CARNETSd<strong>ans</strong> lequel on finit par y reconnaître une de ces voitures jaunesale qu’on ne trouve que chez nous ; elle arrive à fond de train ;inutile d’insister, on ne peut pas décrire notre soulagement. Lelieutenant qui la monte nous fait signe d’embarquer en vitesse etrepart encore plus vite. Il nous explique alors que l’ennemi passeà l’offensive ; le grondement de cette nuit, c’était leurs formationsblindées et motorisées qui avançaient, toutes nospatrouilles se replient sur les positions de combat. Brrr… on l’aéchappé belle. Pour finir de nous assommer, il conclut narquois :vous avez eu de la chance, un peu plus on vous bombardait aussi,nos 75 étaient prêts à vomir un feu d’enfer sur cette illuminationqui nous paraissait pourtant bizarre de la part de l’ennemi, c’estpourquoi on a voulu voir «ça»d’un peu plus près avant dedéclencher le tir. S<strong>ans</strong> avoir fait de mauvaises rencontres, onrejoint la patrouille de notre sauveur. Décidément il était grandtemps de nous ramasser, car celle-ci qui est une des dernières en« circulation » n’attend plus que la nuit pour se replier sur nospositions de Bir Hacheim.Après avoir roulé toute la nuit, nous venons d’arriver à BirHacheim où nous retrouvons le gros de notre patrouille et le restedu bataillon. Il ne nous reste plus rien : tout a sauté d<strong>ans</strong> lemitraillage aérien que nous avons essuyé le 4 avril. On nousremet à neuf aussi sec et on attend les évènements.L’ennemi s’est arrêté sur nos anciennes bases de patrouille.El Bacher, Mekili, etc. Aussi on leur réexpédie quelquespatrouilles histoire de les « tâter ». Eux nous tâtent à grands coupsde 155 du plus loin qu’ils nous aperçoivent.Bir Hacheim : 5-6 mai 42Ce fameux « temps effroyable » du désert de Libye, nous le subissonsdepuis déjà cinq mois consécutifs. Après les terribles vagues dechaleur de la journée de 62° centigrade, le thermomètre descendla nuit à quelques degrés seulement au-dessus de 0, et pourcouronner le tout, des tempêtes de sable à n’en plus finir, parfoissi denses que pendant plusieurs jours de suite on n’y voit pas àplus de deux mètres ; en ce moment celle-ci fait rage : les rafalesde sable nous cinglent comme des communiqués laconiques :Libye. Opérations gênées par une tempête de sable. Ce n’est pasloin, mais nous, nous savons ce que cela veut dire et on se dit(oh tout à fait entre nous) que s’il y en a qui trouvent que «çaneva pas assez vite » rien… en principe ne les empêche de venirnous aider à terminer ces opérations.Bir Hacheim : 18-19 mai 42Nous sommes en pleine tempête de sable ; il fait presque nuit enplein midi : les vagues de chaleur sont passées de 62° à 72° àl’ombre (toujours en degré centigrade) presque tous nos animauxmascotte en crèvent et les hommes, eux, n’en sont pas loin nonplus. Si encore on avait de l’eau ; mais avec deux litres et demi parjour en tout et pour tout, on ne va pas bien loin et on la gardejuste pour boire. Pour le reste, il yal’essence, on se débrouille àl’essence, on lave notre linge à l’essence, on se baigne à l’essence,c’est encore heureux qu’on ne soit pas réduits à faire la tambouilleà l’essence.Bir Hacheim : 20 mai 42Ça commence à devenir de plus en plus sérieux, les accrochagessont fréquents et les armes de plus en plus lourdes commencentà entrer en action. L’aviation, elle, est inabordable. Nous sommescontinuellement mitraillés ou bombardés soit en patrouille, soità Bir Hacheim même. L’ennemi occupe maintenant les positionsd’El Telim, dernière « escale » avant de tomber sur Bir Hacheimmais là, on les y attend d’une mitrailleuse ferme et canonsbéatement pointés, culasses grandes ouvertes.Bir Hacheim : 26 mai 42 3Cette nuit, beaucoup ne dorment pas ; la tension est extrême carcette fois le sort en est jeté : l’ennemi qui nous bouscule depuisBenghazi va tomber sur nos positions d’arrêt. Plus question dereculer, notre division (1 re division française libre) 4 doit tenirBir Hacheim à tout prix, c’est très clair n’est-ce pas ? Les chicanesont été fermées et minées après la rentrée des dernièrespatrouilles. