Zehra ERYORUKLa lettre volée des Arméniens de Turquieincidence de signifiant » 8 .Néanmoins, cette lettre, même absente et peut-être justement parce qu'elle est absente, dévoile un trou, unebéance en attente de devoir être bordée. Tel le destin de l'homme sur qui le langage est tombé et qui estcondamné à parler, la marque <strong>du</strong> massacre des Arméniens peut, je suppose, se rapprocher de ce qui pousseaussi un peuple, une communauté, à parler ou à ne pas parler.Dans les deux cas, ce qui s'avère, c'est que l'homme est habité par le signifiant. Et c'est ça l'inconscient,qu'on le dise indivi<strong>du</strong>el ou collectif. Quant au symptôme, il reste l'hiéroglyphe à déchiffrer.Quel est ce symptôme et sa part de jouissance à laquelle il tient ? Comment s'exprime-t-il dans le malaiseactuel de la Turquie ? Quel est son joint au passé et enfin, qu'est-ce qui fait retour et se répète dans lediscours ? C'est ce que je vais tenter de déplier.« Mais la lettre, pas plus que l'inconscient <strong>du</strong> névrosé ne l'oublie, se rapproche <strong>du</strong> retour <strong>du</strong> refoulé » ditLacan 9 . La dernière expression de cette lettre est le meurtre <strong>du</strong> journaliste Hrant Dink, tué par un jeune de 17ans. Ce dernier ainsi que ses complices appartiennent au groupe des "loups gris", mouvement de l'extrêmedroite turque.La question qui s'est posée à moi, c'est de me demander si cet acte criminel est un pur passage à l'acte ouun acting-out. Est-ce que ce crime est purement un crime raciste ou bien s'agit-il de quelque chose de plusprofond ?Dans le passage à l'acte, le sujet s'identifie à l'objet, il sort de la scène, devient pur objet. Son acte nedemande alors aucune interprétation. C'est de la pure jouissance (tout comme le symptôme). Il n'est quedemande d'amour et de reconnaissance.Peut-on ranger ce crime dans le passage à l'acte et clore le sujet ou y a-t-il autre chose à y lire ? Dans cetteaffaire, ce n'est pas que le sujet sort de la scène mais que, au contraire, il fait monter sur scène l'objet "a",celui qui était en quelque sorte la cause, l'objet de la mise en scène <strong>du</strong> drame qui s'y jouait jusque là, avec lacomplicité <strong>du</strong> sujet. Telle est la définition de l'acting-out. Souvent défini comme étant un acte impulsif qui semontre et qui est adressé à l'analyste, parce que l'acting-out est une demande d'interprétation, il est clair qu'iln'est pas nécessaire que le sujet soit en analyse pour qu'il soit dans l'acting-out. Hors analyse, il s'agit d'untransfert sauvage mais un transfert quand même! De là à faire entrer l'éléphant dans l'enclos et àdomestiquer ce transfert, ça, c'est une autre affaire. Cela questionne d'abord de savoir si la psychanalysetrouve une place en Turquie.C'est à Istanbul que le crime a eu lieu. Avant l'acte <strong>du</strong> criminel, nous savons que le journaliste a reçuplusieurs menaces de mort et qu'il a prévenu la police. Celle-ci n'a pas réagi et est restée muette et sourde àson appel. Au moment de l'acte, le criminel prononce quelques mots. D'après un témoin, il dit : « j'abats ungavour ». C'est-à-dire un non musulman, un infidèle.Après son arrestation, soit l'après acte, il se dira surpris dřavoir été arrêté : «Je croyais que ça allait rester uncrime impuni, jřallais rentrer chez moi et me vanter de mon acte en brandissant le drapeau turc, de manière àêtre considéré comme un héros», puis, il dénoncera ses complices. Ceci dit, le jeune criminel s'est montré telun héros posant fièrement devant le drapeau turc en compagnie des policiers. Le "se montrer" s'est propagédans le milieu de l'extrême droite turque, réunissant ainsi dans des manifestations des sympathisants coiffésd'un béret blanc semblable à celui que le tueur portait le jour <strong>du</strong> crime. Béret blanc, devenu pour l'occasionune marque, un signe d'appartenance et de soutien au criminel.Ici nous retrouvons ce que Lacan appelle la « dimension <strong>du</strong> langage non-verbal » qui signale la position del'objet dans le langage des abeilles. Cette communication non-verbale, qui est aussi présente chez l'homme« ne se soutient que dans la relation à cet objet et n'est pas transmissible sous la forme symbolique » ditLacan. Il poursuit en disant que « l'on peut saisir l'équivalent dans la communion qui s'établit entre deuxpersonnes dans la haine envers un même objet. C'est ainsi qu'elle peut réunir un nombre indéfini de sujetsdans le même "idéal"… que le discours et le symptôme répètent » 10 .8 Ibid., p 29.9 Ibid., p. 3410 Ibid., p. 19.30Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007ACTES
