Manuelle KRINGSCe que la psychose nous empêche dřoublier« Les discours épiphaniques sont des discours singuliers, des discours livrés à la contingence de lřinventivitéindivi<strong>du</strong>elle », nous pourrions dire des discours non établis. « Ce sont les discours de la novation, commeliens fondés sur des suppléances autres que le nom <strong>du</strong> père. » Nřest-ce pas là une façon de direlřab<strong>du</strong>ction ?Palabrer, cřest ponctuer la phrase interminable <strong>du</strong> sujet psychotique et tenter de faire point de capiton (les« ritournelles » de Z qui nřen peut plus dřentendre des bribes de chanson en boucle). On sait que la psychoseest une pathologie <strong>du</strong> point de capiton : point de capiton dans la diachronie <strong>du</strong> discours (le temps de laphrase) et point de capiton dans la synchronie de la métaphore 14 ; comme la métaphore nřopère pas dans lediscours <strong>du</strong> psychotique, qui reste aux prises avec la métonymie, il reste à considérer le temps de la phrase.Si le psychotique entre dans la palabre et la soutient, il travaille à ponctuer son discours ; mais il nřy entre pastoujours et, sřil y entre, il ne la soutient pas toujours. Cela nous renvoie aux deux façons dřêtre au monde <strong>du</strong>sujet schizophrène : dřune part quand il proteste et refuse le discours <strong>du</strong> Maître, tout en restant dans undiscours, cřest alors quřil peut entrer dans la palabre ou, dřautre part, quand « martyr de son inconscient » 15 ,il se met à lřabri, hors discours, afin dřéchapper au dire sans fin de lřAutre, traversé par la voie de ses voix,perçues comme venant dřun Ailleurs, avec un grand A.Aux prises avec ses voix, le sujet est pris dans un symbolique qui ne parvient pas à faire chaîne signifiante,Symbolique « déchaîné », confon<strong>du</strong> avec le Réel.Il sřagirait, dans notre dispositif, de pouvoir maintenir ensemble ces deux faces <strong>du</strong> rapport à lřautre de laschizophrénie.La palabre propose une interlocution avec un petit autre, un sujet parlant, et, de cette interlocution, émergeun dire <strong>du</strong> sujet qui tente de décompléter le grand Autre, à condition que lřinterlocuteur reste à la place <strong>du</strong>petit autre de lřaltérité subjective et non en place <strong>du</strong> grand Autre persécuteur comme le grand Autre des voix.Palabrer intro<strong>du</strong>it un acte de dire qui se distingue <strong>du</strong> dit venu des voix de lřAutre avec un grand A. Un acte dedire qui ponctue sans conclure. Une conclusion se percevrait <strong>du</strong> coté de la persécution et irait dans le sens<strong>du</strong> discours déchaîné alors que la ponctuation à lřaide des hypothèses fait chaîne par le biais des points decapiton. Il sřagit dřune ponctuation qui ne pourrait alors jamais être un point final persécuteur mais seulementun point virgule capitonnant pour un temps.On pourrait dire que le schizophrène tente, par ses hypothèses ab<strong>du</strong>ctives, de pro<strong>du</strong>ire une élaborationmythique. Dans un discours mythique, il y a mille versions et une mille et unième est toujours possible.Chaque version change un peu, il nřy a que des variantes : cřest <strong>du</strong> « bricolage » opposé à unetechnique maîtrisée. Le mythe nřest pas le discours <strong>du</strong> Maître mais tente de faire chaîne dans un discoursdéchaîné.Elaborer un mythe, cřest tenter de symboliser le Réel, comme le dit Lacan dans son séminaire La relationd’objet à propos de Hans, et symboliser le Réel, dans le cas de la psychose, est une entreprise sans fin,toujours à reprendre de par lřindistinction <strong>du</strong> Symbolique et <strong>du</strong> Réel 16 .La palabre offre un espace <strong>du</strong> dire permettant lřélaboration dřun mythe. Comme si les hypothèses ab<strong>du</strong>ctivespouvaient être rapprochées des théories sexuelles infantiles qui contribuent à construire le mythe.Il y aurait une parenté entre la position structurale <strong>du</strong> schizophrène et la possibilité de fonder un discoursnouveau, comme lřélaboration dřun discours religieux dans une secte, ou parfois certaines inventions…. Maistenir cette position a un prix. X confie combien cřest épuisant dřêtre Dieu !La palabre inclut un discours qui noue entre les sujets un lien social non établi ou épiphanique et un acte dedire toujours à reprendre parce que jamais vraiment capitonné, jamais dit « pour de bon » comme disent lesenfants, mais dit quand même.Dans la palabre, le sujet disant peut se nommer au sein dřun agencement. Un agencement particuliercomme peut parfois lřêtre un club thérapeutique. « Parfois », car ce nřest pas une évidence, la précaritérègne et cela ne sera que sřil y a <strong>du</strong> dire, « un espace <strong>du</strong> dire », condition nécessaire mais non suffisante. Cedire qui nomme a cela de particulier dans le contexte de la psychose quřil noue mais de façon éphémère.14 C .Soler : la querelle des diagnostics, séminaire 2003-2004.15 C. Soler, lřinconscient à ciel ouvert de la psychose.16 M. Bousseyroux, De la fêlure aux gouffres, Clinique de la psychose, Séminaire dřécole 2004-2005, EPFCL.18Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007ACTES
