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juin 2012 - BIR HAKEIM – 70 ans

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MÉMOIRESNous devons approcher maintenant de la périphérie, quandsoudain le pick-up de Dewey saute sur une mine. Le convoi estbrutalement stoppé. Quelques tamponnements en cascade ont dûavoir lieu vers l’arrière, d<strong>ans</strong> le noir. La deuxième voiture se dégagesur la droite, fait quelques mètres et saute à son tour. Nous sommesen plein champ de mines antichars.Une erreur de parcours, dont je n’ai jamais pu éclaircir le mystère,s’est produite d<strong>ans</strong> cette nuit noire et nous voilà empêtrés d<strong>ans</strong> cettepoudrière. Ordre est passé à tous les passagers, de descendre et des’éloigner des véhicules entrés d<strong>ans</strong> le champ de mines.Les conducteurs seuls doivent rester à bord pour essayer de lesdégager, avec un minimum de pertes, de ce bourbier de mort.En reculant légèrement, la camionnette des tr<strong>ans</strong>missions saute àson tour. Comme ceux des deux voitures précédentes, le chauffeurest grièvement blessé.Le break du général fait alors un à gauche à 90° et lentements’avance, guidé par le général en personne qui essaie de repérer lesbosses qui pourraient cacher un engin. Il indique à Miss Travers, saconductrice (seule femme présente à Bir Hacheim) : «Àdroite,àgauche, tout droit » suivant l’opportunité.Le pick-up du capitaine Renard lui emboîte le pas. J’essaie de lesuivre. J’ai parcouru quelques mètres, quand une énorme gerbe defeu, d<strong>ans</strong> un bruit d’enfer, se dresse à deux mètres de mon capot.D<strong>ans</strong> un réflexe fulgurant, j’ai freiné et calé mon moteur. Je suisaveuglé par la terre, car mon pare-brise est relevé pour mieux voir.J’ai l’impression que je suis devenu complètement sourd. La rouearrière droite du pick-up a déclenché la mine. Par un nouveau coupde chance aucun éclat ne m’atteint. D<strong>ans</strong> la lueur de l’explosion, j’aieu le temps d’apercevoir un homme projeté en l’air, les bras en croix,comme une poupée de chiffons. Des cris s’élèvent du pick-up où lecapitaine Renard était resté.Il est grièvement blessé aux jambes et au bras gauche. Il suppliequ’on ne l’abandonne pas. Son chauffeur est s<strong>ans</strong> connaissance. Jevais essayer de porter secours à l’homme que j’ai vu sauter. Il est faceà terre, inerte. Il paraît intact mais, lorsque je le retourne, je me rendscompte qu’il a le visage arraché, la poitrine ouverte, une jambedisloquée. À son pull et son ceinturon caractéristiques, je reconnaisle capitaine Mallet. Il marchait trop près du véhicule. Il était s<strong>ans</strong> vieet je ne pouvais plus rien pour lui. Des soldats s’occupaient ducapitaine Renard.Un peu abasourdi, les yeux pleurants, j’entends, à quelques mètres,la voix du commandant Masson qui m’appelle : «Vite, Minou, arrivevers moi, je vais te guider, pour essayer de t’en sortir ».Comme d<strong>ans</strong> un cauchemar, je me remets sur mon siège et démarred<strong>ans</strong> un à gauche serré, suivant d’instinct la voix du commandant.Un tremblement nerveux, incontrôlable, me secoue subitement.Mon pied sur l’accélérateur tr<strong>ans</strong>met son tremblement à la voiturequi avance par saccades légères, comme si elle tremblait elle-même.Au bout de quelques secondes d’intense effort psychologique, jeréussis à dominer mon angoisse et ma Humbert roule à nouveau,s<strong>ans</strong> secousse. Les nerfs à fleur de peau, je m’attends au pire àchaque instant. Je pense que ce serait vraiment idiot de mourirvictimes de nos propres pièges. Une fois encore je fais confiance àmabonneétoile!La voiture qui me suit essaie de rattraper mon sillage mais, sur la finde son arc de cercle, pour rejoindre mes traces, la roue arrièregauche déclenche une mine. L’auto est déchiquetée, le conducteurtué. J’ai eu chaud car j’ai dû effleurer moi-même l’engin s<strong>ans</strong> ledéclencher. Mon heure n’avait pas encore sonné ! À l’idée de ce quej’ai