MÉMOIRESLe PC du général est un trou de 3 m sur 2,5 m, avec des parois ensacs de sable, recouvert d’une carcasse de camion-benne retournée,camouflée par une épaisseur de terre et un filet. L’accès se fait parun étroit boyau muré par des sacs. Une fenêtre étroite a étédécoupée d<strong>ans</strong> la tôle du bout de la benne pour l’aération et la clarté.Aussitôt entré, j’aperçois d’abord d<strong>ans</strong> la pénombre le commandantMasson. C’est pour moi un grand soulagement de le voir vivant.Puis, derrière une petite table, le général qui éclate de rire, suivibientôt du commandant, en me voyant déboucher comme unbolide, le casque de travers, la chemise déchirée, zébrée de sang,poudré comme un clown mais de poudre ocre d’où ne sedistinguaient d<strong>ans</strong> mon visage que mes yeux noirs et ma boucherestée ouverte pour mieux respirer car mes narines sont obstruéespar la poussière coagulée. Le radio à son poste, d<strong>ans</strong> un coin, est luimêmegagné par le fou rire.Le général plaisante : « Alors, mon gros lapin, ça chauffe aujourd’hui.Ne t’en fais pas, on a la baraka. Ce soir, on joue la fille de l’air », puis,amicalement, me tape sur l’épaule, soulevant un nuage rougeâtrequi le fait tousser et rire à nouveau.Il est près de 10 h 30. Je rends compte de notre préparation etinforme le commandant que j’ai vu son abri dévasté sur monpassage, qu’un instant j’ai eu une appréhension pour lui. Il rit etplaisante aussi sur sa chance. Pendant ce temps, le radio tend unmessage au général. Cette communication arrive du posted’observation de l’artillerie. Le général, redevenu grave, m’expliqueque la bataille fait rage sur le front du BM2 5 , sur le nord-ouest de laposition. Une attaque de chars et d’infanterie se déroule depuis unbon moment et toutes les communications sont coupées avec cebataillon de tirailleurs noirs. Quelques avant-postes ont étédébordés. Des mesures ont été prises et il me demande de porterPlan schématique de Bir Hakeim (Fondation de la France Libre).5Le bataillon de marche n° 2, bataillon de tirailleurs de l’Oubangui-Chari, actuelle République Centrafricaine (NDLR).68 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44
MÉMOIRESimmédiatement un message au commandant de cette unité, afin del’informer des dispositions envisagées pour renforcer sa zonede combat.Mission d<strong>ans</strong> le secteur du bataillonde marche n° 2Et me voici reparti mi-courant, mi-bondissant, mi-plongeant enzigzag vers le nord. Plus j’approche de mon but, plus ma progressiondevient difficile et périlleuse. J’atteins les premières positions dubataillon, me fais indiquer l’emplacement du PC. Les tirailleursm’indiquent l’endroit et me conseillent de ne pas m’y rendremaintenant, il y a trop de dangers. Devant mon insistance àpoursuivre ma mission, ils me donnent quelques tuyaux pourutiliser certains cheminements en rampant, s<strong>ans</strong> trop me faireremarquer des premières lignes allemandes d’où ont surgi lesdifférentes charges à 200 mètres à peine.La mitraille fait rage, les obus éclatent de toutes parts. À 100 mètresenviron, la carcasse d’un char déchenillé, au long canon paraissantencore menaçant, est en train de brûler.Le corps d’un servant accroché à la tourelle, la tête pendante, seconsume, tandis que les autres sont éparpillés au sol, mortsvraisemblablement.Les obus martèlent les positions du BM2 avec une violence inouïe.Les balles miaulent avec rage autour de moi. Cela devient terrifiant !Je continue péniblement ma progression.Je dépasse encore deux points d’appui d’où les mitrailleusescrachent la mort à jet continu sur les Allemands. Encore quelquesbonds et, s<strong>ans</strong> trop m’être rendu compte de la distance, les nerfs etles muscles tendus, obsédé par l’instinct de conservation, larespiration haletante et douloureuse, me voici au PC du commandant.Il paraît soulagé d’avoir enfin un contact, étonné que j’aie pu réussirà l’atteindre. Il prend connaissance du message que je lui tends. Ilrédige un rapide compte-rendu de la situation peu brillante de sonunité, souligne qu’elle peut être, à tout moment, submergée par lesattaques de plus en plus violentes qu’il a réussi à contenir jusqu’àprésent. De nombreux cadavres de fantassins allemands sontaccrochés d<strong>ans</strong> les barbelés à une cinquantaine de mètres en avant.Le moral des hommes d<strong>ans</strong> cet enfer a l’air satisfaisant en raison dufaible résultat des assauts ennemis, mais pour combien de tempsencore ? De plus, les munitions s’épuisent très vite et leravitaillement devient précaire.Je repars pour le QG. À plusieurs reprises, j’échappe de justesse auxobus qui gênent considérablement ma progression. L’intensité dutir a augmenté ; c’est probablement l’indice d’une nouvelle attaqueproche. Je profite des nuages de poussière et de fumée pour courirpresque debout. Mais, quand j’entends crépiter la mitraille près demes