Claude LEGEREn guise de conclusionEn guise de conclusionClaude LEGERParisIl mřest apparu, en préparant cet exposé et à quoi je nřavais pas prêté assez dřattention, que Freud avaitinventé la psychanalyse au moment où le savoir psychiatrique connaissait une crise conceptuelle etméthodologique sans précédent depuis la naissance de la psychiatrie un siècle auparavant, ce qui nřest passans trouver un écho dans la situation actuelle, à ceci près que la psychanalyse a déjà un siècle dřexistence.Lřémiettement <strong>du</strong> corpus nosographique à la fin <strong>du</strong> XIXème, dont Lacan relevait, dans sa thèse de 1932, quřilétait digne de Babel, correspondait aux impasses sur les théories étiologiques, en particulier des pathologiesqui se trouvaient aux confins de la psychiatrie et de la neurologie. Il suffit de se souvenir de lřappareillagesophistiqué utilisé par Charcot dans lřétude de lřhystérie pour constater de nos jours que lřimagerie cérébraledans lřétude des troubles dits bipolaires nřest différente que par le progrès technique. Mais, il sřagit toujoursde visualiser la chose même, de la rendre évidente, au sens où les Anglo-saxons parlent d’Evidence, cřest-àdirede preuves. Cřest ainsi que sřest constituée au Canada la notion d’Evidence Based Medicine. Il nřest pasanodin de savoir que ce terme dřEvidence sřapplique aux preuves de lřexistence de Dieu ; il possède aussi,comme le mot « preuve », un sens judiciaro-policier. Cřest la raison pour laquelle cette médecine suppose lanotion dřexpertise, là encore connotée dřun sens judiciaire. Les experts sont ceux qui valident les donnéesfournies par les études cliniques, le plus souvent sous forme méta-analytique, cřest-à-dire par la lecture <strong>du</strong>plus grand nombre de travaux scientifiques, sur lesquels se fonderont les preuves qui permettront dřaboutir àun consensus. Cřest sur cette base-là que seront édictées de bonnes pratiques, dont il faudra contrôlerlřusage et donc quřelles soient bien connues. Dřoù lřinstauration en France dřun contrôle des connaissancesexigibles pour les médecins, nommé « Evaluation des pratiques professionnelles ». Ceci me permetdřintro<strong>du</strong>ire le terme « dřévaluation » qui est apparu initialement dans le vocabulaire économique pour lalabélisation des objets et la conformité des conditions de pro<strong>du</strong>ction. On lřa ensuite transposé au domainescientifique, ce qui paraît être en contradiction avec le fonctionnement même de cette communauté, quifonde ses avancées sur des échanges permanents et non sur des avis dřexperts.Du reste, les récentes expertises commanditées en France pour évaluer des pratiques touchant à la santémentale lřont été à la demande de lobbies dřusagers, comme cela a été le cas pour la célèbre expertise surles psychothérapies. Il sřagissait en lřoccurrence de prémunir les citoyens en quête de psychothérapeute dřunpiège sectaire. Lřexpertise, réalisée par lřINSERM, sur la demande des parlementaires interpellés, avait bienvocation dřexpertise scientifique. On sait ce quřil en résulta : la psychanalyse y fut discréditée au titre quřelleétait inévaluable dřun point de vue méta-analytique.La démarche, dont je viens de brosser rapidement le processus avec cet exemple qui nous a fait nousmobiliser il y a peu, puisquřil sřagissait en fait dřune attaque en règle contre la psychanalyse par de soi-disantexperts, qui étaient en réalité des praticiens <strong>du</strong> comportementalo-cognitivisme, cette démarche peut trouverson origine lointaine dans la création de lřOMS en 1948.Je vais vous en donner quelques éléments tels que je les ai appréhendés, nřétant ni historien, ni sociologue.La santé mentale va trouver à se loger dans la définition même de la santé telle quřon la lit dans laconstitution de cet organisme dépendant de lřONU : « La possession <strong>du</strong> meilleur état de santé quřil estcapable dřatteindre constitue lřun des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race,sa religion, ses opinions politiques et sa condition économique ou sociale ». Elle précise donc un aspect dela Déclaration Universelle des Droits de lřHomme dont elle est strictement contemporaine. La santé prend unrôle déterminant puisque la constitution affirme que « la santé de tous les peuples est une conditionfondamentale de la paix <strong>du</strong> monde et de sa sécurité ».La rhétorique de lřOMS nřest pas sans nous faire penser au grand projet pacifiste de Woodrow Wilson. Mais118Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007ACTES
Claude LEGEREn guise de conclusionla véritable portée de ce texte me semble être le lien qui conditionne le droit à lřéconomie et à la politique.Les états ont en effet des devoirs sanitaires. Dès lors, si ces devoirs ne sont pas remplis, la communautéinternationale peut intervenir : cřest ce quřon nomme lřingérence humanitaire avec toutes ses contradictionspuisquřil sřagit de faire la guerre aux catastrophes sanitaires sans la faire pour autant aux états qui en sontresponsables, et ce, pour préserver la paix mondiale dont la santé est une condition majeure. Le principalennemi est la maladie, essentiellement les épidémies et les pandémies. On fait alors implicitement unecomparaison entre les 15 millions de morts de la grippe espagnole de 1918 et les seulement 5 ou 6 millions<strong>du</strong>s à la guerre elle-même. La notion