Camille CORNETLa petite dame au bord de lřaquarium aux requinsDe la même façon quřil sřintéressait aux requins mangeurs dřhommes dans les livres, il sřintéressait aussi auxChrists de la série « Tout lřUnivers ». Il y avait les vrais, maigres, ceux de la croix, avec lřinscription, la jupe,cřest ainsi quřil nomme le vêtement en lambeau, et les clous, et les faux, ceux de lřiconographie orthodoxe,un peu enveloppés, arrondis. Il les connaissait tous et me demandait de nommer, « le christ de Dûrer, de VanDijk, de Jérôme Bosch, de Van Gogh, de Dali. Celui-ci lřagitait car lui, il avait vu, au premier coup dřœil, queles clous manquaient. Le christ semble collé à la croix et sřétend sur le monde sous un ciel comme un ciel deDelvaux. Il sřy intéressait aussi, lors de ses déambulations et de ses promenades solitaires où on le retrouvaitdans certaines églises chaque fois que sa famille le croyait per<strong>du</strong>.Lors de nos dernières séances, Chr… dessinait une sorte de B.D. de quatre planches où lřon voyait, sur lapremière, le Christ sur la croix avec lřécrit, les clous, la jupe ; la deuxième et la troisième sont semblables etreprésentent la croix seule et, sur la dernière feuille, il écrit un rond quřil ponctue de quelques mots « dans letrou ». Il y a là comme une sortie de croix. Il décomplète la dernière image de la passion <strong>du</strong> christ pour laré<strong>du</strong>ire à une lettre, trois mots.*3. Reprenons au début, trois ans plus tôt. Il avait 7 ans lors de son entrée au centre. Le centre de santémentale qui avait orienté ses parents vers un centre tel que le nôtre diagnostiquait un trouble delřattachement de lřenfance avec comme troubles associés :- syndrome <strong>du</strong> chromosome X fragile,- obésité- énurésie non organiqueŔ acculturation.Lřanamnèse évoquait une intervention à la naissance au niveau ombilical avec maintien en couveuse <strong>du</strong>rantdeux mois. A cinq mois, il y aurait eu une nouvelle hospitalisation de 5 mois causée par une gastroentériteaiguë.Il nřa pu rester à lřécole. On citait lřagressivité, lřautomutilation, lřhyperkinésie, lřabsence de graphisme et lestroubles boulimiques et écholaliques.Il a doublé de poids peu de temps après lřentrée à lřécole gardienne.En troisième maternelle, il se montrait très angoissé et agressif. Ses colères étaient spectaculaires. Il semordait le gras <strong>du</strong> bras à sang en gémissant.Le PMS de lřécole le destinait à lřenseignement spécial. Il semblait incapable dřapprendre à lire et à écriresans être pour autant reconnu comme débile mental.Ses parents ont refusé lřidée de lřenseignement spécial. Il leur a été proposé de mettre leur garçon enpremière année pour quřils se rendent à lřévidence. Le directeur dit quřil y a souffert et quŘil y a eu très peur.4. Lors des entretiens préliminaires à lřentrée de Chr… au centre, sa maman reconnaissait que Chr… avaitdes problèmes, son papa disait que Chr… nřétait « qu’un enfant » et que les problèmes sřarrangeraientavec le temps. Il souhaitera pourtant que son fils arrête de manger salement pour quřil puisse lesaccompagner plus facilement aux repas de famille.Je ne peux mřempêcher de penser que le triolet des petites voix de lřaquarium renvoie à la parole <strong>du</strong> petitpapa qui aurait dit aux crocodiles « ne touchez pas à lřenfant »5. L’entrée et les débuts.Les voix 1 .A son arrivée, il lance par la fenêtre et la porte <strong>du</strong> groupe qui lřaccueille aux quatre coins <strong>du</strong> centre, « niqueta mère, třes fou, ça va pas, non ?, viens ici petit, petit, petit, viens, viens… Aïcha, Aïcha ». Ces mots sontempruntés aux voix de la rue de lřépoque et à la chanson de Kaled.1 Si lřAutre apparaît comme vide, cřest au psychotique quřincombe la charge de le remplir. La voix serait lřultime objet(a) qui faitprésence de lřAutre72Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007ACTES
