MÉMOIRESLe témoignage de Jacques Bourdissur Bir HakeimCe récit de Jacques Bourdis (1920-2007), sous-lieutenant au 2 e bataillon de la 13 e demi-brigade de Légion étrangère(13 e DBLE) à Bir Hakeim et compagnon de la Libération, était conservé sous la forme de 18 pages manuscrites photocopiéesd<strong>ans</strong> les archives de Jacques Roumeguère.J’étais parti faire campagne d<strong>ans</strong> le Western Desert 1 à la tête d’unesection de « Brenn-Gun-Carriers » 2 .Pour les anglais qui l’avaient conçu et construit, cet engin était unmoyen de tr<strong>ans</strong>port légèrement blindé, propre à déplacer sous lefeu une équipe de fusiliers, ou de voltigeurs.J’étais très fier de mon matériel, de la place qu’il tenait d<strong>ans</strong> lescolonnes, du sentiment d’envie qu’inspiraient à leurs camarades àpied mes légionnaires motorisés et blindés.Le lieutenant Jacques Bourdis tr<strong>ans</strong>met un message à la radio. Ce dernier émet à bordd’un Bren Carrier équipé d’un poste Army Wireless II (Imperial War Museum).Mais j’appréhendais le rôle de valet d’armes qui m’incomberait unpeu et voyais mes Brenns voués à tr<strong>ans</strong>porter non seulement deshommes et des munitions mais encore, une cargaison moinsnoble, des vivres et de l’eau.L’originalité et l’esprit inventif des Français devaient vite dissipermes craintes.La brigade avait tout juste assez d’automitrailleuses pour lesreconnaissances lointaines et nos engins semblaient aptes àpatrouiller autour des positions ; il suffisait de les armer enconséquence.En plein désert, au gré de l’inspiration des plus inventifs et avec desmoyens de fortune, nos chenillettes furent aménagées et sehérissèrent bientôt des armes les plus diverses, de canons de 25 mmen particulier.Fier comme Artaban, je me vis bientôt à la tête d’un gros peloton dereconnaissance sillonnant le désert, à la recherche de renseignements,de puits et des précisions topographiques dont nos cartes étaientavares.Rayonnant à partir des positions de Mechili puis de Bir en Naghia,enfin de Bir Hacheim, je me prenais pour un méhariste de la guerremécanique.Lorsqu’il s’avéra que Rommel allait attaquer la position de BirHacheim, ma mission fut de surveiller les champs de mines qui lareliaient à sa voisine britannique du nord.Ma compagnie avait établi une sorte de point d’appui temporaireautour d’une de ces tables que le vent avait sculptées en pleindésert, Garet el Hemmour.De là partirent mes patrouilles, de là nous vîmes d<strong>ans</strong> nos jumellesarriver l’armada italo-allemande, le matin du 28 mai.Elle s’approcha du champ de mines, le tâta prudemment puis sescinda pour le longer, partie en direction du nord, partie en directiondu sud, c’est-à-dire de Bir Hacheim.Nous nous trouvâmes bien légers devant un tel déploiement deforces à 1 000 mètres de nous. Nos mines nous parurent tout à coupbien mal enterrées et stupidement révélées par les fils de fer qui lesentouraient.Notre canon de 75 semblait bien seul, la compagnie bien dérisoire.Notre premier réflexe fut de nous faire le plus petit possible pourpasser inaperçus en attendant les évènements et les ordres.De toute la journée nous ne fûmes pas directement pris à partie.Rommel attaquait au nord et avait confié à une brigade blindéeitalienne le soin de faire tomber Bir Hacheim dont il ne pouvaittolérer la garnison sur ses arrières ?