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juin 2012 - BIR HAKEIM – 70 ans

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MÉMOIRESComme j’avais ordre de détruire tout ce que je ne pouvais pasemporter, le reste de cette eau précieuse fut répandu à contre-cœurd<strong>ans</strong> le sable.On se préparait de toute évidence à évacuer la position. Leshommes l’avaient compris et ne cachaient plus leur joie, quant àmoi, je me demandais comment on pourrait rompre en bon ordrel’étau que les Allemands avaient resserré autour de nous, commenton pourrait rester groupés en pleine nuit, tous feux éteints, d<strong>ans</strong> ledésordre d’un combat aveugle.*À 18 heures, le capitaine de Lamaze m’expliqua que nous sortirionsde Bir Hacheim le soir même. Une brèche serait pratiquée d<strong>ans</strong> laceinture de mines, un bataillon ouvrirait la voie, le reste de la garnisons’engagerait derrière lui suivant l’azimut 213. Nous devions trouverau bout de 15 km une brigade de cavalerie britannique chargée denous recueillir.Ma mission était d’être en mesure de conduire de petites contreattaquessur les flancs de la colonne au cas où l’ennemi tenterait dela couper. Pour passer la brèche, une place m’était assignée d<strong>ans</strong> leconvoi. À 21 heures je rejoignis au Bir le gros de la compagnie.La nuit était d’encre, le silence total, des véhicules passaient à côtéde moi, s’engageaient d<strong>ans</strong> la brèche les uns après les autres.L’ennemi ne réagissait pas. J’allais m’engager à mon tour en touteconfiance mais je m’aperçus très vite que ce passage était encombrépar une foule de véhicules, camions, tracteurs de pièces, Brenn-Carriers et par des légionnaires qui chuchotaient qu’on ne pouvaitplus passer, que c’était la pagaille ; une, deux, trois explosions queje pris tout d’abord pour des arrivées ; ce n’était que des mines surlesquelles sautaient ceux de nos véhicules qui, pour passer, sortaientde la brèche, augmentant la confusion.J’appréhendais le moment où l’ennemi comprendrait ce qui sepassait et appliquerait sur l’embouteillage un bon tir d’artillerie. Jedispersai le plus possible ma section, interdisant à mes types desortir des véhicules dont le blindage les protégerait en cas de barrage.Au moment où je donnais ces ordres, une main s’abattit sur monépaule, c’était celle du commandant Laurent-Champrosay :« Donnez-moi votre Brenn.– Mais mon commandant… »Et d’autorité il se mit à ma place. Ponctuant son ordre du coup d’uneespèce de stick sur le casque de mon chauffeur, il lui commanda :«Enavant». Je n’eus que le temps de sauter d<strong>ans</strong> l’une des deuxbennes et de hurler à mes types : « Quoi qu’il arrive, attendez-moi ».Champrosay se souciait de moi, de ma section, de ma mission,comme d’une guigne. Il ne s’occupait que du conducteur dont ilguidait la marche en cherchant sa route d<strong>ans</strong> les étoiles. Il daignam’expliquer au bout d’un moment qu’une de ses batteries manquaità l’appel, il redoutait qu’elle n’eût rien compris aux ordres, n’hésitantplus à éclairer de nos phares la position que son vide rendait sinistre.Puis, nous longeâmes la ceinture de barbelés espérant que la batteriecherchait son chemin ailleurs que prévu. Peine perdue. Nousretournâmes vers la brèche. Elle était toujours encombrée. MaisChamprosay vit passer le pick-up de Kervizic 11 , le héla, monta sur lemarchepied et s’enfonça d<strong>ans</strong> la nuit, me rendant à ma section.Elle n’avait pas bougé mais la compagnie avait disparu une heureauparavant s<strong>ans</strong> me laisser d’ordres. Elle semblait avoir franchiles mines.L’ennemi maintenant réagissait : point d’artillerie mais ses traceursdécrivaient d’élégantes paraboles d<strong>ans</strong> le ciel, leur lenteurapparente les aurait fait croire inoffensives. Je tâchai de prendrecontact avec une autorité, en vain, personne à la radio. Je cherchaisà toucher Dewey qui commandait l’autre