Christian FIERENSLřimpossible comme politique de la psychanalyseajouter, selon Freud, la profession de psychanalyste 3 . Et par là, Freud veut explicitement « assurer lřanalystede sa pleine sympathie dans toutes les obligations si pénibles auxquelles il est astreint dans lřexercice de saprofession ». La sympathie nřest pas un vain mot ici : il sřagit bien de la souffrance devant lřimpossible.La tactique a bien une structure de rangement, la stratégie a bien une structure hiérarchique. Maislřimpossible peut-il avoir une structure ? Est-il possible que lřimpossible ait une structure ?La réponse est oui. A condition de sřentendre.Je propose dřabord brièvement un schéma de structure pour le politique.Thèse proposée : le politique suppose en son fondement les trois questions impossibles de lřé<strong>du</strong>cation, <strong>du</strong>gouvernement et de la psychanalyse. Le politique traite <strong>du</strong> lien social en général ; il sřy agit de discours, <strong>du</strong>discours <strong>du</strong> maître (le gouvernement), <strong>du</strong> discours de lřuniversitaire (lřé<strong>du</strong>cation), <strong>du</strong> discours de lřanalyste (lapsychanalyse). Sans oublier le discours de lřhystérique qui apparaît plus directement. Toutefois, lřhystérie <strong>du</strong>politique ne devrait pas être rangée par une tactique et elle ne devrait pas non plus être vaincue par unestratégie. Plutôt que de faire appel à une autre structure extérieure (comme celle <strong>du</strong> rangement ou de lahiérarchie), il faudrait situer lřhystérie <strong>du</strong> politique dans sa propre question de lřimpossible et il faudrait yrépondre en la relançant par le gouvernement, par lřé<strong>du</strong>cation et par la psychanalyse. Je me limite bienenten<strong>du</strong> à la psychanalyse.L’impossibilité en psychanalyseComment la psychanalyse peut-elle répondre au politique ?Elle ne le peut que de lřintérieur ; elle ne le peut que si elle se développe elle-même comme politique.Mais comment ?La méthode de la psychanalyse débute par la singularité. Chaque analysant est unique et ne peut serapporter à une classe de patients. Chaque séance est unique. Chaque rêve est unique. Chaque signifiantest unique.La politique de lřanalyste serait-elle donc de prendre chaque fois Ŗau cas par casŗ ? Une sorte de politique <strong>du</strong>laisser faire, politique <strong>du</strong> laisser dire, voire politique de lřautruche ?Je remarque dřabord que lřexpression Ŗcas par casŗ est fondamentalement ambiguë, car le premier cas nřestsûrement pas le même que le deuxième, sans quoi il ne sřagirait pas de Ŗcas par casŗ. Un Ŗcasŗ et puis unautre se succèdent pragmatiquement. Ensuite, lřexpression vaut, à vrai dire, pour toute clinique ; tout clinicienprétend par définition procéder Ŗcas par casŗ. Et toute clinique se refuse par principe à simplement appliquerun savoir théorique général au cas particulier : il y a toujours des singularités qui échappent à la simpleapplication. Rien de spécifiquement psychanalytique dans tout cela.La vraie clinique freudienne commence là où lřon remarque lřimpossibilité inhérente à la méthode <strong>du</strong> Ŗcas parcasŗ. Ce qui distingue la psychanalyse des autres cliniques, cřest quřelle est une clinique de lřimpossible dansla méthode <strong>du</strong> Ŗcas par casŗ.Précisons dřabord quřil ne saurait sřagir de prendre lřimpossible comme ce qui est impossible à supporter ; ceserait insupportable dřêtre dans une pure clinique <strong>du</strong> singulier. Il ne saurait sřagir non plus dřune impossibilitéà réaliser pragmatiquement une clinique <strong>du</strong> singulier. Ni non plus quřune telle clinique serait impossiblelogiquement ou contradictoire. Lřimpossible en jeu dans la psychanalyse nřest ni lřinsupportable, nilřirréalisable, ni le contradictoire.Sans doute lřinconscient prête-t-il facilement à ce genre dřinterprétations romantiques : « cřestinsupportable ! » Ŕ « à moins de faire une analyse » , « cřest une tâche démesurée ! » Ŕ « à moins de faireune analyse » , « cřest contraire à toute raison ! » Ŕ « à moins de faire une analyse ». Car lřinconscient ne selaisse ré<strong>du</strong>ire ni à ce quřun indivi<strong>du</strong> peut accepter de vivre, ni à ce quřil peut réaliser tout simplement, ni nonplus à un syllogisme de logique mathématique. En refusant de le ré<strong>du</strong>ire au supportable, au réalisable ou à3 Analyse finie et analyse infinie, § VII.86Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007ACTES
