CARNETSau canon ennemi. Le Boche se fâche et envoie ses bombardiersdeux fois par vague d’une centaine. Toute la position est couvertede fumée et de nombreux véhicules sautent ou flambent. En find’après-midi on a reçu l’ordre de départ pour la nuit. Il faudracombattre. On sent que ce sera dur. Les nerfs et la résistance deshommes sont à bout. Tout ce qui ne peut être emporté d<strong>ans</strong> lesvoitures encore en état est détruit : archives, vêtements, popote,tentes. Les moteurs des véhicules abandonnés sont cassés à coupsde masse, les pneus crevés, les stocks d’essence vidés d<strong>ans</strong> ledésert.J’ai reçu les ordres du général Kœnig pour le déminage de lasortie. Je communique mes ordres à chacun, je serai moi-mêmeà la sortie dès la tombée de la nuit.Le général Kœnig, le général de Larminat et le colonel Amilakvari à Bir Hakeim(coll. particulière).Toute la carrosserie est détruite par deux grosses bombes qui, àquelques mètres, creusent des entonnoirs d<strong>ans</strong> le sol pierreux.Tous les bagages détruits, mais, heureusement, pas de blessés etmon brave camion pourra encore tr<strong>ans</strong>porter des mines.2-10 <strong>juin</strong> 1942Nous devions poursuivre l’ennemi vers l’ouest, c’est lui qui,aujourd’hui, revient vers nous. Le premier geste de Rommel estun ultimatum inutile ; le deuxième : l’encerclement.Il y aura maintenant des bombardements par l’aviation trois ouquatre fois par jour. Ils sont subits et violents, mais ne durent quequelques minutes. Le piqué des Stukas marque le point attaquéet, somme toute, ils font peu de mal. Je préfère ces quelquessecondes d’angoisse où sifflent les bombes aux longues heuresde canonnade.Chaque jour, le calibre augmente : 75, 105, 155, 210, et chaquejour le sol tremble plus fort. Nos positions de batteries sontattaquées s<strong>ans</strong> arrêt maintenant, les artilleurs, d’un couragemagnifique, tireront jusqu’au bout. Les sapeurs des tr<strong>ans</strong>missionss’affairent de jour sous les obus et de nuit à réparer les circuitstéléphoniques continuellement dérangés. À signaler les fusiliersmarins de la DCA 1 qui abattront plusieurs avions ennemis à BirHakeim ou en colonne. Nos fantassins, marsouins, légionnaires,Tahitiens, Arabes et Sénégalais (en quelque sorte l’image del’Empire) résistent à toutes les tentatives de l’ennemi qui cherchele point faible. Il n’y en a pas. Dès qu’un point est menacé, je parsde nuit d<strong>ans</strong> le « no man’s land » poser des mines dont j’avais faitune provision presque clandestine. J’ai toujours plus de volontairesqu’il n’en faut et toutes les nuits mon chauffeur, un grand diablede Libanais, me suit comme un chien fidèle… avec sa mitraillette.Tous les jours, la bataille devient plus intense et, avec nos amis,nous convenons que nous aurons de bons souvenirs pour nospetits-enfants plus tard.10 <strong>juin</strong> 1942La sortie.Les combats ont été aujourd’hui plus violents, nous devions tenirdix jours et nous nous battons depuis quinze jours. C’est pourquoinos munitions, notre eau, nos vivres arrivent à leur fin. L’artilleuréconomise ses derniers obus et ne répond que par intermittenceEn une demi-heure un passage de 60 mètres est ouvert et je rentreà l’intérieur où je me perds d<strong>ans</strong> la nuit si noire, ne reconnaissantaucun des endroits familiers. Je tourne pendant plus d’une heure,puis je reviens vers la sortie en compagnie d’autres camarades.Vers minuit, l’ennemi, mis en éveil, commence à tirer avec sesballes traceuses qui convergent sur nous. Des fusées projettentune lueur blafarde sur le désert. Je suis revenu en tête de lacolonne. Il faut partir car l’heure presse et je marche à pied entête pour guider la colonne d<strong>ans</strong> le passage qui s’évase ensuitejusqu’à trois cents mètres. À 500 mètres de