section de Brenns dubataillon. Un légionnaire l’avait vu passer une heure auparavantrépondant à un officier qui l’interpellait : « Quel jeu de cons » maisaussi impassible d<strong>ans</strong> son Brenn qu’un sénateur romain sur sa curule.Il devait être deux heures, je résolus de franchir la brèche à montour, s<strong>ans</strong> plus me soucier que de l’azimut marqué d<strong>ans</strong> le ciel àcette heure par les cinq étoiles du Corbeau 12 . J’abordai s<strong>ans</strong> peinel’entrée du passage, des lambeaux de tresse blanche indiquaientvaguement son tracé théorique mais, de part et d’autre, descamions et des Brenns qui avaient voulu doubler l’embouteillagegisaient, immobilisés par nos mines.Des groupes de fantassins passaient, des camions mi-prudentsmi-pressés essayaient de se frayer un chemin d<strong>ans</strong>l’encombrement. Le désordre était à son comble. Je réussis à fairepasser mes sept engins s<strong>ans</strong> les dissocier, hurlant le nom de mesdeux sous-officiers pour maintenir le contact puis nous ne vîmesplus ni barbelés ni tresse.Je m’arrêtai pour regrouper mon monde. Une voix pointue demandait :« Est-ce Bourdis, est-ce Dewey ? » C’était celle du commandantPuchois, mon chef de bataillon. Il me demanda ce que je faisais là,pourquoi je n’étais pas encore passé, où étaient mon capitaine etma compagnie. Quand je lui eus dit que je n’en savais rien, il feignitune colère puis pesta contre « cet état-major » qui avait prévu unebrèche si ridiculement étroite, contre le bruit des moteurs puiscontre la nuit qui était trop noire, contre « ces capitaines » qui nedisaient pas où ils étaient, contre lui-même enfin qui ne savait plusque faire. Il se calma subitement et me demanda sur le ton de laconfidence : « C’est bien l’azimut 213 ? ». Son défaut de sens del’orientation était légendaire d<strong>ans</strong> toutes les Forces françaises duWestern Desert et n’avait d’égale que son obstination à le nier.L’obscurité voila à propos mon sourire. « C’est bien par-là, n’est-cepas ? » et il s’évertuait à viser avec sa boussole d<strong>ans</strong> une directionapproximative.Je lui proposai de monter d<strong>ans</strong> ma voiture. Il me foudroya, merappelant qu’il commandait un bataillon et pas une section qui« d’ailleurs devait être ailleurs », qu’un fantassin se battait à pied etil s’enfonça d<strong>ans</strong> la nuit, la boussole à l’œil, à la tête d’un bataillonimaginaire, suivant avec assurance l’azimut de la captivité.Je repris ma marche d<strong>ans</strong> la direction du Corbeau. Comme sousl’effet d’un choc, mon Brenn s’immobilisa tout à coup et les sixautres le doublèrent. Quand le dernier passa, j’essayai de l’arrêter,comprenant trop tard que ma voiture ne repartirait plus. Maisl’équipage ne m’entendit pas et s’enfonça à son tour d<strong>ans</strong> la nuit.J’étais seul avec mon conducteur et mon ordonnance. À la manivelle,au démarreur, nous nous évertuâmes à relancer le moulin. Rien n’y fit.Il ne restait plus qu’à faire le chemin à pied avec mes deux bonshommes,pas fâché de ne plus dépendre de cette maudite mécanique,mais dépité, humilié d'être séparé de ma section pour la premièreaffaire sérieuse d<strong>ans</strong> laquelle elle était impliquée.Je pris d’une main le fusil de mon chauffeur qui avait récupéré lefusil-mitrailleur du Brenn, de l’autre une boussole car le ciel s’étaitobscurci et il n’était plus question de jouer les rois mages. Épiant lesvoix, suivant à quelques mètres devant nous les formes du sol,feignant d’ignorer les rafales, nous nous avançâmes ainsi longtemps,dépassés de temps à autre par des camions qui passaient entrombe. Nous passâmes à côté d’un brasier d’où sortaient des11Louis Kervizic (1913-1942), lieutenant au 1 er régiment d’artillerie (NDLR).12Il s’agit de la constellation du Corbeau (NDLR).Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 59

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