À la fumée des explosions, nous suivîmes donc vaguement et deloin l’attaque de la position, que nous avions mis trois mois à édifier.L’affaire ne nous parut pas très sérieuse ; rien ne se passait sur laplace du nord qui nous était la plus proche, l’aviation allemandedéployait assez peu d’activité et la seule artillerie dont nousdistinguions le bruit était celle, rageuse, de nos 75.Je patrouillai donc à partir de Garet el Hemmour presqu’aussitranquillement qu’auparavant.Il s’avérait pourtant que l’ennemi avait franchi les mines au nord.Je surpris quelques véhicules et quelques fantassins en train delonger vers l’est une bretelle très large.L’occasion était bonne. J’embossai mes Brenns derrière un monticule,escomptant ne pas avoir été vu, quittai ma voiture, sautai d<strong>ans</strong> unde mes deux Brenns porte-canons de 25 et privai égoïstement sontireur du premier carton de la campagne, une de ces Opel quisemblaient avoir six roues.Le coup l’immobilisa, ses occupants disparurent vers le nord. Deuxpauvres diables d’Italiens qui étaient déjà entrés d<strong>ans</strong> le champ demines qu’ils perforaient à la baïonnette, se précipitèrent en avant ettombèrent sur la section, mi-tremblants, mi-joyeux, criant à peuprès : « è finita la guerra ! » 3 .1En français, « désert occidental ». Cette expression désigne le désert à l’ouest du Nil (NDLR).2L’orthographe exacte de ce véhicule britannique est « Bren Gun Carrier » (NDLR).3« La guerre est finie » (NDLR).56 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44
MÉMOIRESRien n’est plus embêtant à la Légion étrangère que de faire desprisonniers. Une fois que les légionnaires ont manifesté leur hostilitépar des gestes et des invectives, les rapports se détendent et il s’entrouve toujours quelques-uns pour venir parler du pays puiss’attendrir et se multiplier auprès des captifs.Ceux qui pourraient servir d’interprètes interviennent d<strong>ans</strong> ledialogue. D<strong>ans</strong> le cas particulier, je ne pus savoir si l’équipe quej’avais dispersée cherchait à ouvrir une brèche d<strong>ans</strong> la bretelle ni side gros éléments s’étaient déjà engagés plus loin vers l’est.Je laissai ce souci au 2 e bureau de la brigade.Nous rentrâmes le soir à Bir Hacheim fiers de notre capture facile.On nous y accueillit avec exubérance, tout à la joie de la raclée infligéele matin aux Italiens. Pour mieux savourer la victoire, je me rendisauprès des camarades de la face sud-est sur laquelle l’attaqued’Ariete avait porté.Je les trouvai en pleine euphorie, Pernet, Camerini, Germain,Mantel, Ferrières et Favre.Je jugeai décent de ne pas leur parler de mon Opel quand je vis,mouchetant le désert sur une profondeur de 1 500 mètres, lessilhouettes immobilisées des M13 4 .Deux d’entre eux avaient pénétré à l’intérieur de la position etavaient été arrêtés de justesse par des coups en caponnièrel’un même au moment précis où il faillit faire sauter le PC de la5 e compagnie.Je demandai à Ferrières qui commandait une section de 75 anticharss’il avait eu peur. Il n’en avait pas eu le temps, me répondit-il.Favre, qui avait des voltigeurs, m’affirma qu’il n’avait rien d’autre àfaire, de toute la matinée, qu’à compter les coups ; la batailleconcernait les antichars, et ses légionnaires, assis sur les parapets,s’étaient bornés à encourager du geste et de la parole lespointeurs au 75.L’attaque italienne était un fiasco complet.Ariete n’avait même pas cherché à garder le contact, un colonelavait été « fait aux pattes » en piteux état, on le soignait àl’ambulance Spears.Je décidai de dîner sur les lieux de la bataille et passai avec quelquescamarades d<strong>ans</strong> le trou de Mantel, une des meilleures soirées de laguerre.Comme l’habitude en avait été prise en Libye, on brancha la radiosur Sofia pour écouter Lili Marleen, qui nous parut une bien doucedérision.Nous tâchâmes aussi d’accrocher la BBC, mais Maurice Schumannse borna à dire que l’offensive de Rommel était déclenchée enLibye et qu’il nous faisait confiance.Une petite gerbe des fleurs de sa rhétorique, pour flatter comme ilse doit la vanité du guerrier, nous eut, ce soir-là, comblés.Mais il n’avait pas reçu notre communiqué et les « hoche-queues » 5de la 13 e demi-brigade allaient se coucher, modestement certainsd’avoir sinon gagné la guerre, tout au moins fait avancer la victoired’un bon pas.Le lendemain, ou deux jours plus tard, je ne me rappelle plus trèsbien, la