la sortie, le commandantdu BIM 2 se replie. Son bataillon a eu des pertes sévères d<strong>ans</strong>l’attaque. Il faudra donc foncer avec nos véhicules sur les lignesallemandes. Je pars chercher les chenillettes restées un peu enarrière et je monte à côté du lieutenant commandant la premièresection rencontrée pour lui indiquer le chemin à travers leschamps de mines. Je suis la piste qui fait une traînée blanched<strong>ans</strong> la nuit, puis nous nous lançons contre l’ennemi qui tire. Lefracas des chenilles couvre tous les bruits. Les armes à notre passages’arrêtent de cracher, pas nous. Un canon est attaqué et détruit àtrente mètres. Puis, une ou deux mitrailleuses.Nous avons traversé les trois lignes successives. Nous sommessauvés, mais il faut retourner, continuer à combattre et prévenirla colonne principale. Les premières voitures flambent en arrièreet un canon s’acharne sur elles. Nous allons l’attaquer. Lui se tait.Tout à coup, je le devine d<strong>ans</strong> le noir. Nous tirons ensemble ; j’aisaisi la mitrailleuse et le lieutenant des grenades. Mais noussommes touchés tous les deux. Lui s’affale et ne se relève pas.Ceux d’en face ne bougent plus. Ils ont sûrement été tués.L’équipage est indemne et tente en vain de faire fonctionner lachenillette. Je suis blessé à la tête et je m’éloigne un peu pourm’éponger avec mon mouchoir. J’ai chaud, mais je ne souffrepas. Je vais tenter de rejoindre les lignes anglaises.Il me faut pour cela ramper sous les rafales de mitrailleuses,contourner les postes ennemis qui tirent, éviter la lumière descamions qui flambent et sur lesquels les Allemands jettent del’essence. J’entends qu’on rassemble des prisonniers en mauvaisfrançais. À tout prix, je ne serai pas prisonnier. Je rampe d<strong>ans</strong> lanuit. Au lever du jour, le brouillard va faciliter la tâche. Je rencontreplusieurs blessés qui se traînent en gémissant vers le sud. J’aidede mon mieux un sergent qui s’appuie sur un prisonnier allemand.Au grand jour, l’ennemi bombarde encore Bir Hakeim avec sesStukas. Je me rends compte que je ne peux plus me diriger s<strong>ans</strong>la boussole. Il me faut continuer à marcher vers les lignesanglaises au sud, compas en main, et éviter une patrouilleallemande. Je suis seul d<strong>ans</strong> le désert, je commence à me traînermoi aussi sous le soleil et j’ai soif. Enfin, vers dix heures, uneautomitrailleuse anglaise passe, j’appelle et je suis sauvé.1Défense contre avions (NDLR).2Le bataillon d’infanterie de marine (NDLR).24 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44
CARNETS10.6.42 - vers 15 heuresJe suis appelé au PC du général Kœnig avec les pl<strong>ans</strong> des champsde mine. J’y reçois les ordres préliminaires en vue du départ de lanuit.Deux missions principales pour le génie :1°) ouvrir un passage d<strong>ans</strong> le champ de mines(piste F, ouest du fort),2°) détruire les stocks de carburant(100 dépôts de 200 mines).En quittant le Général, je vais directement chez le capitaineDesmaisons pour lui faire connaître ces ordres. Je décide dem’occuper personnellement de la première mission avec unesection ; lui laissant le soin de détruire les stocks avec les effectifsdisponibles, puis de rassembler ceux-ci en vue de leur sortie, etde garder les prisonniers allemands et de les emmener avec eux.La section mise à ma disposition doit être prête à 20 h 30 auPC du BP1 3 .Puis je rentre à mon PC préparer le départ du groupe de commandementet du petit parc (destruction des archives, desbagages et de deux camions hors d’état de faire la route.Vers 16 heuresRéception de l’ordre d’opération pour la nuit. Je le porte moi-mêmeau capitaine Desmaisons et nous l’étudions ensemble.Confirmation des ordres déjà donnés. Le sous-lieutenantLéonetti est désigné avec sa section pour venir