oreilles, je replonge vite d<strong>ans</strong> le trou d’obus ou de bombeprovidentiel qui me sauvera. J’ai l’impression que mes tripes fontdes nœuds.Ma respiration en soufflet de forge me dessèche la gorge, il mesemble que ma poitrine est sur le point d’éclater, j’ai mal partout.Un court instant de répit, d<strong>ans</strong> un trou plus confortable, me permetde me reprendre un peu. Je décroche mon bidon et bois lentementquelques gorgées d’eau chaude. Très vite, je me sens beaucoupmieux. Je fais un petit inventaire de mes membres ; à part quelqueségratignures nouvelles, ils sont toujours en bon état. Ce constat fait,je repars d’un bond en essayant d’allonger mes temps de course. J’aila chance jusqu’alors je m’en tire très bien car, sur ce parcours, lesjours précédents, deux agents des tr<strong>ans</strong>missions ont trouvé la mort.J’ai foi en mon destin, en dépit des dangers. Je suis convaincu quej’arriverai à rentrer en France. Cet état d’esprit me permet de gardermon sang-froid, surmonter la peur, ce qui est un atout énorme poursauvegarder sa peau !Me voici de retour à ma base. Je rends compte de ma mission augénéral et lui remets le rapport du commandant de Roux. Le généralme fait signe d’attendre et me reposer. Après une dernière mise aupoint, avec le commandant Masson, de l’ordre général écrit, ildonne des instructions pour activer la mise en place des renforts auBM2 et dépêche un autre agent de liaison au PC de la Légion.Quelques minutes après, il me remet le papier manuscrit que nousavons à préparer et diffuser, pour l’évacuation de vive force d<strong>ans</strong> lanuit prochaine de toute la position.De gauche à droite, le commandant Pierre Masson, le général Kœnig, le capitaineRenaud Raymond de Corta. Photo de Jules Muracciole (Amicale de la 1 re DFL).La 7 e division britannique avait enfin donné son accord pour nousaider d<strong>ans</strong> cette folle entreprise !Il est environ midi. Je rejoins très vite notre trou «bureau»oùFauvart et Pigois attendent et sont prêts à entrer en action. Il n’y apas eu d’autres dégâts d<strong>ans</strong> le trou, c’est une chance ! Déjà, Fauvarts’affaire pour taper le premier stencil. La chaleur est insupportable !La sueur ruisselle de tous les mentons. Torses nus, la poussière nousa déguisés en peaux-rouges. De petites croûtes de boue ocre auxcommissures des lèvres et d<strong>ans</strong> le coin des yeux achèvent laressemblance. Il ne manque que les plumes !...La chaleur est proche de son point culminant et très difficile àsupporter. J’ouvre ma boîte de corned-beef qui ruisselle d’huile,épluche le dernier oignon, source de vitamines, de ma réservepersonnelle, l’émince d<strong>ans</strong> ma gamelle pour le mélanger à la viande.J’avaisàpeineterminécetravailquelabatteriedecanonsBoforsanti-aériens des fusiliers-marins, toute proche, crache de tous sestubes sur des Stukas sortis de je ne sais où, s<strong>ans</strong> crier gare ! et quinous plongent droit dessus. Ils mitraillent en piquant, les ballessifflent autour de nous. Les bombes arrivent presque en mêmetemps et le ciel s’obscurcit aussitôt. La terre tremble, le sable et lescailloux retombent de toutes parts. Deux vagues d’une soixantained’avions chacune passent ainsi au-dessus de nous. L’air est devenupratiquement irrespirable. Je suis terré d<strong>ans</strong> le fond de mon abri, enattendant impatiemment, tendu, que l’orage passe. Le calme, toutrelatif, revient après ce déluge. Hélas, mon repas est biencompromis ! Je constate les dégâts. Ma gamelle est entièrementrempliedeterre.Adieu,corned-beef à l’oignon ! Je me rabats sur madernière boîte de « be<strong>ans</strong> » (haricots secs sucrés à la tomate) que j’aien horreur. Ils sont chauds au soleil et, en quelques cuillerées, je mehâte de vider le contenu de ma boîte pour être sûr d’avoir quelquechose de solide d<strong>ans</strong> l’estomac.Cet effort m’a donné soif. Je prends mon bidon laissé sur le bord duparapet.Calamité!Ilestvide.Uneballel’atraverséetjen’aiplusuneJuin <strong>2012</strong> • N° 44 l 69
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SommaireIntroductionLe mot du prés
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HISTOIRETémoigner de Bir HakeimLab
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HISTOIREsuccessifs de Rommel, les b
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HISTOIRENote sur les prisonniers de
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CARNETSExtraits des carnets de rout
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CARNETSdans lequel on finit par y r
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CARNETStous deux s’abattent en un
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CARNETSExtraits du journal de Paul
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CARNETSLe physique baisse progressi
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