frôlé, mon tremblement me reprend. J’ai besoin de tout moninflux nerveux pour le maîtriser. Mon calme revient doucement. Ceparcours à 5 km/heure me paraît interminable. Mon cerveau, lui,fonctionne à 100 à l’heure. Une soif épouvantable me prend.L’émotion m’a complètement desséché la gorge et je n’ai toujoursrien pour me désaltérer. Je fais de gros efforts pour pouvoirdéglutiner une parcelle de salive qui ne veut même plus secréter. Jeme mets à penser que j’ai déjà bien de la chance d’être toujours envie et cette idée me fait oublier ma souffrance.J’entends alors la voix du commandant Masson toujours au guidagequi me crie : « Ça y est, Minou, les piquets et le ruban sont là, noussortons du champ de mines ». Ouf ! Quel soulagement parmi les septvéhicules qui étaient entrés d<strong>ans</strong> la zone meurtrière, seules l’auto dugénéral et la mienne ont pu sortir indemnes de ce guêpier. C’estvraiment la «baraka»!Le convoi est regroupé. Le colonel Amilakvari monte avec le général.Le capitaine Renard a été tr<strong>ans</strong>porté d<strong>ans</strong> une ambulance. Les mortssont laissés sur place avec les véhicules démolis.Cette série d’explosions a alerté nos adversaires. Des fuséeséclairantes montent vers le ciel. Leurs mitrailleuses se mettenttoutes à tirer d<strong>ans</strong> notre direction. Le sillage des balles traçantesforme un extraordinaire canevas multicolore d<strong>ans</strong> le ciel noir,ponctué d’éclatements d’obus de mortiers. Nous assistons à unphénoménal feu d’artifice qui, en d’autres circonstances, aurait pufaire notre émerveillement. Les balles miaulent en ricochant et lesoreilles comme les yeux sont à la fête.Nous sommes à nouveau stoppés. Nous attendons un nouvel ordrepour avancer. Des bruits de moteurs proches me font supposerqu’une autre colonne vient prendre sa place d<strong>ans</strong> le convoi général.Tout semble parfaitement au point pour la mise en place des troisfiles que doivent faire tous les véhicules rescapés de la brigade : entête, les Brenn Carriers 9 qui, flanqués d’unités d’infanterie, doiventouvrir le passage aux autres. D<strong>ans</strong> la file du centre, les ambulanceschargées à bloc de blessés dont beaucoup ne survivront pas.Malgré le tintamarre de tout à l’heure, l’ennemi ne semble pas avoircompris ce qui se préparait. La mitraille a diminué d’intensité. Lecalme est presque revenu. Je soulève le cache en cuir qui obstrue lecadran de ma montre. Il est 23 h 20.Des ordres arrivent et nous reprenons notre cheminement très lent.Nous doublons les ambulances et prenons place en tête de cette file.Puis, nouvel arrêt. Nous arrivons au chenal ouvert, d<strong>ans</strong> le maraisde mines, par les pionniers du génie. Les trois files se constituentlentement. En tête de la nôtre, la voiture du général puis la mienne(celle du chef d’état-major), derrière la compagnie de QG, puis lesambulances. À droite et à gauche, bien répartis, les tracteursd’artillerie avec leurs pièces, les fusiliers-marins avec leurs canonsBofors, puis les camions des différentes unités. D<strong>ans</strong> certains de cescamions, se trouvent, bien gardés, des prisonniers allemands etitaliens que le général a tenu à ramener.Devant les trois files, serrés comme à la parade, les Brenn Carriers dela Légion. Ce sont de petits véhicules bas, carrés, chenillés et blindés,armés d’une mitrailleuse avec quatre hommes d’équipage. Ils sontchargés de nettoyer la route à travers les lignes allemandes. Plusieurscompagnies d’infanterie flanquent les files de droite et de gauche.Leur mission est de combattre, à l’arme blanche, s’il en est besoin,les résistances ennemies non anéanties par les Brenn, quipourraient menacer la colonne. Après être sortis du cercle de feu quinous entoure, ces fantassins seront récupérés par les camions videsde l’arrière-garde.9L’orthographe exacte de ce véhicule britannique est « Bren Carrier » (NDLR).Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 73

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