avec moi.Rassembler le plus possible de tines d’essence pour jalonner lepassage ; faire un autre passage secondaire pour l’infanterie ausuddufort.Au retour du PC de la compagnie du génie, je rends compte auGénéral que le nombre de véhicules du génie pouvant partir estnotablement inférieur à celui porté sur les tableaux annexés àl’ordre d’opérations. Pouvaient finalement partir : sept camions,trois Morris compresseurs (dont deux en remorques).Vers 19 heuresLéger vent de sable. Je donne ordre au capitaine Desmaisons decommencer à détruire les stocks de carburant. Le capitaineCance me demandant alors de commencer à détruire les stocks,je confirme cet ordre au capitaine Desmaisons.Vers 19 h 30Notes de combat du capitaine GravierBir Hacheim : journées des 10 et 11 <strong>juin</strong> 1942Je retourne à la compagnie du génie chercher les 2 détecteurs demines car je viens de recevoir l’ordre de faire suivre la marche du2 e bataillon de Légion étrangère par quelques sapeurs avec undétecteur.Le nombre de tines est insuffisant. J’en réclame au moins 200.20 h 20J’envoie les hommes rassemblés à mon PC (état-major et parc)vers la sortie de la piste F où ils m’attendent. Je me rends au PCdu commandant Savey, la section n’étant pas arrivée je vais à lacompagnie à sa rencontre. Elle venait seulement d’arriver dupoint d’appui n° 5 et commençait à se préparer à partir. Je faisactiver et pars en emmenant avec moi le camion chargé de tines.Le sous-lieutenant Léonetti et la section se rejoindront à la sortiede la piste F.21 heuresCommencement du travail de déminage de la piste F. je prendsmoi-même le détecteur de mines ; le travail avance normalement.21 h 30Le sous-lieutenant Léonetti arrive. J’envoie immédiatement ungroupe pour préparer la sortie du BP1 avec le sous-officieradjoint au chef de section.Le travail de déminage sur 60 mètres de long est d’ailleurs à peuprès terminé ; mais trois rangées de réseau Brun doublent lechamp de mines et il faut absolument les enlever. C’est le travailconfié à la section qui arrive. Puis je reconnais que le champ demines est traversé par les réseaux et s’éloigne de ceux-ci. Ledéminage au-delà du réseau ne présenterait qu’un faiblerendement, car l’enlèvement du réseau est long et difficile d<strong>ans</strong>l’obscurité. Je pense que les 60 mètres mesurés par moi sontsuffisants. Je commence à jalonner la large piste qui servira depassage.22 h 15À ce moment le passage de 60 mètres est absolument libre demines et de fil de fer. Le jalonnement de la piste est commencé ;ayant l’intention d’aller voir le Général pour lui rendre compte,j’explique au sous-lieutenant Léonetti ce qu’il faut faire pour leterminer, élargir l’ancienne piste F de 100 à 150 mètres versl’ouest, à l’intérieur du marais de mines D jusqu’à l’avenueest-ouest de 300 mètres séparant le marais D du dernier champde mines, posé par lui-même au sud du fort.La section présente était celle qui avait posé le marais de minesD, donc, le génie présent connaissait la position des marais et jepouvais aller rendre compte au Général que le passage prévun’aurait que 60 mètres.Je suis parti vers 22 h 30, ai aperçu des colonnes en formation, lesai remontées puis à l’extrémité j’ai erré pendant environ ½ heure,cherchant la QG 4 .J’ai rencontré une première fois les fusiliers-marins puis, uneseconde fois, où j’ai décidé de continuer avec eux ; nous cherchonsla sortie rencontrant au passage le commandant Laurent-Champrosay qui cherchait aussi la sortie.Enfin j’arrive vers 24 heures sur la première colonne engagéed<strong>ans</strong> la sortie. « Le Général vous demande » me dit-on. Je cours en3Le bataillon du Pacifique (NDLR).4La compagnie du quartier général (NDLR).Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 25
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