Christian FIERENSLřimpossible comme politique de la psychanalyselřexposé transparent, nous ne faisons encore que dire ce qu’il n’est pas et non ce quřil est. Et la réponse « àmoins de faire une analyse » nřest quřune pétition de principe sans beaucoup de fondement. Une belle idéesans plus.Lřimpossible en psychanalyse pourrait se dire comme ce qui excède toute expérimentation passée, présenteet à venir.Mais nřest-ce pas là dire précisément 1° le passé insupportable, 2° le présent irréalisable, 3° le contradictoirequi ne viendra jamais ? Peut-être. Mais il sřagit de dire plus fortement « ce qui excède touteexpérimentation ». La chose est dřautant plus difficile en notre époque scientocentrée que Freud lui-mêmeavait une conception <strong>du</strong> monde résolument scientiste 4 .La clinique qui prend en compte l’inconscient est une clinique de l’impossible veut dire : lřhypothèse delřinconscient nřest pas une hypothèse scientifique, elle nřest pas soumise à lřexpérimentation. On ne vérifierani ne falsifiera jamais lřinconscient en tant que tel.De là découlent deux choses.1° Il nřy a aucune application judicieuse de la théorie au cas (fût-il le cas par cas). La théorie ne sert jamais àêtre appliquée au cas particulier. Le cas est tout fait pour rentrer dans des cases mentales ou diagnostiques.Le patient ne tombe pas comme un cas. Au contraire, lřon dira que le psychanalyste chute, non passimplement en fin de cure, mais dès le début. Il ne chute pas comme on tomberait dans le panier despsychanalystes disponibles sur le marché. Non ! Cřest la problématisation en terme de cas, de cases et decasés, qui chute. Lřanalysant nřest pas plus un cas que lřanalyste nřest un casé dans la profession.2° La psychanalyse doit se défaire de toute stratégie fondée sur une démarche scientifique, ce quřon appellecouramment la « politique scientifique » basée sur lřexpérimentation.L’inconscient est une IdéeDéfinissons lřintuition 5 comme une représentation qui se rapporte immédiatement à lřobjet dans sasingularité. La psychanalyse définie comme pratique singulière <strong>du</strong> cas par cas risque bien de devenir uneméthode purement intuitive. Ainsi par exemple, la méthode dřinterprétation des rêves par association libre <strong>du</strong>rêve risque bien de nous mener avec Freud non pas à une intuition claire et sûre dans lřinterprétation <strong>du</strong> rêvemais à lřembarras qui con<strong>du</strong>ira à développer le rêve comme essentiellement un travail, travail de rêve etdřinterprétation 6 .Définissons le concept scientifique comme une représentation médiate qui permet de subsumer le singuliersensible, expérimentable sous une généralité, généralité qui est précisément celle <strong>du</strong> concept. Ainsi laméthode scientifique est-elle toujours en quête de concept, de paradigmes généraux qui doivent êtreappliqués à lřexpérience et qui peuvent être falsifiés par les singularités de nřimporte quelle expérience.Il reste encore lřIdée. Définissons lřIdée comme une représentation qui dépasse radicalement la possibilitémême de lřexpérience. Ainsi lřIdée platonicienne est absolument inaccessible au sensible, il nřy a pasdřexpérience sensible de lřIdée. Ainsi personne ne pourra jamais faire lřexpérience concrète, scientifique delřâme (qui reste par définition invisible et inaccessible au sens), <strong>du</strong> monde (la totalité de lřexpérience nřestpas une expérience) et de Dieu (le transcendant transcende par définition toute expérience).Thèse : A lřopposé de toute intuition et de tout concept scientifique, lřinconscient est une pure Idée.Nous retrouvons ici notre impossibilité comme irré<strong>du</strong>ctibilité à lřexpérience en même temps que