Camille CORNETLa petite dame au bord de lřaquarium aux requinsIl répète ces mots sans arrêt, qui sans arrêt circulent ; lřécho se propage de façon assourdissante, lřécholalieest institutionnelle. Le centre se bouche les oreilles. Dans son quartier, cela avait pour conséquence quřilétait battu par les grands garçons exaspérés.Il parle souvent avec une grosse voix. Il ne se tient à aucune activité. Il passe de lřune à lřautre sanstransition et les abandonne à peine commencées.Il mange ses mots et les écrase de façon incompréhensible.Tombe, à certains moments, de cette « bouillie de mots et de bruits langagiers », ce qui ressemble à desquestions, à cause, je crois, dřune intonation qui sřélève comme lřaccent dřun point dřinterrogation, sur unchangement de voix.La règle sociale ne tient pas.Voici, rapidement dit, pour témoigner <strong>du</strong> phénomène rencontré à ce propos, un résumé.La règle, son énoncé, son rappel, donner de la voix, hausser le ton, dire non, tracer une limite, fermer laporte <strong>du</strong> frigo, <strong>du</strong> meuble ne lřarrêtent pas, ne le limitent pas, ne lřapaisent pas. Au contraire, il fonce,bouscule, défonce, bouffe, avale, mord, jette, vide, écrase, déborde, salit, salive… La pulsion orale semble icià lřavant-plan. On rapporte une exception à cela, quand il fait la cuisine avec D… qui lřavait invité à lécher lacrème restant au fond de la casserole, ce quřil a fait délicatement après avoir vérifié sřil pouvait vraiment lefaire. Et il a pu même attendre avec patience… . Elle a voulu, une autre fois, répéter lřexpérience avec unepraline quřil a Ŗboufféeŗ sans enlever le papier car, dira-t-il à son é<strong>du</strong>catrice étonnée « cřest une praline ».Le fond crémeux de la casserole presque totalement vide nous servira de modélisation.Je vais vous parler des premières séances dites dřobservation.a. En séance, il prend la boule de plasticine à pleines mains, lřenfourne toute ronde jusquřà se décrocherles mâchoires, prêt à suffoquer. Je lui dis le souhait de son papa de lřemmener manger proprement auxrepas de famille, je regarde ailleurs, simplement pour ne pas voir ça, pour ne pas arracher. Il la retire et medemande de modeler la boule de plasticine : « fais la boule ». Il me regarde lřarrondir, la lisser, la battre, etlřécraser pour en faire une pâte. Il me demande ensuite de pouvoir peindre à la couleur à lřeau avec <strong>du</strong>rouge, de lřorange et <strong>du</strong> bleu. Il est apaisé.b. En séance, il veut couper et découper la feuille, ce quřil fait. Il découpe en rondelles de plus en pluspetites. Il reste le cœur de la feuille, le tout petit morceau, trop petit, indécoupable. Il veut le coller dans safarde avec le tube de colle quřil écrase. Il colle tout sur tout. Cela devient une énorme bouillie. Le tube decolle se vide. Il sřagite très fort. Il découpe tout dans tout. Je ne sais pas comment il a fait son compte mais lenom de famille D…, qui était écrit au marqueur gras sur sa farde, se découpe et tombe dans la mélasse,se pique de façon étonnamment visible. Devant la chute <strong>du</strong> nom, Chr… sřécrie « merde, merde ». A la suitede quoi il dit « tombé/bé » que jřentends, étonné, tombe bébé. La mélasse, la chose collante reste dans lapoubelle. Je mime « que faire de cela ! »c. Jřavais de la conjonctivite. Ça coule. Il me demande <strong>du</strong> doigt ce que jřai. Il ne se contente pas delřexplication médicale, il dit « battu ». Ensuite, il prend la boule de plasticine, la met en bouche pour lamordre, ce quřil fait, et tenter encore une fois de lřavaler toute. Je lui redis que son papa veut quřil mangeproprement. Il dit « pa pa fou, t’es fou, toi ? » Je lui dis que ma maman et mon papa voulaient aussi quandjřétais petit que jřarrête de tout mettre en bouche. Il remet la plasticine dans le pot, de lui-même. Il prendalors une feuille dont il découpe les coins pour en faire un rond sur lequel il dessine, d’un côté, unejupe et de l’autre, un gros ballon noir. Il dit « moi ». Le papier mouillé se déchire. Il le met en boule etpuis à la poubelle. Il veut me donner un bisou et dit « ton œil ? »d. Il va à la fenêtre et regarde longuement en silence. Il parle de D…, qui est absente. Il dit « elle bat lebébé, elle a une jupe, son homme la bat ». Il me demande de pouvoir venir chez moi me faire la cuisine,manger et jouer, il mettra une jupe. Il la dessine. Je dis « D… » 2 (2).2 Le « pousse-à-la-femme ». Là où la dimension foncière de la castration est exclue, apparaît le pousse-à-la-femme ou la nécessitédřêtre une fille pour lřAutre.N.B. Ch. a mis une « jupe » prise à la maison dans le sac de D.Association des <strong>Forums</strong> <strong>du</strong> <strong>Champ</strong> <strong>Lacanien</strong> de Wallonie (Belgique)Colloque <strong>du</strong> 20 octobre 2007ACTES73
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