de « lutte contre les grands fléaux » sanitaires est donc inscritedřemblée dans les objectifs de lřorganisation mondiale, dans la suite de celle qui lřa précédée, à savoirlřOffice International dřHygiène Publique créé en 1907, dřoù naîtra en France lřOffice de prévention etdřHygiène Sociale en 1927-28 et auquel sera intégré lřHygiène Mentale en 36-37.Je me suis permis ce flash-back pour vous faire percevoir que la santé mentale nřa pas échappé à unepolitique dřhygiénisme et de lutte contre les grands fléaux, au même titre que la tuberculose et les maladiesvénériennes, incluant également la protection de lřenfance. Non seulement les maladies mentales sontrangées parmi les fléaux, mais leur traitement inclut le social et, par ce fait même, ce quřon a longtempsnommé « les pouvoirs publics ». Ainsi, le cadre de cette organisation dépassait nécessairement le seulchamp médical et sous-entendait la dimension économique de son action. Rappelons-nous que lřHygiènementale a été rattachée à lřOPHS en 1936 par le Front-Populaire. Et de fait, au dépistage des maladiesmentales va sřassocier simultanément leur classification selon un codage à visée statistique et médicoéconomiqueen vue de la création de moyens institutionnels adaptés à lřorientation des maladies. Oncomprend que le Lehrbuch de Kraepelin qui réorganisait la nosographie en la rationalisant, en particulier parla prise en compte de critères environnementaux et par lřappréciation des facteurs de chronicité, ait pu servirtrès tôt dřappui scientifique aux politiques sanitaires. Le traité de Kraepelin était en fait contemporain de lamise en place de ces politiques puisque sa 9 ème édition date de 1927.Jřajoute, pour renforcer la pointe de mon propos, que Kraepelin considérait que le processus morbide étaitorganique et nřapparaissait in fine et de visu quřà lřautopsie. La seule place que ce système autorisait à celuiquřon appelait alors « lřaliéné », était celle <strong>du</strong> cadavre. Je peux alors avancer que, en 1936, tandis que semettait en place lřHygiène Mentale en France, le système Kraepelin aboutissait outre-Rhin à un plandřeuthanasie des malades mentaux, au nom des mêmes présupposés, et que lřhécatombe que connurent lesAsiles français <strong>du</strong>rant lřOccupation (quelques 40 000 morts), si elle nřavait pas été planifiée, sřinscrivaitnéanmoins dans le même contexte référentiel. Lřhygiénisme consonait bien avec lřeugénisme et la cautionscientifique apparaissait dans le paysage de nos sociétés, comme justification de modes de sélection, aunom <strong>du</strong> bien-être collectif.Il sřest avéré, au vu de ces catastrophes, que toutes les tentatives dřaborder le bien-être en termesquantitativistes, et même dans les théories utilitaristes, ont été vouées à lřéchec. Les économistes ontachoppé sur lřobjectivation <strong>du</strong> bien-être et dans leurs tentatives de définir un bien-être collectif qui aurait étélřaddition des satisfactions indivi<strong>du</strong>elles, sauf à faire de lřEtat, comme le proposait Carl Schmitt, un « étattotal » conçu comme une réalité distincte de lřensemble des indivi<strong>du</strong>s. Cřest là que sřimpose la figure <strong>du</strong>Guide, de celui qui dicte les paramètres <strong>du</strong> bien-être et en planifie lřéconomie.Après la 2 ème guerre mondiale, lřhygiène va disparaître <strong>du</strong> vocabulaire officiel pour gommer ce quřil comportede malséant et va être remplacé par la notion de « santé ». Jusquřaux années 80, la santé mentale seraorganisée en France selon les principes dřune politique dénommée « secteur psychiatrique », à savoir :lřunité, la continuité et lřouverture, cřest-à-dire la prévention, le soin et son suivi, pour une population définie,par une même équipe pluridisciplinaire. Il faut bien constater que, aujourdřhui, cette conception de la santémentale est en voie de disparition. Je vais tenter de vous en donner quelques raisons.Au départ, cřest-à-dire juste après la 2 ème guerre mondiale, donc au moment de la création de lřOMS, leGénéral de Gaulle décida de créer un Bureau des maladies mentales au Ministère de la Santé pour faire quene se repro<strong>du</strong>ise plus lřhécatombe des Asiles. Lřexemple de lřAsile de Saint-Alban en Lozère, qui fut le seul àsauver ses patients en ouvrant ses portes et en les faisant héberger dans les familles de la région, servit defondement à la politique de secteur psychiatrique et à la création de la psychothérapie institutionnelle, grâceà laquelle les patients devenaient partie prenante de leurs soins. Cřest à cette époque que la psychanalyseinfiltra la psychiatrie et se conjoignit même à elle pour mettre en place de nouvelles approchesthérapeutiques. Lřinfluence de Jacques Lacan fut alors considérable. Sa thèse de médecine qui comporte lamonographie <strong>du</strong> « cas Aimée » fut diffusée par François Tosquelles à partir de Saint-Alban. Dřautre part,certains des psychiatres, les plus engagés dans ces réformes, furent des analysants de Lacan et desauditeurs assi<strong>du</strong>s de son séminaire. Enfin, Lacan lui-même ne rechigna pas, dès après guerre, à formaliserce qui est lřobjet même de la psychiatrie : les psychoses. Le dernier grand débat épistémique sur la folieAssociation des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007 ACTES 119
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