNG<br />

Dominique : « Coopération transfrontalière :<br />

la panne », Dernières Nouvelles d’Alsace, 21 juillet<br />

1994.<br />

15. Ibid.<br />

16. Cf. par exemple RICHEZ Jean-Claude dans la<br />

Table ronde « Où va l’Alsace ?», Saisons<br />

d’Alsace, n° 110, hiver 90/91, p. 20; KEIFLIN<br />

Claude, « Un poste frontière à l’Euro-<br />

Airport », Dernières Nouvelles d’Alsace, 14 mars<br />

1996.<br />

17. HUMEAU Bernadette, loc. cit.<br />

18. SCOTTO Marcel, « L’aménagement du territoire<br />

à l’heure européenne. II. L’Alsace veut<br />

une coopération transfrontalière sans entrave<br />

», Le Monde, 31 mars 1995.<br />

19 Ibid.

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