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à attendre.Attendre la grande offensive que nous devons contenir ou nousfaire massacrer sur place. Cela, nous le savons et l’avons tousvolontairement accepté pour les six lettres du [mot] FRANCE.Bientôt, par cette splendide nuit étoilée, d<strong>ans</strong> l’immensité désertiqueoù le moindre bruit porte à des kilomètres, on entendra desourds grondements : celui des colonnes blindées en marche : cedoit être les Panzers qui se rendent sur leurs positions d’assaut :ces formations de mécaniques qui nous anéantiront peut-êtred<strong>ans</strong> quelques heures si on ne parvient pas à les arrêter à temps.Au jour, on voit se profiler sur l’horizon des centaines de véhiculesqu’à l’œil nu on ne peut l’identifier. Les départs rageurs des 75 denotre artillerie divisionnaire lèvent tout de suite le doute (s’il nousen restait). C’est l’ennemi qui d’ailleurs n’attend pas plus pourpasser à l’attaque. Plus de cent cinquante blindés déferlent sur laposition en crachant de toutes leurs pièces, pendant que leursautomitrailleuses nous arrosent de gerbes de balles : leurscanons de 50 antichars à tir rapide entrent aussi en action ainsique les 77, 88 et 105 d’accompagnement. C’est alors l’enfer surterre ; un enfer de feu, de fonte et d’acier où les explosions sesuccèdent à une cadence folle. Les torpilles de mortiers, elles,nous sont expédiées s<strong>ans</strong> aucun esprit d’économie. Seulement,là nous ne sommes plus en patrouille et la peau des « free french »se vend très cher du centimètre carré, ce dont ils se rendentcompte immédiatement. Le ravage de nos 75 est terrifiant et, aubout de quatre heures de combat d’une égale intensité (7 heuresà 11 heures) ils finissent par se retirer avec 27 chars démolis dontquelques-uns ont été arrêtés d’extrême justesse par nos anticharset volatilisés à dix mètres seulement de ceux-ci.À 14 heures se déclenche la seconde attaque avec autant deviolence que la précédente ; l’infanterie malgré nos tirs debarrage a pu s’approcher et c’est sous une avalanche de mortierset de mitrailleuses de 20 que nous devons cette fois tenir tête auxattaques de chars ; leurs canons de 50 extrêmement précis tirentsur tout ce qui bouge ou ne leur revient pas. Il n’y a pas de jaloux,tout le monde est servi ; pour une rafale ou pour un obus qu’ontire, s’écrasent aussitôt quatre par quatre tout autour de nous desvolées de 77 ou de 88 ; on a d<strong>ans</strong> la bouche le goût âcre du fulminate ;l’horizon est gris de la fumée des dépôts qui sautent et desvéhicules en feu. La terre tremble à des kilomètres. Il fait unechaleur torride mais on n’a même plus le temps de crever de soif.À 18 heures la seconde attaque est enfin stoppée avec dix charsdémolis en plus, ce qui fait trente-sept pour la journée, l’ennemidoit faire une sale g… et nous, on n’en fait pas une plus jolie pourça ; maintenant, on sait ce qu’est la guerre, la « vraie ».3Si Rommel lance son offensive le 26 mai, c’est le 27 que la division italienne Ariete attaque Bir Hakeim (NDLR).4Il s’agit de la 1 re brigade française libre. Constituée en Syrie en septembre 1941, elle avait pris le nom de 1 re division légère française libre – une divisionà deux brigades – avant d’être remaniée en 1 re brigade française libre indépendante, plus conforme à ses effectifs réels (NDLR).10 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44