Zehra ERYORUKLa lettre volée des Arméniens de TurquieLa haine contre la différence de l'autre est présente ici, tout comme dans tout acte raciste. Pareil à la tueried'Anvers de mai 2006, à 3000 km l'un de l'autre, un même discours, un même symptôme.J'aimerais revenir sur la situation en Turquie.Comme je disais plus haut, outre le caractère à priori raciste <strong>du</strong> crime, il y a aussi dans cette affaire un actingoutqui se montre et qui demande une interprétation. Et à travers lui, un symptôme qui se répète et qui faitmalaise en Turquie. Quel est ce symptôme ?Si nous prenons par exemple au niveau de la répétition, nous trouvons plusieurs meurtres de journalistes enTurquie. Soit plus de 15 victimes en l'espace de 30 ans. Pour nommer les plus médiatisés et dont la plume futplus menaçante : Abdi Ipekçi en 1979, Çetin Emeç en 90, Ugur Mumcu en 93, et Hrant Dink en 2007. Cesrépétitions tragiques posent la question de la liberté de l'expression, de la parole et de la liberté tout court enTurquie. Un autre exemple est la mort d'une trentaine d'Alevis brûlés vifs en 93 lors de la présentation de latra<strong>du</strong>ction des "versets sataniques" sous l'œil "aveugle" des policiers. Derrière ces crimes, il s'est avéré queles auteurs ou les commanditaires, sont soit des ultranationalistes turcs, soit des membres d'organisationsislamistes. Enfin, ces meurtres se situent entre le point <strong>du</strong> massacre de 1915 et l'actuelle guerre menéecontre les Kurdes. Si, dans une première scène, il y a eu, comme dit Lacan, « un drame sans parole… c'estsur les propriétés <strong>du</strong> discours que joue l'intérêt <strong>du</strong> second » 11 ou des suivants.« Le déplacement d'un symptôme est déterminé par la place que vient à occuper le pur signifiant qu'est lalettre volée et confirme en même temps l'automatisme de répétition » 12 (12) dit Lacan.Si le symptôme est une parole bâillonnée, celui de la Turquie moderne est exemplaire puisque tout en étantlui-même bâillonné, sa fonction est de faire taire, dans le réel, toute parole qui toucherait à sa jouissance. Lediscours qui le soutient et qui se répète est celui <strong>du</strong> Maître totalitaire : l'armée en l'occurrence et ses troiscoups d'Etat : 1960, 71 et 80.Le dernier coup d'Etat étant le début d'un autre discours, celui <strong>du</strong> Discours Capitaliste, puisque, après 1980,arrive une libéralisation politique, économique et religieuse, en même temps que la guerre ouverte contre lesKurdes et la disparition de la gauche turque, qui, jusque là, avait été le contrepoids face à l'extrême droite.Le Discours Capitaliste actuel de la Turquie, en enfilant le voile religieux, dit, si je puis dire : "Voilez-vous latête et la face Ŕ au sens propre et figuré Ŕ et jouissez de tout ce que l'on vous met à disposition". Ce quirevient à dire avec Lacan : « occupez-vous de vos petits filous, nous vous donnerons même des moyensscientifiques, cela vous aidera à ne pas penser aux vérités qu'il vaut mieux laisser dans l'ombre » 13 . LaTurquie n'échappe pas non plus à ces petits objets de consommation.Du massacre de milliers d'Arméniens vers la fin de l'Empire au meurtre <strong>du</strong> journaliste Arménien, et de laproclamation de la République Laïque à la naissance d'une société capitaliste et religieuse telle que nousconnaissons dans l'actuelle Turquie, qu'est-ce qui a dérapé et quel est le point de ce dérapage ? Pouvonsnoussupposer que, dans ce défilé de meurtres, l'assassin <strong>du</strong> journaliste a aussi dérapé sur la même penteglissante, celle de la lettre et <strong>du</strong> signifiant qui était déjà là en 1915 ?Enfin, pouvons-nous avancer que, à force de vouloir faire taire ce qui tend à s'exprimer, que ce soit par desmassacres, des coups d'Etat, des coups de matraques ou des coups de feu pointés sur la parole, tout cecidévoile mieux ce qui crie de ce qui est bâillonné ?Puisque, après la mort de Hrant Dink, ou peut-être est-ce parce que l'étau s'est encore plus resserré, desmilliers de personnes arméniennes, kurdes, turques se sont ruées dans les rues pour crier : « Nous sommestous Arméniens. Nous sommes tous Hrant Dink ». Lacan dit justement Ŕ je le cite : « ce que veut dire la lettrevolée, voire en souffrance, c'est qu'une lettre arrive toujours à destination » 14 . Nous n'en sommes pas encoretout à fait là mais nous pouvons évoquer Colette Soler quand elle dit « l'expérience se situe toute entièredans le triangle de la parole bâillonnée, <strong>du</strong> ça parle ailleurs et de la parole pleine restitutive… » où ellereprend la redéfinition <strong>du</strong> symptôme dans RSI, « symptôme comme fonction de la lettre, la lettre étant lastructure localisée <strong>du</strong> signifiant » 15 .11 Ibid. p. 18.12 Ibid. p. 16.13 Ibid. p. 39.14 Ibid. p. 41.15 Collette Soler : "Du parlêtre", mensuel 8Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007 ACTES31
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