compagnie retournait à Garet el Hemmour.Rien n’était changé, les Allemands n’étaient pas passés, mais ilspatrouillaient d<strong>ans</strong> mon V de mines ; à cinq kilomètres au nord dela Garet, ils circulaient impunément entre les deux bandes.D<strong>ans</strong> l’après-midi, nous essayâmes de rattraper un pick-up quiroulait d<strong>ans</strong> les parages de l’ennemi pour le prévenir qu’on tentaittrop le sort.Nous ne tardâmes pas à nous apercevoir qu’il s’agissait d’un véhiculecapturé sur lequel les Allemands avaient peint une croix gammée etle palmier de l’Afrikakorps.Nous lui donnâmes la chasse, parvînmes à l’acculer aux mines et àle rabattre en direction de Garet el Hemmour.Ses occupants étaient tout surpris de leur mésaventure, l’un deux,un juif nous expliqua qu’Hitler lui avait donné l’occasion de faireoublier sa race en lui ouvrant les portes des «compagniesderepentir ». Il nous affirma que les Allemands étaient très loin à l’estet s’apprêtaient à attaquer El Adem, Acroma et Tobrouk s<strong>ans</strong>s’attarder à ce qui subsistait de la ligne Gazala-Bir Hacheim.Nous ne le crûmes qu’à moitié.Le général avait envoyé une forte colonne occuper Rotonda Signalià 30 km à l’ouest de Bir Hacheim.C’était plutôt les troupes de Rommel qui nous paraissaient enmauvaise posture.Pourtant, je ne tardai pas à comprendre que la situation n’était pasaussi favorable que nous l’escomptions.J’aperçus au-delà de la branche est du V une masse impressionnantede véhicules installés en toute quiétude.J’eus l’ordre de passer la nuit sur place et pour mission de signalertoute pénétration à l’intérieur du V et, cette fois, à partir de saface est.Pendant toute la nuit, j’entendis tourner les moteurs, trépider desmarteaux compresseurs, rouler des engins : l’ennemi installait aunord-est de Bir Hacheim une espèce de base.Nous patrouillâmes prudemment autour d’elle pour en déterminerl’importance et le contour. Je renonçai à un coup de main. Il auraitfallu pour atteindre l’ennemi franchir les barbelés et les mines maisaprès, il aurait fallu les repasser en sens inverse d<strong>ans</strong> un hourvari,se découvrir et compromettre la mission qui était d’épier le pluslongtemps possible cette masse redoutable.Nous nous accommodâmes fort bien du voisinage pendant deuxou trois jours. Le V de mines était une sorte de no man’s land maisla piste Bir Hacheim-El Hemmour semblait sûre.Les Allemands paraissaient ne plus vouloir se frotter à Bir Hacheim ;on ne les rencontrait que du côté de notre Garet qui devint lerendez-vous des camarades qui avaient envie de se dégourdir lesjambes ou de faire un carton.Chavanac et Quirot s’accompagnaient d’une batterie de 75, ladéployaient sous la protection de la compagnie, puis partaient avecnous à la recherche d’objectifs.Il n’en manquait pas, mais il ne fallait pas compter aller «auxrésultats ». Messmer et Sartin avaient imaginé un procédé deharcèlement ni orthodoxe ni efficace probablement mais follementamusant.Il consistait à hisser un de nos 75 à petites roues d<strong>ans</strong> la benne d’uncamion Bedford ; profitant de la chaleur qui, à midi, brouille l’horizonet déforme les silhouettes, nous nous approchions au plus près desconcentrations allemandes pour lâcher à vue directe des bordéesterribles, attendant la riposte qui nous reconduisait, zigzaguant àtoute allure sous une grêle d’obus, jusqu’à Garet el Hemmour.4Il s’agit du char italien Fiat-Ansaldo M13/40 (NDLR).5C’est ainsi que le commandant Babonneau, chef de la 2 e BLE, appelait les aspirants.Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 57
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SommaireIntroductionLe mot du prés
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HISTOIRETémoigner de Bir HakeimLab
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HISTOIREsuccessifs de Rommel, les b
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