notrepolitique au sens fort <strong>du</strong> terme, le politique qui pose la question <strong>du</strong> fondement <strong>du</strong> lien social, sans pouvoirpourtant expérimenter ce fondement social puisque nous sommes toujours arrivés trop tard pour ce genre dequestion fondamentale et que nous sommes toujours déjà pris dans la ronde des discours qui nous font être4 Cf. le dernier chapitre des Nouvelles conférences sur la psychanalyse de 19325 Cf. Kant Critique de la raison pure, trad. Renaut, p.3466 On sait lřimportance des rêves typiques dans la théorisation de la Traumdeutung. Cf. mon article La structure <strong>du</strong> phallus ou la structurede l’interprétation <strong>du</strong> rêve, colloque Rêve aujourd’hui à lřULB avril 2007.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007ACTES87
- Page 3 and 4:
Psychanalysedans la cité3 ème col
- Page 5 and 6:
ArgumentPour lřOMS, la santé ment
- Page 7 and 8:
Bonheur et symptômePour une politi
- Page 9 and 10:
capitalisme parce que lřamour a ra
- Page 11 and 12:
même, jusquřà un certain point,
- Page 13 and 14:
Jean-Pierre DRAPIERTroubles dans un
- Page 15 and 16:
Jean-Pierre DRAPIERTroubles dans un
- Page 17 and 18:
Manuelle KRINGSCe que la psychose n
- Page 19 and 20:
Manuelle KRINGSCe que la psychose n
- Page 21 and 22:
Manuelle KRINGSCe que la psychose n
- Page 23 and 24:
Manuelle KRINGSCe que la psychose n
- Page 25 and 26:
lřengagement singulier dans le cha
- Page 27 and 28:
service. Cřest alors quřil commen
- Page 29 and 30:
ATELIERSAssociation des Forums du C
- Page 31 and 32:
Zehra ERYORUKLa lettre volée des A
- Page 33 and 34:
Zehra ERYORUKLa lettre volée des A
- Page 35 and 36:
Zehra ERYORUKLa lettre volée des A
- Page 37 and 38: David BERNARDLa qualité des choses
- Page 39 and 40: David BERNARDLa qualité des choses
- Page 41 and 42: Jean-Paul BERNARDAutour de lřéval
- Page 43 and 44: Jean-Paul BERNARDAutour de lřéval
- Page 45 and 46: Christian NEYSSport, modernité et
- Page 47 and 48: Christian NEYSSport, modernité et
- Page 49 and 50: Daniel DEMEYDe lřêtre ou du néan
- Page 51 and 52: Daniel DEMEYDe lřêtre ou du néan
- Page 53 and 54: Soins de santéAssociation des Foru
- Page 55 and 56: Claude BRONCKARTPsychanalyse à lř
- Page 57 and 58: Vanni DELLA GIUSTINAPsychanalyse et
- Page 59 and 60: Vanni DELLA GIUSTINAPsychanalyse et
- Page 61 and 62: Carole MARIOTTILa douleur de Jean,
- Page 63 and 64: Anne-Marie DEVAUXLřoffre du psycha
- Page 65 and 66: Psychanalyse appliquéeAssociation
- Page 67 and 68: Michel CODENSIl y a trente anssoula
- Page 69 and 70: Bernadette DIRICQInstitution, psych
- Page 71 and 72: Bernadette DIRICQInstitution, psych
- Page 73 and 74: Camille CORNETLa petite dame au bor
- Page 75 and 76: Camille CORNETLa petite dame au bor
- Page 77 and 78: Camille CORNETLa petite dame au bor
- Page 79 and 80: Luc GODARTA propos de la psychothé
- Page 81 and 82: Luc GODARTA propos de la psychothé
- Page 83 and 84: François LONGEDe lřamour pour le
- Page 85 and 86: François LONGEDe lřamour pour le
- Page 87: Christian FIERENSLřimpossible comm
- Page 91 and 92: Christian FIERENSLřimpossible comm
- Page 93 and 94: Pat JACOPS En quoi le psychanalyste
- Page 95 and 96: Guillermo RUBIOQuelques notes sur l
- Page 97 and 98: Guillermo RUBIOQuelques notes sur l
- Page 99 and 100: Yves BATNLe bonheur : Ŗune idée n
- Page 101 and 102: Yves BATNLe bonheur : Ŗune idée n
- Page 103 and 104: Coralie VANKERKHOVENLes désarrois
- Page 105 and 106: Henri de GROOTE Être en analyse, q
- Page 107 and 108: Henri de GROOTE Être en analyse, q
- Page 109 and 110: Matilde PELEGRILes lieux dřaccueil
- Page 111 and 112: Matilde PELEGRILes lieux dřaccueil
- Page 113 and 114: Myriam TALMAZANBien-être au travai
- Page 115 and 116: Véronique. DEMOULINLe malaise dans
- Page 117 and 118: Véronique. DEMOULINLe malaise dans
- Page 119 and 120: ConclusionAssociation des Forums du
- Page 121 and 122: Claude LEGEREn guise de conclusionl
- Page 123 and 124: Claude LEGEREn guise de conclusionq
- Page 125 and 126: Claude LEGEREn guise de conclusione
- Page 127 and 128: TABLE DES MATIERESTABLE DES MATIERE