CARNETSPlan d’attaque de Rommel pour les 27 et 28 mai 1942 (Fondation de la France Libre).On profite d’une accalmie pour réparer les dégâts, nettoyer lesarmes et déguster une boîte avec un paquet de biscuits et peud’eau… quand il en reste.28 mai 42 : Bir HacheimMaintenant complètement encerclés, nous résistons aux formationsd’assaut de l’infanterie ennemie qui a pris la relève des chars. Labataille fait rage. Vague après vague les attaques se succèdentpresque s<strong>ans</strong> interruption. Malgré leur courage, ils n’ont pas plusde chance que leurs blindés et c’est pas dizaines qu’ils tombentfauchés à 100 mètres par nos mitrailleuses ; nos 75 crachent surtout ce qu’ils voient malgré l’effroyable pilonnage d’artillerieauquel nous sommes soumis ; des véhicules ennemis sontencore détruits et nous faisons quelques prisonniers.29 mai 42 : Bir HacheimUn jour s’est encore écoulé. Si on peut tenir encore demain, lesFFL auront tenu la promesse faites aux alliés : garder « à toutprix » Bir Hacheim au moins quatre jours. L’armée françaiserenaissante n’a pas le droit de flancher. Cette promesse nous ytenons plus qu’à nos vies. L’ennemi ne s’y trompe pas en voulantnous anéantir.Il y a au nord-est de Bir Hacheim, vers El Adem, Gazala, uneformidable bataille de chars, la terre en tremble jusqu’ici ; pourtantnous en sommes peut-être à vingt kilomètres ; tout l’horizonest noir de fumée, la nuit venue le ciel est rougeoyant desimmenses flammes des dépôts en feu et des éclatements d’explosifsà grande puissance. C’est un vacarme effroyable, près de milleblindés sont aux prises (nous apprendrons plus tard que le corpsde bataille anglais, avec 400 de ses meilleurs chars a été anéanti àAcroma).31 mai 42 : Bir HacheimNous sommes toujours encerclés ; l’aviation alliée qui a déjà fortà faire nous parachute des munitions et médicaments autantqu’elle le peut. L’artillerie lourde ennemie, hors de portée de nos75, nous écrase de ses gros obus, deux vagues de vingt bombardiersen piqué nous ont largué tout leur stock de bombes et continuentpar d’interminables mitraillages.2 <strong>juin</strong> 42 : en patrouille aux alentoursde Bir HacheimL’ennemi a l’air d’avoir desserré son étreinte sur Bir Hacheim ;des bruits courent même avec persistance qu’à notre tour, nousallons passer à l’offensive sur tout le front de Libye. Ça doit êtreassez sérieux puisque le bataillon du Pacifique est désigné pourse porter en avant-garde à El Telim. Nous franchissons leschicanes du champ de mines et, en formation d’assaut, on foncesur notre objectif. Cinquante-deux avions ennemis nous survolentet piquent sur Bir Hacheim d’où, bientôt, d<strong>ans</strong> le fracas desbombes, jaillissent les lourds champignons de fumée noire desdépôts en flammes. On croit l’avoir échappé belle, on croitseulement parce qu’on est vite détrompé par vingt-quatrebombardiers et chasseurs ennemis qui, pendant une heure etdemie, feront tout leur possible pour nous démolir. Ça pleut desbombes de partout, et il grêle des balles en interminables rafalesmais cette fois, on a de la DCA et deux chasseurs ne tardent pas às’abattre en flammes. Un gros bombardier, à son tour, est touché ;il accroche en passant son « collègue » qui volait au-dessous etJuin <strong>2012</strong> • N° 44 l 11
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