Manuelle KRINGSCe que la psychose nous empêche dřoublierÇa noue, mais aussi, ça se dénoue.La palabre serait donc un espace <strong>du</strong> dire et de lřauto-nomination faisant un nouage précaire.Tout ce que je propose ici, procède dřune hypothèse ab<strong>du</strong>ctive et donc faillible qui peut tenir un temps, letemps de penser un dispositif qui tient compte de la coexistence <strong>du</strong> lien social et de lřexclusion <strong>du</strong>schizophrène <strong>du</strong> discours <strong>du</strong> Maître. Manière de remettre en question le hors discours <strong>du</strong> mêmeschizophrène inscrit dans un lien social « non établi », certes, mais lien social.LES VA-ET-VIENT comme FORT-DA :Dans le transfert, lřanalyste prête sa présence au patient et non lřinverse.Les pratiques à visée réadaptative ou normative pourraient bien inverser le dispositif, empêchant le transfert,mais le psychotique ne sřy trompe pas ; si le dispositif tient plus en compte le symptôme <strong>du</strong> soignant quecelui <strong>du</strong> patient, il ne le pardonne pas et ne se laisse pas rencontrer.Le lien transférentiel avec lui ne se maintient que si lřinterlocuteur répond à la place dřun grand Autredécomplété alors que « LřAutre de la suggestion sans faille, cřest lřAutre non barré, lřAutre que convoquenttoutes les psychothérapie de type réé<strong>du</strong>catif » 17 diffère de lřautre de la palabre, lřAutre est passé à lřaltéritésubjective ou, <strong>du</strong> moins, la vise.Le psychotique nřen finit pas de laisser se confondre son interlocuteur avec lřAutre persécuteur. Le dispositifnřa alors de cesse de décompléter ce grand Autre tandis que, chez le sujet, alterne une position de refus <strong>du</strong>discours <strong>du</strong> Maître dans un discours, quand même, et une position hors discours. (Monsieur X se prend pourDieu et refuse tout contact social et me dit quřil refuse nos entretiens mais continuant à accepter nosinvitations à venir me le dire quand même).Revenons-en à lřobservation clinique : dans le déroulement de la trajectoire des patients, à qui lřon prête saprésence dans le transfert, le lien est ponctué, si on les laisse venir, des va-et-vient <strong>du</strong> patient. Madame Y ledit très précisément, « ad vitam aeternam, ça me tue, ça doit pouvoir sřarrêter pour que je puisse y aller ».On assiste dřabord à une errance qui, parfois, devient circulation dřun point à lřautre selon un parcoursétonnement libre, libre de toute logique phallique, mais non aléatoire, qui fait penser aux « des lignes d’erre »comme disait Deligny qui travaillait avec des enfants autistes.Le sujet psychotique ne sřadressera pas à un autre sur base dřun supposé savoir agalmatique mais à partirdřun trait quřil choisit selon une logique qui lui est propre et qui résiste bien souvent à notre« compréhension ». Il ne suppose pas au clinicien un savoir sur lequel se base le transfert dans la cure <strong>du</strong>névrosé ; il n’a rien à faire de son titre 18 .Lřanalyste prête sa présence, se fait le support de lřobjet de lřautre, mais un objet dont le psychotique ne sedéfait jamais vraiment. Un objet pour lequel lřanalyste se fait « dépôt consigné ».Après un temps imprédictible, il lui arrive régulièrement de revenir sřassurer que lřobjet déposé sous la formedřun signifiant ou dřun dire ou dřune expression plastique ou sous toute autre forme est toujours bien là,parfois très concrètement. (La lettre de A qui demande à la lire trois ans après lřavoir déposée et, le temps dela retrouver, me dit : « on me lřa volée ! »…)Une fois un objet déposé dans ce que je propose dřappeler « la valise consignée <strong>du</strong> transfert », vontsřeffectuer des va-et-vient.Lřobjet est déposé selon la consigne <strong>du</strong> sujet qui le dépose, qui prétend le retrouver tel quel lors de ses va-etvient.En particulier, quand lřobjet consigné est un signifiant, le psychotique entend bien ne pas en êtredépossédé comme le ferait une interprétation dans la cure <strong>du</strong> névrosé. Cřest toujours son signifiant qui, sřilpeut être pris dans la chaîne dřun discours comme la palabre, doit pouvoir en ressortir tel quel et êtreredéposé autrement ou, pourquoi non, de la même façon mais à un moment que lui-même choisit. Lacanparle de lřanalyste « scribe », qui transcrit au pied de la lettre 19 .17 C. Soler, La querelle des diagnostics, séminaire 2003-2004, p 153.18 Y. le Bon, Le cahier <strong>du</strong> stage N°1 "Trois jours sur la psychose", Collège clinique de Bourgogne Franche-Comté, mai 200319 J Lacan, Séminaire III, Les psychoses.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007ACTES19
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